ANALYSE - Les entreprises russes inscrites en Bourse sont sous-évaluées. En février, elles affichaient un ratio cours-bénéfice de 6,95 comparativement à 13,88 pour l'ensemble des pays émergents, selon MSCI. Un des signes montrant que l'économie souffre de «grandes faiblesses structurelles», selon une analyse de la Financière Banque Nationale.
«L'interdiction d'accès aux marchés du crédit et des capitaux européens et américains a fait très mal aux entreprises russes, en particulier celles du secteur de l'énergie, qui manque cruellement d'investissement», écrivent Angelo Katsoras, associé principal, et Pierre Fournier, analyse géopolitique à la FBN.
Durant les deux prochaines décennies, la Russie devra investir 100 milliards de dollars américains par année pour maintenir sa production de pétrole et de gaz naturel, selon l'Agence internationale de l'énergie.
Et l'interdiction d'exporter en Russie des technologies et du matériel utilisés dans prospection de pétrole en eau profonde et dans le schiste complique les choses. Car la Russie n'a pas le choix d'investir dans ce type de production pour contrer le déclin des puits conventionnels, note la FBN.
«Or, pour le moment, seules des entreprises occidentales possèdent la technologie et les compétences nécessaires pour extraire du pétrole et du gaz de schistes d'une manière économiquement viable», soulignent Angelo Katsoras et Pierre Fournier.
Trois prises économiques contre la Russie
La Russie pâtit de plusieurs problèmes économiques, qui font en sorte que le PIB russe devrait se contracter de 3 à 5% en 2015, selon diverses sources.
- le pays a besoin d'un prix du baril de pétrole d'au moins 102$US pour équilibrer son budget, selon Bloomberg. Or, à la fermeture des marchés le 19 mars, le West Texas Intermediate s'échangeait à 43,96 $US.
- la dégringolade de 40% de la valeur du rouble par rapport au dollar américain depuis six mois a fait grimper les coûts d'importation et l'inflation. En février seulement, l'inflation a bondi de 16,7%, soit la progression mensuelle la plus élevée depuis mars 2002, selon le Peterson Institute for International Economics.
- la Russie est frappée par une fuite de capitaux. L'an dernier, 151 G$US auraient quitté le pays par rapport à 62,7 G$ en 2013, selon l'Agence France-Presse (Russia capital flight more than doubled in 2014 to $151 bn).
Trois bombes démographiques
Selon l'analyse de la FBN, la Russie est aussi confrontée à des difficultés démographiques qui minent son potentiel de croissance économique à long terme.
- le taux de fécondité de 1,7% est sous le seuil de renouvellement de la population de 2,1 naissances par femme (comme du reste dans la plupart des pays industrialisés).
- l'espérance de vie est très basse. La moyenne des hommes russes n'est que 64 ans, et ce, en raison de taux élevés de tabagisme et d'alcoolisme, de même que de services de santé inadéquats. Ce qui est 15 ans en dessous de la moyenne de pays industrialisés comme l'Allemagne et l'Italie, selon Yale Global, une publication du Yale MacMillan Center.
- l'exode de cerveaux prive le pays d'une main-d'oeuvre qualifiée. Durant les neuf premiers mois de 2014, plus de 203 000 personnes ont quitté la Russie, selon Reuters (Russia capital flight becoming an entrepreneur brain drain). Ce qui est beaucoup plus élevé que pour l'ensemble de 2013 (186 382) ou en 2010 (33 578).
Vers une levée graduelle des sanctions?
À moyen terme, la santé économique de la Russie est liée à la situation politique en Ukraine, font valoir Angelo Katsoras et Pierre Fournier.
Selon eux, la plupart les sanctions économiques actuelles imposées à la Russie resteront en place jusqu'à ce que l'Union européenne et les États-Unis soient convaincus que le cessez-le-feu (globalement respecté depuis la mi-février) durera entre l'armée ukrainienne et les forces séparatistes pro-russes en Ukraine orientale.
«À moins d'une flambée des hostilités, bien des États membres de l'UE n'ont aucune envie de voir les sanctions s'intensifier», font remarquer les deux analystes de la FBN.
Et si ce cessez-le-feu en Ukraine se maintenait pendant plusieurs mois, on pourrait alors assister à un début d'assouplissement des sanctions contre la Russie cet été.
Un signal qui inciterait les investisseurs à retourner en Russie, estime Angelo Katsoras et Pierre Fournier.
«Il en résulterait à court terme une injection de capitaux sur les marchés obligataires et boursiers russes, de la part d'investisseurs assoiffés de rendements», écrivent-ils.
Avec un ratio cours-bénéfice près de 7%, les entreprises russes représentent en effet des aubaines dans les marchés émergents, font remarquer plusieurs analystes financiers. Mais ce sont des aubaines risquées, malgré la possibilité de réaliser des rendements élevés à terme.
Petite question: êtes-vous prêts à prendre ce risque?