Dans l’univers du rodéo québécois, il y a une compétition qui soulève les foules. Cette épreuve s’appelle le Poney Express. Tout se passe en quelques secondes. Dans le manège de 200 x 100 pieds, un premier cavalier file à vive allure pour contourner les quatre perches placées à chaque extrémité de la piste. Alors qu’il s’approche de la quatrième perche, un second cavalier lance son cheval et le rejoint, et tous deux galopent côte à côte.
«C’est à ce moment-là que s’effectue la manœuvre la plus excitante et la plus dangereuse de cette course de relais : l’échange des montures», explique, passionné, Dominique Leblanc, vidéos, photos et coupures de journaux étalées à la grandeur de son bureau de travail. Depuis bientôt 15 ans, presque tous les week-ends de l’été, le conseiller financier de Bécan-cour troque ses souliers vernis contre des bottes de cow-boy.
Dans la course de relais, Dominique Leblanc est le premier à partir. En milieu de parcours, il cède sa monture à son coéquipier en se jetant à terre. Le cowboy risque alors de s’infliger de bonnes blessures.
Une épreuve particulière au Québec
Ils sont une cinquantaine à pratiquer cette course délirante, devenue la reine des épreuves des rodéos présentés partout dans la province. En fait, ils sont les seuls au monde. Nulle part ailleurs au Canada ou aux États-Unis – qui sont le berceau du rodéo –, on n’a encore osé intégrer cette discipline de vitesse au programme. «De l’avis des monteurs professionnels de chevaux et de taureaux sauvages, nous sommes complètement fous!» affirme Sylvain Bourgeois, président de Promotions Wild Time, qui tente d’exporter le concept.
Pourquoi cette course extrême se pratique-t-elle ici? Parce qu’en l’absence d’éleveurs de chevaux et de taureaux destinés aux épreuves de dressage au Québec, l’industrie québécoise du rodéo s’est tournée vers les épreuves de vitesse. Soucieux de rendre le spectacle plus excitant, le promoteur Sylvain Bourgeois a raffiné cette folle course de relais à deux chevaux… et augmenté les bourses offertes aux vainqueurs pour attirer davantage de volontaires.
«Les bourses s’élèvent en moyenne à 1 000 dollars, ce qui permet de couvrir les frais de déplacement», dit Dominique Leblanc, 43 ans. Il ne part jamais sans sa remorque, qui est assez spacieuse pour transporter quatre chevaux et pour loger, à l’avant, sa conjointe et ses deux filles, tout aussi mordues de rodéo que leur père.
Cela n’explique pas pourquoi ce spécialiste en assurance et en rentes collectives – sinon un attrait pour le risque et une dépendance à l’adrénaline – puisse pratiquer une activité aussi dangereuse. Le travailleur autonome répond: «Pour l’ambiance. Pour être au cœur de foules exaltées.» Chaque événement attire plus de 3 000 spectateurs, et jusqu’à 8 000 à Saint-Tite, la Mecque du rodéo au Canada, grâce à son fameux Festival Western.
Des frissons qui ne sont pas donnés. Ce hobby coûte pas moins de 50 000 dollars par an en frais de vétérinaire, en foin, en inscriptions, en diesel et en entretien de l’écurie qui abrite ses cinq Quarter Horses.
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Un casse-cou de naissance
Avant de se passionner pour les chevaux et de devenir un accro des rodéos, Dominique Leblanc détenait déjà à 26 ans un C. V. de casse-cou bien rempli. Fils d’un cultivateur de Nicolet, il a fait du motocross durant des années, ce qui lui a valu une collection de fractures au cours de sa jeunesse. Sans compter ses «années Trans-Am», dans la jeune vingtaine, une époque sur laquelle le cascadeur est avare de détails.
Il a beau être un des participants les plus âgés de cette épreuve de rodéo, il n’en casse pas moins la baraque. Grâce à des visites régulières au gym, à son expérience et surtout, à son synchronisme, le cow-boy de Saint-Grégoire forme avec son coéquipier Sylvain Lavoie l’un des trois tandems vedettes qui dominent le circuit depuis dix ans. Un succès qui se répète aussi dans sa vie professionnelle. Depuis 2002, année où il a remporté ses premières courses au Poney Express, Dominique Leblanc est un des meilleurs vendeurs partenaires du cabinet de courtage en services financiers Groupe Cloutier.
Dans les deux cas, dit-il, la réussite d’une bonne entente repose sur un principe: la capacité de développer une forte relation de respect et de confiance.
Malgré tout, Dominique Leblanc n’est pas infaillible. Il lui est arrivé d’avoir la trouille. Plutôt quatre fois qu’une. «Ce qui me vaut sans doute ce grisonnement précoce», dit-il. La plus récente de ces frayeurs est survenue le printemps dernier. Son pied droit est demeuré prisonnier quelques secondes de trop dans l’étrier. Le cauchemar de tout cow-boy qui ne veut pas se retrouver la tête et le corps entre les pattes de l’animal. Une fois de plus, il s’en est tiré indemne, quoiqu’il ait boité pendant près d’un mois. «Chaque fois que ça se produit, je veux tout abandonner. Le week-end suivant, je suis pourtant de nouveau en selle. C’est plus fort que moi.»
Pas question d’abandonner le Poney Express, tant et aussi longtemps qu’il n’aura pas décroché la consécration ultime: la Coupe Canada du Festi-val Western de St-Tite. Au cours des dernières années, ce trophée a échappé à trois reprises au tandem Leblanc-Lavoie par moins d’un dixième de seconde.
Et Dominique Leblanc a d’autres raisons de ne pas vouloir s’arrêter: ses filles, qui commencent à accumuler les victoires; sa conjointe, qui chante l’hymne national avant le début des rodéos; ses chevaux, qui raffolent des courses. Et il y a toujours cet insatiable besoin d’adrénaline que Dominique Leblanc peut aujourd’hui canaliser dans un milieu «contrôlé». On espère seulement qu’il a une bonne assurance invalidité.
Les racines du Poney Express
Bien que l’épreuve du Poney Express soit méconnue aux États-Unis, c’est de là qu’elle tire son origine… et son nom. Le Pony Express était un service de distribution rapide de courrier qui a existé d’avril 1860 à octobre 1861. Le défi était de taille. Le courrier devait être livré entre les villes de Saint-Joseph, au Missouri, et de Sacramento, en Californie, en moins de 10 jours. Fondée par trois hommes d’affaires, William Hepburn Russell, William B. Waddell et Alexander Majors, l’entreprise comptait quelque 80 cavaliers et 400 chevaux répartis sur 160 relais. Chaque «Pony Express Rider» devait parcourir de 130 à 160 km par jour. Afin de conserver une vitesse maximale de 15 à 40 km/h, selon le terrain, un cavalier
devait changer de monture tous les 15 à 20 km. Il disposait de deux petites minutes, le temps de mettre pied à terre, avant d’enfourcher sa nouvelle monture. Le service, qui n’a jamais été rentable, a disparu à l’arrivée du télégraphe.
Téméraires recherchés
Ce n’est pas d’aujourd’hui que le Poney Express recrute des cowboys téméraires. Déjà, en 1860, l’offre d’emploi du service de courrier était on ne peut plus explicite. «Recherché: jeune cavalier maigre et nerveux, âgé de moins de 18 ans. Doit être un cavalier expert, prêt à risquer sa vie tous les jours. Orphelin de préférence.» William Cody, mieux connu sous le nom de Buffalo Bill, a fait partie des effectifs, alors qu’il n’avait que 15 ans.
Une épreuve qui rapporte
Grâce aux épreuves de vitesse, qui comprennent le fameux Poney Express, le Festival Western de St-Tite s’illustre. L’événement, qui aura lieu du 9 au 18 septembre prochain, décroche depuis 1999 le titre de Meilleur rodéo extérieur en Amérique du Nord. Un honneur que lui accordent, année après année, les cow-boys membres de l’International Professional Rodeo Association (IPRA) d’Oklahoma City.
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