«Est-ce que c'est bon ? Parce que c'est cher...» Même la caissière de l'épicerie Les 5 Saisons, rue Bernard, à Outremont, s'étonne devant une cliente du prix d'un petit contenant de sorbet de marque Essence, qu'elle vient de scanner. Dix dollars pour 500 ml. «Le produit est nouveau, remarque la caissière. Et il s'envole comme des petits pains chauds.»
De fait, le prix n'est pas un argument de vente dans les deux épiceries Les 5 Saisons de la métropole, propriétés de Metro depuis 1993. Et de moins en moins. Depuis quelques mois, le détaillant québécois a fait grimper d'un cran son enseigne haut de gamme.
Le chic et le raffiné transpirent du nouveau décor de l'épicerie de Westmount, entièrement refaite lors de la construction de la nouvelle tour de condos du 1250, avenue Greene. Le magasin d'Outremont a eu droit à un léger rajeunissement et arbore lui aussi la nouvelle enseigne extérieure en noir et blanc.
En échange de produits chers, jamais soldés, Les 5 Saisons offrent l'exclusivité, un décor raffiné et plus de services que partout ailleurs au mètre carré. Toutes choses qui se payent. «À titre de destination haut de gamme, les produits se doivent d'être bien expliqués, dit Geneviève Grégoire, conseillère aux communications chez Metro. Les clients prennent le temps de magasiner et les employés, de bien les accompagner.»
Vive concurrence
À une époque où le consommateur court les rabais et veut en avoir pour son argent, comment peut-on ainsi miser sur une enseigne qui en demande plus au portefeuille ?
En fait, c'est qu'il n'y a plus de contradiction entre se rendre dans un Costco le matin et aux 5 Saisons l'après-midi. «C'est le même consommateur, affirme Jordan LeBel, professeur de marketing à l'Université Concordia. Il veut étirer son dollar, mais aussi se payer une gâterie. Les 5 Saisons offrent des marques et une expérience différentes.»
Mais pour dépenser davantage, poursuit-il, «il faut une raison». Metro n'avait guère le choix de donner un coup de chic à ses épiceries Les 5 Saisons, qui se banalisaient à mesure que la concurrence investissait le même créneau.
«Le concept n'était plus très différent des IGA Extra, ou même des Metro Plus, dit JoAnne Labrecque, professeure à HEC Montréal. L'enseigne Les 5 Saisons devait réaffirmer son positionnement dans le haut de gamme.»
Metro avait bien conscience que la concurrence se faisait vive. «Nous voulions devenir encore plus sophistiqués», dit Geneviève Grégoire, de Metro.
Le détaillant estime que la recherche de produits d'exception, fait de ses deux épiceries fines un genre de laboratoire : «Les 5 Saisons nous permettent de capter les tendances en alimentation, poursuit Mme Grégoire, pour ensuite les exporter dans les Metro.» C'est le cas des Cochonnailles, un fabricant artisanal québécois de charcuteries fines, qu'on peut maintenant trouver dans trois Metro Plus. Autre réussite : en apprenant que Les Serres René Fontaine allaient s'agrandir, le détaillant a acheté leur production printanière pour ses enseignes Metro et Metro Plus. Le produit niché est devenu plus grand public.
Les deux «laboratoires» resteront uniques pour l'instant. Metro n'a pas de plan d'expansion pour son enseigne de luxe.
Les secrets d'un rafraîchissement
Comment crée-t-on l'environnement d'une épicerie fine en 2014 ? Bess Pappas, propriétaire de la firme Pappas Design Studio, de Montréal, avait pour mandat, en aménageant celui du nouveau Les 5 Saisons de la rue Greene, à Westmount, d'être contemporain et sophistiqué, tout en s'assurant que l'accent serait mis tant sur le produit, la véritable vedette, que sur le service.
«On a choisi des matériaux classiques, nobles, comme la pierre, le métal et l'acier inoxydable, dit Bess Pappas, qui se mélangent à certains éléments bruts, comme ceux du plafond. Les tons, dans les crèmes et les beiges, sont clairs et neutres, avec quelques touches de noir.»
Des matériaux authentiques, dit-elle, sont un facteur essentiel lorsqu'on a la prétention d'être dans le haut de gamme.
La designer a aussi mis la pédale douce sur la signalisation. Il n'y en a pratiquement plus, ce qui donne une allure plus épurée. «On a décidé que le client est assez intelligent pour pouvoir naviguer seul dans les allées.»
Le site Web, quant à lui, a été conçu par Zip Communications.
Adonis reste... Adonis
Lorsque Metro a acheté 50 % des parts de l'enseigne Adonis, en octobre 2011, plusieurs ont cru que le gros avalerait le petit. Pas du tout. Les épiceries Adonis restent les mêmes, avec leur caractère de bazar oriental, faussement bordélique, leurs produits frais, en vrac, et leurs très nombreux employés. Leur marque Phoenicia continue de trôner sur les étagères, et il n'y a nulle trace des produits maison Metro. (C'est plutôt l'inverse qui s'est produit...)
«C'était le but, dit Geneviève Grégoire, conseillère aux communications chez Metro. Pourquoi changer une formule gagnante ?»
Le partenariat, dit-elle, visait à donner une possibilité de développement à Adonis, «notamment en Ontario». Deux magasins y ont été ouverts, qui s'ajoutent aux six du Québec, dans la région métropolitaine. «C'est bien que Metro ait laissé Adonis faire ses affaires», commente Jordan LeBel, de l'Université Concordia.
JoAnne Labrecque, professeure à HEC Montréal, fait le parallèle avec les poissonneries Waldman, achetées par Provigo à la fin des années 1980. «Tant qu'ils ont laissé les fondateurs exploiter les magasins, ça allait. Puis ça s'est détérioré quand Provigo a graduellement standardisé les opérations.»
Chez Adonis, dit-elle, on est dans un autre monde, et c'est ce que le client veut. «Si on essaie de faire des économies d'échelle, ça ne fonctionnera pas. Metro peut aller chercher un plus avec les produits Adonis, mais l'inverse Adonis, mais l'inverse n'est pas souhaitable.» Metro semble l'avoir bien compris.
La recherche de produits d'exception fait des deux succursales de l'épicerie Les 5 Saisons un laboratoire des tendances en alimentation. Les produits populaires sont souvent exportés par la suite dans les épiceries Metro, qui est propriétaire de Les 5 Saisons.