Début février, les quincailliers ont eu la confirmation de ce qu'ils pressentaient : leurs ventes ont accusé une baisse de 4,4 % en 2013, selon le Conseil québécois du commerce de détail.
«Il y a deux écoles de pensée sur ce résultat, précise Richard Darveau, président de l'Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT). Soit il y a une baisse réelle de l'activité de rénovation et de construction, soit nous avons perdu des parts de marché devant les généralistes comme Walmart et Costco, ou encore au profit d'Internet, que les marchands ne maîtrisent pas très bien, même s'il y a certains produits de construction qui se commandent bien en ligne.»
Ce dernier constat est loin d'être partagé par tous. «Dans notre secteur, les gens font surtout du prémagasinage : ils vont sur Internet pour voir les produits, puis ils viennent acheter en magasin», dit Martin Lacasse, président de Rona L'Entrepôt Gatineau. «On ne peut pas acheter du plancher flottant sans le voir. On a besoin d'un face-à-face avec un conseiller», dit Jocelyn Anctil, président du Groupe Anctil.
Le plus grand avantage concurrentiel des quincailliers réside dans la compétence de leurs employés. «Les gens veulent être en confiance avec le vendeur, sentir qu'il a une expertise très poussée», souligne Jocelyn Anctil. «La tendance est que les clients ont soit moins de connaissances, soit moins de temps pour faire eux-mêmes leurs travaux, poursuit Daniel Lampron, directeur général du Groupe Patrick Morin. Nous devons donc leur offrir l'ensemble des services nécessaires à l'entretien d'une habitation : peinture, toiture, plomberie, patios, etc.» Les commerçants font de plus en plus affaire avec des sous-traitants locaux spécialisés pour répondre à ces besoins.
Former ses employés pour les garder
«Trop peu d'employeurs voient à attirer et à retenir leurs employés avec des programmes de perfectionnement et de bonification», fait remarquer Richard Darveau, qui souhaite que celui instauré par Martin Lacasse fasse des petits. Depuis une dizaine d'années, ce propriétaire de trois centres de rénovation propose à ses employés un système de rémunération combinée avec de la formation continue dès leur entrée en entreprise.
«Ce système de vidéoconférence en ligne compte plus de 500 vidéos divisés par thématiques, détaille Martin Lacasse. Quand un employé complète un module, il fait un examen et, s'il le réussit, obtient une augmentation de salaire. Durant ses deux premières années, tous les six mois, il peut donc améliorer son salaire d'environ 8 % grâce aux formations.» En plus de bonifier son service à la clientèle, cette méthode lui évite de se faire «voler» ses employés par la concurrence. Près de 70 % de ses 375 employés suivent les formations proposées.
L'habitation au coeur des préoccupations
L'Association a profité des récentes élections provinciales pour réclamer un ministre responsable de l'habitation : le dernier en poste remonte à 2002. «C'est rare qu'un aspect aussi central de la vie des contribuables - et de l'économie - se retrouve sans ministère dédié, se désole Richard Darveau, qui plaide pour l'élaboration d'une politique nationale. Il faut vraiment avoir quelqu'un au Conseil des ministres qui va se demander, à chaque nouveau projet, quel sera son impact, autant sur les locataires que sur les propriétaires.»
Parmi les demandes de l'AQMAT, l'instauration d'un crédit permanent à la rénovation équivalent aux taxes de vente et la possibilité pour les propriétaires d'utiliser jusqu'à 25 000 $ de leurs REER pour effectuer des travaux de rénovation sur leur propriété. «Notre objectif est de faire en sorte que les travaux qui méritent d'être faits le soient au moment qui convient le plus aux propriétaires, pas en fonction des programmes d'aide temporaires.»
Le Groupe Patrick Morin prend le virage
Cette année, le Groupe Patrick Morin a ouvert un centre de rénovation à Pincourt et amorce la construction d'une succursale à Valleyfield. C'est dire à quel point l'entreprise familiale de Lanaudière, qui possède 18 magasins au Québec, ne semble pas touchée par la morosité de son secteur.
Un succès qui passe entre autres par un virage vers les nouvelles technologies, amorcé il y a environ deux ans. Un des grands défis du quincaillier est de «rester attrayant pour le consommateur», indique Daniel Lampron, directeur général. Entre autres en lui offrant des rabais en circulaire dont il peut profiter immédiatement en magasin grâce à un système d'étiquetage électronique.
«Tous les prix sont contrôlés par le siège social, et le changement est instantané dans les magasins, contrairement à la méthode manuelle, explique Daniel Lampron. En plus d'améliorer notre efficacité, cela a un impact positif sur notre rentabilité, parce que cela assure l'exactitude des prix.»
Sept magasins répartis dans la province sont pour l'instant équipés du système mis au point par l'entreprise québécoise JRTech Solutions. Tous les autres en seront dotés d'ici l'an prochain. Daniel Lampron estime que ce dispositif est encore très rare au Québec. Le Groupe Patrick Morin serait la première enseigne à en posséder dans toutes ses succursales. «C'est certain qu'il y a une question de coûts, di-il. Mais pour nous, le rendement de l'investissement sera rapide ; il est question d'à peu près trois ans.»
En parallèle, l'entreprise fondée en 1960 investit dans d'autres améliorations technologiques : son site Internet deviendra transactionnel en 2015. En outre, ses systèmes de préparation de commandes et d'approvisionnement ont été complètement centralisés et automatisés au cours des deux dernières années.
«Notre souci est d'être le plus efficace possible et de trouver des moyens de rendre notre compagnie rentable et viable pour le futur, résume le directeur général. L'objectif de Patrick Morin [le fondateur, aujourd'hui âgé de 87 ans] n'est pas de vendre la compagnie. Au contraire, c'est d'assurer une pérennité et de passer le flambeau à la troisième génération qui cogne à la porte.»
Se diversifier pour mieux performer
Il y a presque une décennie, le Groupe Anctil, constitué à Saint-Denis-de-Brompton, en Estrie, a fait le choix de la diversification. En plus de trois magasins Rona, l'entreprise familiale est propriétaire de Maisons Orford, de Groupe Anctil division Environnement et d'Usihome.
«On commençait à avoir de la demande de produits de construction préfabriqués, donc on a développé cette expertise, résume Jocelyn Anctil, président du Groupe depuis 1978. Nos clients sont principalement des contracteurs : ils veulent avoir moins de main-d'oeuvre à gérer et moins de CSST à payer.»
La première filiale de l'entreprise, fondée en 1935 par le grand-père de Jocelyn Anctil, Léo, résulte d'une acquisition, celle des Maisons Modernes Orford, en 2006. «On voulait diversifier notre offre, alors on est allé vers l'intégration d'une compagnie qui produit des maisons toutes faites», explique le président.
L'année suivante, le groupe inaugure à Granby sa division Environnement, qui distribue en Estrie et en Montérégie tous les produits nécessaires au traitement des eaux usées des maisons autonomes. «On est dans une région où il y a beaucoup de lacs, raconte M. Anctil. On a donc saisi l'occasion de développer une raison sociale entièrement consacrée à ce secteur, qui s'adresse principalement aux excavateurs.»
Finalement, à l'automne 2010, Usihome a été créée à la faveur de l'acquisition d'une usine à Magog. Dirigée par David, représentant de la quatrième génération des Anctil, cette filiale fabrique divers composants de maisons : murs, poutrelles de plancher, fermes de toit et de pignon, colonnes, etc.
Ce travail croisé a permis au Groupe Anctil de résister au ralentissement du marché de la construction. «Ça nous permet d'être un one-stop-shop, souligne Jocelyn Anctil. Nous pouvons l'accompagner le client dans toutes les étapes de son projet de maison.»
L'entreprise entend maintenant se concentrer sur l'expansion de son marché de composants préfabriqués en Nouvelle-Angleterre. «On veut s'ouvrir des horizons que beaucoup de nos compétiteurs ne peuvent pas atteindre.»