Il y a du nouveau sur la célèbre 5e Avenue à New York, et ce n'est pas une enseigne de luxe. Bien au contraire : c'est la marque canadienne Joe Fresh, qui propose des vêtements à bas prix pour la famille. Son propriétaire, le géant de l'alimentation Loblaw, deviendra-t-il l'un des rares détaillants canadiens à percer dans ce marché hyperconcurrentiel ?
Ce n'est pas une entrée timide aux États-Unis que Joe Fresh vient de faire. Depuis un mois, il y a ouvert cinq magasins. Des avenues huppées (5e et Madison), une intersection consacrée à la mode (34e Rue et Fashion Avenue), le plus grand centre commercial de l'État de New York (Roosevelt Field, à Garden City) et le mail haut de gamme Bridgewater Commons, au New Jersey, ont été choisis. Un investissement qu'on suppose majeur, mais que Loblaw refuse de chiffrer.
«Walmart et Target sont probablement en train de regarder de près ce que Loblaw fait à New York avec Joe Fresh, tout en se disant : «Hey, nous pourrions faire la même chose !»» pense Dimitri Vermès, directeur, Perspectives mondiales chez Trend Habitat, une firme américaine de consultants en commerce de détail. Car le concept est «très intéressant», juge l'expert, qui a visité le magasin sur Madison Avenue à notre demande. Séduit par le style de la boutique, son énergie, sa couleur orange, il a apprécié l'expérience de magasinage et la joie de vivre du personnel.
Même s'il convient que vendre des vêtements à 12 $ dans des locaux aux loyers astronomiques (estimés à plus de 2 000 $ le pied carré) est incohérent, Dimitri Vermès explique que cela assure à Joe Fresh une couverture médiatique, de la visibilité et du bouche à oreille. «Si vous entrez dans un nouveau marché, faites un gros splash, entrez de la façon la plus marquante possible.»
Loblaw - qui a refusé de nous accorder une entrevue - nous a indiqué par courriel que New York a été choisie parce qu'il s'agit «de la capitale mondiale de la mode et que c'est la meilleure place pour bâtir une marque».
Stratégies innovantes
Alain Michaud, associé leader national du secteur Commerce de détail et biens de consommation chez PricewaterhouseCoopers, qualifie pour sa part l'initiative de Loblaw d'audacieuse et d'innovatrice. «Oui, c'est risqué, mais lancer la marque Joe Fresh, qui n'a rien à voir avec son activité de base [l'alimentation], c'était quelque chose de risqué et ça a fonctionné. Et ils ont les moyens [d'être à New York].»
Joe Fresh mise sur le prestige de ses adresses, mais aussi sur la mode des pop-up stores (magasins éphémères). Parmi ses cinq adresses, deux disparaîtront après Noël. Spécialiste américaine de ce type de commerce, éditrice et conférencière dans le secteur du détail, Patricia Norins affirme que Loblaw vise dans le mille avec ses pop-up. Cette stratégie est la moins coûteuse et la moins risquée pour pénétrer un nouveau marché, puisque les baux sont de courte durée. «En plus, ça crée un sentiment d'urgence chez les consommateurs», ajoute-t-elle, en précisant que ce type de commerce a une durée de vie d'une semaine à trois mois.
«Davantage de détaillants étrangers devraient utiliser les pop-up stores pour pénétrer le marché américain», pense Patricia Norins, qui croit au succès de Joe Fresh aux États-Unis.
Dur d'entrer aux USA
Seul l'avenir nous dira si toutes ces stratégies permettront à Joe Fresh de réussir là où plusieurs détaillants canadiens ont fait chou blanc. Mais on se rappellera que même des géants comme Jean Coutu et Canadian Tire (dans les années 1980) ont mordu la poussière. Tristan a quitté les États-Unis en 2010, et Le Château attend la fin de ses deux derniers baux à New York pour plier bagages.
Les entreprises canadiennes ont du mal à réussir au sud de la frontière, parce que «en règle générale, elles sous-estiment la [force de la] concurrence et parce que tout y est plus compliqué, plus difficile», souligne Jacques Nantel, professeur de marketing à HEC Montréal. «Ça prend des reins solides et des poches très profondes. Les coûts d'adaptation - comptabilité, fiscalité, plan légal - sont énormes. Sans compter que c'est difficile d'y avoir un avantage concurrentiel distinctif.»
Il faut aussi dire que peu de détaillants y tentent leur chance. Selon un rapport préparé pour le ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation du Québec, au printemps dernier, divers facteurs expliquent cette situation. «Le mode de propriété des détaillants canadiens est généralement à capital fermé et souvent avec un propriétaire unique, ce qui limite fortement l'accès rapide à du capital de risque.» De plus, nos concepts de magasins ne sont, fréquemment, «que des copies de ce qui existe ailleurs».
«Nous devons continuer à faire croître notre marque au Canada et obtenir du succès à New York avant de considérer la possibilité de prendre de l'expansion.»
- Alison Lawler-Dean, porte-parole de Joe Fresh
JOE FRESH EN BREF
La marque a été introduite en 2006 dans les magasins du groupe Loblaw.
Son créateur est Joe Mimran, fondateur de Club Monaco et Caban.
2010 : les premières boutiques ayant pignon sur rue ouvrent leurs portes. On en compte 12 au Canada, dont 2 au Québec.
Les ventes annuelles se chiffreraient à 1 G$, et Loblaw pourrait ouvrir jusqu'à 800 magasins aux États-Unis.