Né à Montréal, Gregg Saretsky, 51 ans, était bien loin de se douter que c'est à titre de patron de WestJet Airlines (Tor., WJA), la deuxième plus importante société aérienne du pays, qu'il reviendrait un jour au Québec.
«Il faut croire que les pommes ne tombent jamais très loin de l'arbre», plaisante aujourd'hui, lors d'une entrevue téléphonique avec Les Affaires, celui dont le père d'origine allemande travaillait pour Air Canada, à Montréal, dans les années 1960 et 1970.
Devenu, en avril 2010, président et chef de la direction de WestJet Airlines, il pilote la prochaine poussée de croissance de ce transporteur, un des rares qui a tenu tête à Air Canada ces dernières années sans y avoir laissé sa peau.
Six ans de turbulences... et de bénéfices
Un exploit remarqué autant par ses pairs (de l'industrie aérienne) que par la communauté financière, qui n'hésite pas à élever aujourd'hui WestJet au rang des transporteurs aériens les plus «performants» et les plus «profitables» de la planète.
Au moment où l'industrie aérienne continue de tirer le diable par la queue, le transporteur «à bas coût» de Calgary vient de présenter son 26e trimestre financier consécutif de rentabilité ; une rareté pour ce secteur qui souffre autant de l'incertitude économique mondiale que de la flambée sans précédent des prix du carburant depuis un an.
Une discipline récompensée en Bourse. Depuis le début de 2011, l'albertaine compte parmi les six entreprises aériennes les plus performantes pour ses actionnaires. Sur le parquet de la Bourse de Toronto, son titre n'a perdu que 8 %, par rapport à 36 % pour Southwest Airlines et 60 % pour Air Canada. Pendant la même période, le S & P/TSX, l'indice phare de la Bourse de Toronto, a reculé de 6,68 %.
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M. Saretsky, qui a passé toute sa jeunesse à Châteauguay au Québec, entend poursuivre sur cette lancée grâce à une stratégie comptant au moins deux volets principaux. D'abord, la conquête agressive des voyageurs d'affaires ; puis, une percée du côté des forfaits vacances.
Une stratégie qui se déploiera largement au Québec et en Ontario, loin de sa zone de confort. Un marché que WestJet a d'ailleurs déjà baptisé «Eastern Triangle» (le Triangle de l'Est), accentuant étrangement, à l'instar du Triangle des Bermudes, le caractère risqué, presque imprévisible de sa conquête de l'Est.
Séduire la clientèle d'affaires, moins sensible au prix
La clientèle d'affaires est le pain et le beurre de la plupart des compagnies aériennes. Et «comme ses concurrentes, WestJet n'est pas imperméable à ses attraits», reconnaît M. Saretsky, un ancien dirigeant de Canadian et Alaska Airlines.
Moins sensibles au prix que les voyageurs réguliers, les gens d'affaires se laissent d'abord séduire par son réseau de villes desservies, les horaires et les fréquences de ses liaisons.
C'est avec cet objectif en tête qu'en mai dernier, WestJet a accru de manière importante son offre de services entre les villes de Montréal, Ottawa et Toronto. Un marché d'affaires d'abord dominé par Air Canada (59 % des parts) et Porter Airlines (23 %), mais où WestJet tire déjà une part intéressante de 18 % du marché, si l'on se fie à la firme OAG, qui compile ce genre de données dans le domaine de l'aviation.
C'est aussi dans cette optique que Gregg Saretsky a mis toute la gomme cet automne pour remporter de convoités créneaux d'horaire (slots, dans le jargon) mis aux enchères à New York et Washington, D.C.
New York dans la poche
Les montants payés pour ces créneaux s'élèvent à des dizaines de millions chacun. Mais cet investissement en vaudrait la peine, WestJet ayant réussi à se tailler une place sur le marché de New York. Déjà, des liaisons régulières entre Toronto et New York ainsi qu'entre Montréal et New York sont envisagées.
Bien que la concurrence soit déjà des plus importantes sur ces liaisons, une bonne présence sur ces marchés d'affaires est «nécessaire», voire «essentielle», estime Kevin Chiang, analyste de Marchés mondiaux CIBC à Toronto.
Selon ce dernier, les voyageurs d'affaires représentent déjà de 20 à 25 % des passagers de WestJet et jusqu'à 35 % de ses revenus. Reste à savoir de combien la compagnie aérienne accroîtra ses parts dans ce créneau, elle qui, fidèle à son modèle de transporteur à bas coût, ne propose pas la classe affaires offerte par la plupart de ses concurrents traditionnels, comme Air Canada.
À l'assaut du marché des vacanciers
Autre cheval de bataille : celui de la clientèle de plaisanciers, de snowbirds et autres accrocs d'escapades annuelles sur les plages du Sud, un marché de première importance au Québec par le volume de vols qu'il génère.
Très influencée par le prix, cette clientèle profite déjà d'une offre variée offerte entre autres par Transat A.T., Vacances Air Canada et Vacances Sunwing.
Qu'à cela ne tienne, après s'être implantée en territoire ontarien, WestJet a choisi de frapper un grand coup cet hiver du côté du Québec, avec un total de 45 forfaits dans 17 pays, dont les États-Unis et Hawaii, le Mexique, les Antilles et les Caraïbes (Bahamas, Bermudes, Cuba, etc.).
Preuve du sérieux de son intention de courtiser le marché du Québec : à la mi-novembre, WestJet lançait un site Web de vacances entièrement en français et publiait quelques jours plus tard un communiqué annonçant l'embauche de personnel francophone, un affront à peine voilé à certains concurrents, dont Air Canada, maintes fois rabroué sur ce point.
La clientèle internationale et la hausse du baril de pétrole
Enfin, parallèlement depuis deux ans, WestJet multiplie les partenariats avec des compagnies étrangères qui voient leur expansion au pays limitée par des contraintes législatives. «Avec 39 Boeing encore à recevoir dans notre flotte d'ici 2018, on ne peut se fier qu'à la seule croissance de la clientèle du Canada», explique M. Saretsky, parfaitement bilingue.
C'est ainsi, entre autres, que Korean Air, El Al et Emirates se sont jointes au cours des derniers mois au portefeuille de partenariats de WestJet, qui compte maintenant plus d'une quinzaine de partenaires, dont les plus importants sont British Airways, Cathay Pacific et KLM. Une stratégie qui, si elle fonctionne, finira dans cinq ans par accroître ses revenus de quelque 100 millions de dollars (M $) par année, estime M. Saretsky.
À la condition, évidemment, qu'elle parvienne à enrayer les deux problèmes majeurs que constituent le risque d'une nouvelle récession mondiale et la hausse du baril de pétrole. Au cours du dernier trimestre, le transporteur à faible coût a payé 0,98 $ US le litre en moyenne pour son carburant, par rapport à 0,70 $ US le litre un an plus tôt. «Il s'agit d'une hausse de 27 % qui s'est traduite par des dépenses de carburants supplémentaires de 49 M$ pour trois mois et une réduction de nos marges d'exploitation de 14 % à 8 %», déplore le président de WestJet.
Pendant que l'entreprise de Calgary cherche le moyen de faire face à ces défis, M. Saretsky se réjouit de pouvoir compter au moins sur une flotte d'appareils relativement jeune (5,6 ans d'âge moyen) et de n'avoir encore qu'une faible exposition au marché des affaires, advenant que se confirme le scénario pessimiste d'une nouvelle crise économique mondiale.
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Flotte 96 Boeing 737