Les grands donneurs d'ordres en aérospatiale recherchent désormais des PME innovantes, en mesure de partager les risques des programmes de recherche et développement (R-D) et de fournir des parties complètes d'un appareil.
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«Auparavant, les PME recevaient des plans et devaient simplement construire des pièces en fonction de ceux-ci ; c'est ce qu'on appelle le "build to print" [fabrication sur mesure]. Maintenant, les grands donneurs d'ordres veulent faire affaire avec des PME capables de développer elles-mêmes de nouvelles pièces et de nouveaux procédés», explique Claude Lessard, président de Delastek, un fabricant de pièces de structure d'avions et d'hélicoptères en matériaux composites.
Les fournisseurs du secteur sont donc appelés à travailler en partenariat étroit avec leurs clients. En 2010, Bombardier a ainsi confié à Delastek le mandat de concevoir le design de la cabine de pilotage du CSeries en intégrant des pièces plastiques, composites et mécaniques. Pendant huit mois, des ingénieurs de Delastek ont travaillé chez Bombardier, avant de revenir à Grand-Mère, où se trouvent les installations de Delastek, afin de poursuivre le développement du produit.
En plus de générer des solutions novatrices, la PME doit aussi convaincre le grand donneur d'ordres d'adopter de nouveaux matériaux et procédés. «Il faut avoir une grande crédibilité, et surtout démontrer clairement que nos produits ont été testés et qu'ils répondront aux besoins du client, explique M. Lessard. Les clients sont habitués à certains procédés et matériaux. Il peut y avoir des résistances.»
Pour répondre à ce type de défi, Delastek compte 32 employés, sur une centaine au total, qui se consacrent entièrement à la R-D. Elle a de plus son propre laboratoire d'inspection et entretient des collaborations avec des laboratoires externes.
Faire sa place
Le Québec représente le coeur de la R-D en aérospatiale au Canada, en accaparant plus de 70 % des investissements canadiens dans ce domaine. Cela représente des investissements d'environ un milliard de dollars par année, selon la grappe aérospatiale Aéro Montréal.
«Cela fait une centaine d'années que le Québec développe sa filière aérospatiale, rappelle Suzanne M. Benoît, pdg de l'organisme. Nous comptons sur 13 000 ingénieurs et techniciens spécialisés dans le domaine. C'est un atout énorme face aux pays d'Asie ou du Moyen-Orient, qui souhaitent créer leur propre industrie aérospatiale. Ces États ont beaucoup d'argent à investir, mais manquent de main-d'oeuvre spécialisée.»
Mme Benoît souligne elle aussi que les besoins des grands donneurs d'ordres ont fondamentalement changé. Les Bombardier, Airbus et Boeing de ce monde s'attendent désormais à un certain partage de risque en R-D avec leurs sous-traitants. Ils cherchent des intégrateurs, c'est-à-dire des entreprises appelées à fournir d'un coup un sous-ensemble d'un appareil, comme un train d'atterrissage entier ou une aile complète avec ailerons, volets, etc. Les grands donneurs d'ordres réunissent par la suite ces sous-ensembles.
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Ce sont donc ces intégrateurs qui sous-traiteront auprès des PME. Néanmoins, ils peuvent être partout dans le monde. «Si l'intégrateur est allemand, il a probablement déjà son noyau de PME sur place, souligne la pdg d'Aéro Montréal. Pour s'y greffer, une PME québécoise doit démontrer son excellence opérationnelle et sa capacité d'innovation. D'autant plus qu'en aérospatiale, on n'a pas droit à l'erreur. Il y a une tonne de certifications à décrocher et de réglementations à respecter. Tout doit être parfait.»
Aéro Montréal a mis sur pied l'initiative MACH afin d'optimiser la performance de la chaîne d'approvisionnement aérospatiale québécoise. À la suite du diagnostic de sa performance organisationnelle, une entreprise peut obtenir du soutien pour améliorer les faiblesses grâce à ce programme. MACH donne aussi accès à cinq niveaux de certification, lesquels deviennent des cartes de visite. Des 50 entreprises au programme, depuis 2011, trois ont atteint le niveau 4, «ce qui en fait des entreprises reconnues comme de classe mondiale», explique Suzanne M. Benoît.
Changement de cap
Alain Aubertin, vice-président du développement des affaires du Consortium de recherche et d'innovation en aérospatiale du Québec, juge que les PME québécoises sont en train d'effectuer un virage pour s'adapter aux nouvelles exigences des grands donneurs d'ordres.
«Elles étaient dans une logique très opérationnelle de fourniture de pièces et d'amélioration de procédés, ayant un lien direct avec des commandes de clients, dit-il. Elles doivent désormais développer de nouveaux réflexes, en consacrant du financement et des ressources humaines à leurs propres projets de R-D.»
Certaines entreprises l'ont bien compris, et dégagent ce type de ressources afin d'offrir de nouvelles capacités à leurs clients et de développer de nouveaux marchés. Alain Aubertin cite notamment le Groupe Meloche, dont le slogan «Faire voler l'innovation» parle de lui-même, ainsi que Delastek, Creaform et AV&R.
Les PME doivent aussi miser sur de l'aide financière pour mener leurs projets à bien. Une entreprise comme le spécialiste de l'automatisation AV&R a compté sur le Programme d'aide à la recherche industrielle (PARI) et sur les crédits d'impôts provinciaux. Toutefois, si l'argent du PARI arrive régulièrement dès le démarrage du projet, il faut attendre la fin de l'exercice fiscal pour miser sur son crédit d'impôt, ce qui peut entraîner quelques problèmes de liquidité.
«Somme toute, nous disposons de plusieurs ressources intéressantes pour financer des projets de R-D, dit Jean-François Dupont, pdg d'AV&R. Où il y a lacune, c'est au moment de la commercialisation. Les PME disposent de peu de soutien pour appuyer l'arrivée sur le marché de leurs innovations.»
C'est pourtant une étape cruciale. L'État devra peut-être, lui aussi, développer de nouveaux réflexes.
> 1 G$: Somme investie annuellement en R-D par l'industrie de l'aérospatiale québécoise, soit 70 % du total des dépenses canadiennes.
> 13 000: Nombre d'ingénieurs et de scientifiques dans le secteur aérospatial québécois.
> 19 %: Pourcentage des PME québécoises qui ont investi plus de 5 % de leur chiffre d'affaires dans la R-D en 2014.
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