WSP Global continue de multiplier les acquisitions. Il y a deux mois, la firme d'ingénierie québécoise déboursait 425 millions de dollars pour l'achat de la torontoise MMM, l'une des plus grandes firmes de génie-conseil du pays. Cette acquisition permettra à WSP de renforcer sa présence en Ontario, où MMM réalise 75 % de son chiffre d'affaires. Or, ce marché est caractérisé par ses infrastructures désuètes et sa croissance démographique.
À lire aussi :
SNC-Lavalin domine malgré les pertes d'emplois
Encore du travail à faire pour restaurer la confiance
«Au Québec, l'économie est stagnante depuis deux ans. Comme les possibilités de croissance y sont moins importantes qu'avant, il faut donc saisir les occasions offertes ailleurs», dit Marc Tremblay, vice-président principal du Québec chez WSP qui cherchait justement à accroître ses activités en Ontario. La firme québécoise entend ainsi profiter de l'expertise de MMM particulièrement dans les secteurs des transports, des infrastructures et du bâtiment, qui ont généré environ 80 % de ses revenus, ainsi que sur le marché des partenariats public-privé (PPP).
La faiblesse de l'économie québécoise, jumelée aux révélations devant la commission Charbonneau, amène les firmes d'ici à accentuer leurs activités à l'étranger, là où l'expertise québécoise est reconnue depuis longtemps, constate André Rainville, pdg de l'Association des firmes de génie-conseil - Québec, qui représente une trentaine de membres. «Les firmes doivent absolument réaliser des projets ailleurs au pays ou à l'étranger si elles veulent maintenir leur croissance et leurs effectifs», dit celui qui a récemment pris la barre de cette organisation connue auparavant sous l'appellation d'Association des ingénieurs-conseils du Québec.
Une industrie de 11 G$
Les firmes québécoises de génie-conseil ont généré plus de 11 milliards de dollars de revenus en 2014. Le Québec compte d'ailleurs pour une partie importante des exportations de services d'ingénierie au Canada, un des quatre principaux pays exportateurs du monde dans ce domaine, avec 6,5 % des parts de ce marché, après les États-Unis, l'Angleterre et les Pays-Bas. En comparaison, les revenus générés par les firmes qui travaillent au Québec sur des projets réalisés dans la province uniquement, y compris les activités de construction et d'entretien, s'élèvent à 5,6 G$, selon l'enquête annuelle de Statistique Canada de 2012, les plus récentes données disponibles.
Pourtant, la forte tempête qui s'est abattue ces dernières années sur l'industrie québécoise du génie-conseil, qui s'est depuis engagée à remettre de l'ordre dans ses affaires, pourrait s'avérer un atout pour les firmes qui misent sur le développement international. «L'industrie a tiré ses leçons. Elle a pris des mesures correctives qui pourraient lui procurer un avantage concurrentiel, car ce n'est pas toutes les firmes ou les pays ailleurs dans le monde qui ont fait le même exercice», dit M. Rainville.
Les sociétés de génie-conseil ne cessent d'ailleurs de faire des acquisitions ou de conclure des partenariats pour accroître leur présence sur la scène mondiale. Outre l'acquisition de MMM, qui lui permet d'ajouter 2 000 employés et porter ses effectifs à quelque 8 500 personnes au Canada et 32 000 au total, WSP a aussi dépensé 1,3 G$ US en octobre 2014 pour acquérir l'américaine Parsons Brinckerhoff. L'objectif : intensifier sa présence dans les régions industrialisées, notamment les États-Unis et l'Australie. En juillet, Parsons Brinckerhoff obtenait un contrat de sept ans de 700 M$ US de la California High-Speed Rail Authority pour la réalisation de la première ligne ferroviaire à grande vitesse aux États-Unis.
La firme québécoise, qui compte aujourd'hui plus de 500 bureaux répartis dans 39 pays, avait déjà frappé un grand coup il y a trois ans. Alors appelée Genivar, elle s'était offert au prix de 442 M$ le géant britannique WSP, qui faisait presque deux fois sa taille. Cet achat avait propulsé la société québécoise, qui réalisait 96 % de ses revenus au Canada avant la transaction, parmi les plus importants groupes d'ingénierie du monde. Depuis, ses revenus ont fait un bond prodigieux, passant de 650 M$ à 2,9 G$. «L'expertise de nos employés au Québec est utilisée dans de nombreux projets à l'international, particulièrement ceux qui sont liés aux secteurs de l'énergie et des mines», souligne M. Tremblay.
À lire aussi :
SNC-Lavalin domine malgré les pertes d'emplois
Encore du travail à faire pour restaurer la confiance
L'année 2012 avait aussi été un moment charnière pour la croissance de la petite firme saguenéenne Cegertec qui annonçait alors son union avec le géant australien WorleyParsons, quatrième groupe mondial du secteur de l'ingénierie. Cette association se voulait un coup de pouce pour accéder à des projets majeurs tant au Québec qu'à l'international. Elle est d'autant importante que Cegertec a fait sa marque dans des secteurs comme les mines et l'énergie, qui offrent aujourd'hui moins de potentiel de croissance.
«Le marché québécois tourne plus au ralenti avec la chute du prix des ressources naturelles. Notre entente avec WorleyParsons nous a ouvert d'autres portes à l'international», fait valoir Stéphane Leduc, président de la coentreprise Cegertec WorleyParsons. L'entreprise travaille entre autres sur des projets dans les secteurs de l'énergie et des ressources naturelles aux États-Unis, en Amérique latine et en Europe. Résultat : les revenus à l'étranger, inexistants avant la transaction, représentent aujourd'hui 20 % de son chiffre d'affaires, et l'entreprise souhaite doubler cette proportion.
Les entreprises d'ici ne délaissent pas pour autant le Québec. «Même si les investissements au Québec ont grandement diminué, les infrastructures continuent de se dégrader», souligne Alex Brisson, président et chef de la direction du groupe-conseil Roche, qui a participé à la modernisation du Casino de Montréal.
La firme table aussi sur les investissements récurrents de certains clients de longue date. Comme le producteur d'aluminium Rio Tinto et le distributeur de produits pétroliers Valero, qui investissent des centaines de millions de dollars annuellement pour maintenir leurs établissements et équipements en bon état.
«Notre vision de développement est axée sur la relation à long terme avec nos clients, ce qui nous amène à les accompagner dans plusieurs projets autant ici qu'à l'étranger», indique M. Brisson, en précisant que Roche est l'un des fournisseurs d'ingénierie d'Alcan (Rio Tinto) depuis 30 ans. La firme s'assure aussi d'avoir une présence régionale, notamment sur la Côte-Nord où elle exploite un bureau depuis une quinzaine d'années. «Les activités minières sont au ralenti, mais nous tenons quand même à maintenir notre présence pour être au rendez-vous au moment de la reprise.»
Des investissements dans les infrastructures
La baisse des investissements publics au Québec touche aussi la firme EXP, qui s'investit néanmoins dans les chantiers de l'échangeur Turcot et du pont Champlain. Mais elle compte aussi sur une présence régionale pour obtenir des contrats. «Il y a eu les hôpitaux et maintenant des grands chantiers routiers dans la région de Montréal. Mais dans les quatre ou cinq prochaines années, il y aura des investissements à faire dans les infrastructures urbaines», note Vincent Latendresse, vice-président exécutif et directeur général, Québec, d'EXP.
Les infrastructures «demeurent un secteur porteur pour le développement du génie québécois, particulièrement en région», constate aussi André Rainville. Car à défaut de grands projets, comme ceux de l'échangeur Turcot ou du pont Champlain, il y aura toujours d'autres routes, des réseaux d'égout ou des écoles à remettre en état. Malgré la morosité de l'économie, des entreprises devront aussi moderniser leurs usines.
À lire aussi :
SNC-Lavalin domine malgré les pertes d'emplois
Encore du travail à faire pour restaurer la confiance