ANALYSE - G2. Retenez bien ces deux caractères, car vous les verrez de plus en plus. Contrairement au G8, le G2 ne comprend que les États-Unis et la Chine, les deux grandes puissances qui dirigeront le monde dans les prochaines décennies. Le récent sommet entre Barack Obama et son homologue chinois Xi Jinping en est un avant-goût. Et L'Europe? Malgré son poids économique, son manque de cohésion politique en fera un joueur marginal sur l'échiquier mondial.
En fait, le rôle d'acteur de premier plan de l'Europe dans les relations internationales touche à sa fin. Le vieux continent, dont l’Union européenne incarne le projet politique, perdra le peu d’influence qu’il lui reste dans les prochaines décennies. Il ne façonnera plus l'ordre mondial – il ne le fait presque plus aujourd’hui - et sera en grande partie à la remorque de l’Histoire qui s’écrira ailleurs sur la planète.
Au 21e siècle, le centre de gravité du monde deviendra l'Asie-Pacifique, disent les spécialistes en relations internationales. L'Europe l'a été au 18e, au 19e et au début 20e siècle (le vieux continent a atteint son zénith en 1914), suivi par l'Amérique du Nord, après la Deuxième Guerre mondiale. Un nouveau centre de gravité où la Chine et les États-Unis seront des acteurs incontournables, mais pas les Européens, et ce, pour plusieurs raisons.
1. L'Europe connaît un déclin démographique
On l'oublie trop souvent, mais la première économie de la planète n'est pas les États-Unis, mais l'Union européenne (qui compte 28 pays depuis le 1er juillet). En 2012, le produit intérieur brut cumulé des vingt-sept s'élevait à 16 036 milliards de dollars américains, tandis que celui des États-Unis s'établissait à 15 680 G$US, selon la CIA, l'agence américaine du renseignement.
L'UE perdra toutefois un jour le premier rang en raison de la croissance économique qui est plus rapide aux États-Unis et en Chine. Et un facteur mine principalement le potentiel de croissance de l'Europe: son déclin démographique. Même si des pays comme la France et le Royaume-Uni voient leur population augmenter, celle de l'ensemble du continent, elle, a tendance à régresser.
Entre 2013 et 2100, la population mondiale devrait croître d'un peu plus de 10%, alors que celle de l'Europe devrait diminuer de 14%, selon l'ONU. Pour sa part, la population américaine devrait bondir de 46%, selon les démographes onusiens.
Une immigration massive pourrait certes diminuer le déclin démographique du vieux continent. L'Europe pourra toutefois difficilement ouvrir ses portes à l'immigration comme le fait l'Amérique du Nord, une terre d’immigration. L’intégration des immigrants y est beaucoup plus difficile qu’ici, surtout pour ceux provenant des pays arabo-musulmans. La force des partis d’extrême droite en Europe nous le rappelle.
2. L'Europe enregistra une croissance économique plus faible
Le vieillissement et le déclin démographique du vieux continent réduiront le bassin de main-d’œuvre potentiel de l’Europe. Par conséquent, son économie affichera une croissance économique modeste dans les prochaines décennies - la société vieillissante qu'est le Québec vit déjà en partie cette problématique.
Et les gains de productivité - la quantité et la valeur des biens ou des services produits par une personne dans une heure de travail - pourront difficilement faire des miracles. À moins que les Européens acceptent d’allonger leur semaine de travail... Si ce scénario n’est pas impossible, il est peu probable.
Le PIB européen continuera néanmoins d’augmenter, mais à un rythme beaucoup moins élevé que celui des États-Unis, de la Chine et d'autres grandes économies émergentes comme l’Inde, le Brésil, le Mexique, sans parler de l'Afrique. Ce qui signifie que le poids économique des principaux pays européens pèsera de moins en moins dans l’économie mondiale. Une tendance qui ne date pas d’hier.
En 1970, on comptait cinq pays européens (l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Italie et l’Espagne) dans les dix plus grandes économies de la planète, selon le The World in 2050, une analyse de la Banque HSBC. En 2010, il y en avait quatre (l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie). Et en 2050, trois pays seulement (l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France) seront dans ce top 10.
Plus inquiétant: dans 40 ans, les cinq premières économies de la planète seront, en ordre, la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Allemagne. Comme le poids politique d'un pays ou d'une région est tributaire en grande partie de son poids économique, l’Europe pèsera moins dans les relations internationales. Une situation qui risque d’être amplifiée par le manque de cohésion politique des Européens.
3. L'Europe perd de l'influence à cause de son manque de cohésion politique
Si les pays européens étaient capables de parler d'une seule voie comme le font les États-Unis et la Chine, la diminution du poids relatif de leur économie sur l'échiquier mondial serait moins problématique. Or, ce n'est pas le cas.
Voilà pourquoi la taille de l'économie de l'UE est trompeuse, car elle ne traduit pas en puissance politique - historiquement, sauf de rares exceptions, la première puissance économique est toujours devenue la première puissance politique et militaire.
Après la Deuxième Guerre mondiale, des pays européens se sont certes regroupés pour intégrer leur économie. En 1951, une union douanière voit le jour. Six ans plus tard, en 1957, c'est le traité de Rome, qui a mis en place le marché commun. Et 1992, l'Union européenne était créée.
Les Européens ont construit une formidable union économique et une union monétaire, sans précédent dans l'histoire, mais sans la doter d’une véritable union politique. L’Union européenne est avant tout une confédération, où des pays cèdent des parties de leur souveraineté aux institutions européennes, dont la Commission européenne.
Or, pour être capable de rivaliser vraiment avec les États-Unis et la Chine, l’UE ne peut y arriver sans une véritable union politique: un gouvernement européen doté des pouvoirs d'un État fédéral, comme aux États-Unis. Une structure où des pays comme la France, le Royaume-Uni ou l’Allemagne deviendraient des États fédérés, ayant sensiblement le même statut que la Californie, le Texas ou l’État de New York.
Si les élites européennes sont généralement favorables à une plus grande intégration politique, les citoyens des pays de l'UE y sont plus réticents. La victoire du NON en France, en 2005, lors du référendum sur le traité établissant une constitution pour l'Europe, montre que la création des «États-Unis d'Europe» n'est pas pour demain.
Du reste, que les Européens souhaitent continuer à vivre au sein d'une confédération d'États souverains, capables de travailler ensemble sur de grands enjeux, est tout à fait légitime. Mais il y aura un prix politique à payer : la perte d’influence dans le monde.
Sans union politique, les voix de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne – même réunies lors de certains enjeux précis – pèsent peu et pèseront de moins en moins face à la voix unifiée des États-Unis et de la Chine. Une perte d'influence politique du vieux continent qui sera accentuée par le manque de cohésion des armées européennes.
4. L'Europe devient moins stratégique au plan militaire pour les États-Unis
Dans le système politique international, le pouvoir d’influence s’exerce aussi par le pouvoir militaire. Chaque jour, les États-Unis sont là pour nous le rappeler.
Actuellement, les Européens exercent leur influence militaire essentiellement à travers l’OTAN, dominée par les Américains. Sans le soutien et la participation (discrète, mais déterminante) des États-Unis, la France et le Royaume-Uni n’auraient sans doute pas pu contribuer au renversement du régime libyen en 2011.
Or, les Américains risquent de s’impliquer moins dans l’alliance atlantique dans les prochaines années, estiment les spécialistes militaires. Endettés, les États-Unis doivent réduire leurs dépenses militaires. Et comme le pays veut accroître sa présence en Asie-Pacifique pour contenir la Chine et défendre ses intérêts, il réduira sans doute ses investissements dans l’OTAN, qui risque alors de devenir une coquille vide.
Depuis la fin de la guerre froide, l’Europe est de moins en moins stratégique aux yeux des Américains, même si la Russie demeure une puissance militaire. Pour Washington, la priorité est devenue la Chine. Sa montée en puissance bouscule l’ordre établi de l’après-guerre, en plus d’inquiéter plusieurs alliés des Américains dans la région, en premier lieu le Japon.
«La Chine représente l’une des relations bilatérales les plus complexes que les États-Unis n’eurent jamais à gérer», écrivait d’ailleurs la secrétaire d’État Hillary Clinton, dans un essai publié dans la revue Foreign Policy, en 2011.
Les Européens devront faire des choix. Accepteront-ils d’investir davantage de leur richesse collective pour accroître leur budget militaire afin de compenser le retrait stratégique des États-Unis du théâtre européen? Pourront-ils du reste le faire?
Pendant ce temps, la Chine investit de plus en plus dans son armée. En 2012, les dépenses militaires de l’armée chinoise se sont élevées à 166 milliards de dollars américains, soit une hausse de 7,8%, selon le quotidien Le Monde.
Celles des États-Unis étaient de 682 G$US, en baisse de 6%. Les dépenses militaires sont aussi à la baisse en Europe. L'an dernier, les pays d'Europe occidentale ont dépensé 286 G$US (dont 58,7 G$ en France). Ce qui est déjà moins élevé que les pays d'Asie de l'Est, incluant la Chine. Leurs dépenses ont atteint 302 G$US l'an dernier.
Pékin investit massivement dans son armée pour projeter sa puissance dans la zone Asie-Pacifique, et ailleurs dans le monde pour défendre ses intérêts nationaux. La Chine s’est dotée d’un porte-avions, et un deuxième est planifié, annonçait en avril le China Daily, un quotidien chinois publié en anglais.
De plus, le pays est en train d’élargir sa flotte de sous-marins, soulignait en 2011 un analyste militaire dans une tribune publiée dans le Financial Times de Londres. Selon divers rapports, la flotte chinoise compterait au moins 58 submersibles. Ce qui donne une idée de la course à l’armement qui s’est amorcée en Asie-Pacifique.
L'Europe à la croisée des chemins
Le destin de l’Europe n’est pas encore scellé pour autant. Les Européens peuvent encore avoir une certaine influence dans le monde. Mais encore faut-il qu’ils le souhaitent et qu'ils soient prêts à faire les sacrifices qui s’imposent.
«La capacité de l’Europe à exercer son influence dépendra de sa faculté à pousser plus loin sa cohésion politique», notait avec justesse en 2005 l’intellectuel français Alexandre Adler, dans le livre Le rapport de la CIA (comment sera le monde en 2020).
Et si jamais l’Europe n’y arrive pas, elle restera probablement l’une des régions du monde les plus riches et les plus sécuritaires, soulignaient des analystes dans l'ouvrage collectif Le Monde en 2025, préfacé par l'ex-directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy.
Bref, le vieux continent sera un endroit où il fait bon vivre. Il sera un carrefour incontournable du commerce international. Ses valeurs et sa culture inspireront encore des gens à travers le monde. Des jeunes du monde entier continueront d’aller y étudier.
Mais les décisions qui comptent vraiment, celles qui façonneront le monde de demain, se prendront ailleurs, autour de l’Océan Pacifique.