ANALYSE - De la crise en Ukraine au nucléaire iranien, l'Allemagne joue un rôle de plus en plus important dans les relations internationales. Elle pourrait en faire plus, mais hésite à affirmer sa puissance. Une réticence qui prive l'Europe et le reste du monde d'un acteur de stabilisation de premier plan, disent des analystes.
Plusieurs pays, au premier chef les États-Unis, demandent d'ailleurs aujourd'hui à l'Allemagne d'assumer un plus grand leadership politique dans les relations internationales, sans renoncer pour autant au multilatéralisme et à la coopération avec ses alliés.
Décidé de contenir la montée de la Chine an Asie-Pacifique, Washington a besoin d'aide pour assurer la paix sur le continent européen, alors que la politique de la Russie en Ukraine crée beaucoup d'incertitude en Europe orientale.
Un plus grand leadership politique assumé par l'Allemagne réduirait aussi les risques géopolitiques des investisseurs. Le pays a déjà joué ce rôle de stabilisateur lors de la crise de le dette souveraine dans la zone euro.
Et l'Union européenne?
Malgré son poids économique, l'UE n'est pas une puissance politique au même titre que les États-Unis ou la Chine, car elle n'a pas une politique étrangère cohérente comme un État.
De plus, l'Union ne peut pas projeter sa puissance politique - et militaire - comme peuvent le faire par exemple les États-Unis ou, dans une moindre mesure, la France et le Royaume-Uni.
Mais l'Allemagne, première économie d'Europe et quatrième économie au monde, le pourrait, affirment certains spécialistes.
Comme la Chine, elle est en mesure de traduire en une décennie ou deux sa puissance économique en puissance politique et militaire pour accroître son influence en Europe et dans le monde.
Or, l'Allemagne affiche encore une retenue diplomatique, préférant jouer à fond la carte du multilatéralisme et limiter ses interventions militaires à l'étranger, car le pays a un passé lourd à porter.
De puissance guerrière à puissance pacifique
C'est la montée en puissance de l'Allemagne au 19e siècle et au 20e siècle qui a provoqué la Première et la Seconde Guerre mondiale, s'entendent pour dire la plupart des historiens.
Deux conflits qui ont tué des dizaines de millions de personnes, sans parler du génocide des Juifs et des Tsiganes européens.
Après la défaite de l'Allemagne nazie en 1945, les puissances victorieuses ont divisé le pays en deux: la République fédérale d'Allemagne (la RFA ou l'Allemagne de l'Ouest) et la République démocratique allemande (la RDA ou l'Allemagne de l'Est). Avec la ville de Berlin scindée en deux secteurs au coeur de la RDA.
Jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989, l'Allemagne de l'Ouest s'est campée dans un rôle de puissance économique, misant sur sa renaissance industrielle pour s'affirmer.
Les autres puissances occidentales - les États-Unis, la France et le Royaume-Uni - se sont données pour leur part la responsabilité de stabiliser le monde face à l'ex-URSS et au bloc communiste.
Mais aujourd'hui, 25 ans après la réunification allemande, la donne a changé.
L'Allemagne n'est plus une menace pour la paix mondiale, bien au contraire.
C'est une démocratie parlementaire stable et exemplaire, qui s'est inspirée des meilleures constitutions dans le monde pour élaborer celle de la RFA, lors de sa création en 1949.
De plus, contrairement à d'autres pays d'Europe, aucun parti extrémiste (de droite ou de gauche) ne pèse dans la vie politique allemande, souligne le chroniqueur Martin Wolf, du Financial Times de Londres.
Trois facteurs empêchent l'Allemagne d'assumer un plus grand leadership politique, selon une analyse du centre de recherche Carnegie Europe.
Trois facteurs qui paralysent l'Allemagne
1. L'Allemagne a encore une «culture de la retenue», qui s'est profondément ancrée dans la mentalité allemande et le développement du pays depuis 1945.
Cette culture fait en sorte qu'il y a peu de pensée stratégique en Allemagne à propos des crises internationales et des propres intérêts géopolitiques du pays.
Tous les États ont pourtant des intérêts géostratégiques. Mais cela demeure un tabou en Allemagne.
2. La politique étrangère de l’Allemagne est trop centralisée: elle repose essentiellement entre les mains du chancelier allemand, qui donne les orientations sur les principaux enjeux.
Or, c'est le ministère des Affaires internationales qui devrait élaborer la politique étrangère de l'Allemagne, comme c'est le cas dans la plupart des pays occidentaux
Et quand vient le temps de débattre d'une plus grande responsabilité de l'Allemagne dans les affaires internationales, le chancelier allemand évite souvent d'élaborer une vision claire sur le rôle de l'Allemagne dans le monde.
3. L'armée allemande est trop faible compte tenu du poids économique de l'Allemagne dans le monde.
Un récent rapport du parlement allemand rendu public par les médias montre à quel point il serait difficile pour l'Allemagne de se doter d'une politique étrangère plus ambitieuse en raison du piètre état de son armée.
Par exemple, selon ce rapport, une minorité seulement des hélicoptères de la marine (7 appareils sur 40) sont en mesure de voler et seulement quatre sous-marins sont opérationnels.
De plus, la moitié des avions de transport de l'armée (le C-160 Transall) ne sont plus en service.
Quel rôle jouera l'Allemagne dans les prochaines années?
Difficile à dire avec certitude, d'autant plus que la montée en puissance de l'Allemagne fait peur à certains Européens qui n'ont pas oublié la Seconde Guerre mondiale.
Le scénario d'une Allemagne militariste attaquant ses voisins est toutefois écarté par la totalité des spécialistes en relations internationales.
Chose certaine, le débat sur la place de l'Allemagne en Europe et dans le monde est lancé dans le pays de Goethe. L'an dernier, le ministère allemand des Affaires étrangères a lancé une consultation à ce sujet, s'intitulant Review 2014.
Mais l'Allemagne arrivera-t-elle à assumer un plus grand leadership géopoltique, sans renier son passé, mais sans en être prisonnière?