Les rares microdistillateurs du Québec (5 ou 6) se plaignent de ne pas pouvoir vendre leurs alcools sur les lieux de production ce qui, selon eux, les restreint dans leur croissance et limite l'expansion de leur industrie. Pour faire changer les choses, ils ont formé en 2012 l'Association des micro-distillateurs du Québec (AMDQ).
Cette tendance naissante au Québec est déjà bien en vogue aux États-Unis. Selon l'American Craft Distillers, on comptait moins de 60 distilleries artisanales aux États-Unis il y a 10 ans, on en comptera 1 000 en 2015. L'American Distilling Institute parle plutôt de 600 à 800 au Canada et aux États-Unis l'an prochain, soit le double par rapport à 2013. Au Québec pourtant, une loi archaïque selon l'AMDQ, empêche l'éclosion de cette industrie qui s'inscrit dans les tendances de l'achat local, l'entrepreneuriat, le développement régional, l'écotourisme, la souveraineté alimentaire, etc.
Cidrerie Michel Jodoin a obtenu son permis de distillation en 1999. Il produit une liqueur de pomme à 24 %, une eau de vie à 41 % et un brandy de pomme (Calvados) à 40 %. «Aux États-Unis, la demande de produits de la microdistillation connaît une croissance phénoménale. Et au Québec, on est en train de manquer le bateau à cause de la loi qui nous lie les deux mains», affirme M. Jodoin, qui dit refuser chaque jour de vendre ses spiritueux à sa cidrerie, parce que la loi le lui interdit.
Michel Jodoin, président de l'AMDQ, doit donc faire une croix sur le marché de 35 000 visiteurs annuels à sa cidrerie de Rougemont. «En plus, si je vendais à ma cidrerie, ça ferait connaître davantage mes produits et augmenter mes ventes à la SAQ.»
M. Jodoin pense que le gouvernement est disposé à changer la loi, mais il reconnaît que le dossier est complexe, car il concerne plusieurs ministères et organismes. «Si la loi était changée, plusieurs nouveaux microdistillateurs se lanceraient !»
Un projet de loi déposé
Léon Courville aimerait bien lui aussi distiller une grappa (eau-de-vie) à son vignoble Domaine Les Brome, à Lac-Brome, à partir des résidus de raisins. Et créer une coopérative dans son patelin pour écouler la production locale.
De plus, l'ancien banquier voudrait que les restaurants de type «apportez votre vin» soient autorisés à vendre des vins et des alcools du terroir québécois. «Je serais bien plus gros si la SAQ me mettait moins de bâtons dans les roues, lance M. Courville. Après tout, c'est bien de développement régional qu'il s'agit, non ?»
Ce souhait et d'autres sont contenus dans le projet de loi 395 (Loi modifiant la Loi sur la Société des alcools du Québec et la Loi sur les permis d'alcool) déposé le 7 juin dernier par Stéphane Billette, député libéral de Huntingdon.
«Le gouvernement ne doit pas seulement penser aux dividendes de la SAQ, mais au développement régional aussi, croit M. Billette. Il faut que les dirigeants de la SAQ comprennent que faire la promotion des produits du terroir, ça fait aussi partie de sa mission.»
Son projet de loi propose de permettre aux dépanneurs de vendre des vins du Québec, ce qu'ils ne peuvent faire actuellement, et aux distillateurs de vendre sur le lieu de production, de créer des coopératives régionales et de vendre des alcools produits au Québec dans les restaurants «apportez votre vin».
«La prochaine étape sera que le leader du gouvernement rappelle le projet. Je n'ai aucun moyen de savoir s'il va le faire et, si oui, quand», indique M. Billette.
Une occasion manquée
En 2008, Stéphan Ruffo et deux amis ont lancé Les Distillateurs Subversifs, à Saint-Alexandre, sur la Rive-Sud de Montréal. Quatre ans de labeur plus tard, leur première création, le gin Piger Henricus, a été très bien accueillie par la critique. Le but de M. Ruffo n'est pas de vendre sur le lieu de production ; son modèle d'entreprise exclut l'écotourisme. Mais il croit que le Québec ratera une belle occasion s'il maintient une loi selon lui complètement dépassée. «Il y a beaucoup de microbrasseurs et de vignerons qui attendent que la loi change pour se lancer dans la microdistillation», soutient M. Ruffo, en écho aux propos de Michel Jodoin.
«La SAQ souhaite de la constance dans l'approvisionnement et ne veut pas que les microdistillateurs vendent tout leur stock sur les lieux de production en été», ajoute M. Ruffo.
«Nous pouvons vendre notre cidre sur les lieux de production, mais pas notre gin. Or, lancer un spiritueux nécessite des investissements assez importants. Si on n'est pas certains que la SAQ va accepter de le vendre, on ne prendra généralement pas le risque, explique Charles Crawford, propriétaire du Domaine Pinnacle. Si on ne fait rien, on va être envahis par les produits américains.»