L'élection du parti Syriza en Grèce n'aurait pas dû surprendre les investisseurs, puisque la victoire de la gauche radicale était écrite dans le ciel. Car on ne peut pas imposer autant d'austérité à une population sans qu'elle ne se révolte. Et si les créanciers ne mettent pas de l'eau dans leur vin, la gauche radicale pourrait bien prendre le pouvoir ailleurs en Europe.
Il n'y a pas de révolution communiste en Grèce. Les Grecs ont tout simplement dit: c'est assez! On s'imagine mal l'électrochoc économique que ce peuple a vécu depuis six ans. Dans une analyse, la Financière Banque Nationale (FBN) souligne que la crise économique grecque a été d'une ampleur comparable à la dépression subie par l'économie américaine après le krach de 1929.
N'oublions jamais que la Dépression des années 1930 a contribué à la montée de l'extrême droite en Europe - fascisme et nazisme - et au déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, s'entendent pour dire la plupart des historiens.
Voici quelques statistiques qui montrent bien l'ampleur de la dépression économique en Grèce depuis six ans, largement provoquée par les politiques d'austérité imposées par la Commission européenne (CE), la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI).
Les revenus des ménages grecs ont fondu de 30%. Le taux de chômage s'élève aujourd'hui à 26% (50% chez les jeunes). Les programmes sociaux sont en lambeaux. Depuis deux ans, les retraites ont été amputées de 40% en moyenne, et les prix des médicaments ont bondi de plus de plus de 30%, selon le quotidien financier Financial Times.
Un prix très lourd à payer pour avoir droit à l'aide financière de la «troïka», font remarquer bon nombre d'analystes. Certes, les Grecs et leurs gouvernements successifs ont leur part de responsabilité dans la dégradation de leurs finances publiques - la dette publique du pays atteint 177% du PIB.
Mais était-ce légitime et constructif d'imposer pareil régime minceur aux Grecs en contrepartie d'une aide financière? Beaucoup d'analystes et d'économistes commencent à en douter.
Même le FMI remet en cause l'austérité
Même le FMI - qui n'est pas vraiment le temple de la gauche - a reconnu que trop d'austérité pouvait étouffer la croissance économique. Et c'est sans parler des erreurs de calcul du FMI, qui ont eu un impact majeur sur l'économie et la société grecques - les suicides ont augmenté.
Selon une étude britannique publiée en 2014, les mesures d'austérité du gouvernement grec - dicté par la troïka - ont un lien direct avec l'augmentation du nombre de suicides chez les hommes dans ce pays.
En 2010, quand la troïka a imposé à la Grèce sa médecine de cheval, les «spécialistes» de la CE, de la BCE et du FMI avaient prévu que l'économie grecque serait en récession en 2011, mais qu'elle renouerait avec la croissance en 2012.
Or, le pays a de nouveau enregistré une croissance de son PIB qu'en 2014, mais avec un mince 0,6%. Pis encore, l'économie grecque demeure 30% plus petite aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a six ans.
Et on s'étonne ensuite que les Grecs aient porté au pouvoir un parti de la gauche radicale - qui dû s'allier avec les «Grecs indépendants», un parti souverainiste de droite «europhobe», pour former le gouvernement.
Les partis radicaux ont le vent dans les voiles
Et cette élection pourrait faire boule de neige. Car la victoire de Syriza a donné un nouvel essor aux autres partis de la gauche radicale farouchement opposés à l'austérité, tel que le mouvement Podemos, en Espagne.
Le 11 janvier, un sondage de l'Institut Metroscopia, publié par le quotidien espagnol El Pais, montrait que Podemos était devenu la première force du pays avec 28,2% des intentions de vote.
La montée des partis radicaux - de gauche, comme de droite, tel que le Front national en France - et leur éventuelle victoire lors d'élections pourraient affaiblir à terme le libéralisme politique et économique en Europe.
La droite radicale prône la sortie de l'euro et une restriction de l'immigration. La gauche radicale, elle, s'oppose à la privatisation des services publics, à la déréglementation des marchés, et la libéralisation du marché du travail.
Des politiques qui n'ont rien pour réjouir les investisseurs qui préfèrent de loin le libéralisme, l'idéologie dominante au sein de l'Union européenne, ses institutions et de ses agences.
La dette publique dans la zone euro a explosé depuis la crise économique et financière. Entre 2007 et 2013, son poids par rapport au PIB a bondi de 66% à 93%, selon la FBN.
Aussi, la réduction de l'endettement des gouvernements est une saine politique publique, quand elle est fait à un rythme raisonnable.
Car trop d'austérité mine l'économie, surtout si elle ne s'accompagne pas de politiques pour favoriser la croissance, font remarquer bon nombre d'économistes, comme Nouriel Roubini.
La dette allemande a été abolie de moitié en 1953
L'Union européenne et les principaux pays membres, en premier chef l'Allemagne, devront s'asseoir avec le nouveau gouvernement grec pour tenter de trouver un compromis sur sa dette publique.
À Athènes, le nouveau premier ministre Alexis Tsipras estime que la Grèce mérite qu'une partie de sa dette soit annulée, pour permettre au pays de souffler, réduire ses paiements d'intérêt et tenter de relancer son économie.
Car, sans réduction de la dette, il n'y aura pas de croissance. C'est l'argument de la Grèce aujourd'hui, mais c'était aussi celui de... l'Allemagne au début des années 1950.
Sous la pression des États-Unis, les pays européens ont accepté, en 1953, d'abolir la moitié de la dette publique de l'Allemagne. Ce qui a permis de relancer son économie. Alexis Tsipras demande un traitement similaire pour la Grèce.
Les principaux gouvernements européens accepteront-ils? Choisiront-ils d'étaler dans le temps les paiements?
Chose certaine, si les créanciers de la Grèce ne mettent pas d'eau dans leur vin, l'opposition à l'austérité en Europe n'ira qu'en grandissant, favorisant ainsi l'élection de partis radicaux de gauche et de droite.