ANALYSE - C'est la crainte de nombreux Français et des chefs d'État et de gouvernement en Europe: une victoire de la présidente du Front national, Marine Le Pen, lors de la prochaine élection présidentielle en France en 2017.
Oui, oui, vous avez bien lu: une victoire de Marine Le Pen, la leader d'un parti d'extrême droite, xénophobe, qui prône notamment la sortie de la France de l'Union européenne et de l'euro.
Un tel scénario aurait un impact majeur sur les entreprises et les investisseurs qui commercent et investissent dans les pays de l'Union européenne. La crise économique et financière serait à la hauteur de la crise politique: explosion des taux d'intérêt, recul des Bourses, ralentissement économique, voire récession.
Quoique difficile à imaginer auparavant, une victoire du Front national à la présidentielle française de 2017 est désormais devenue un scénario plus plausibe depuis l'attaque contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo et une épicerie juive, à Paris, le 7 janvier.
Gideon Rachman, influent chroniqueur en relations internationales au Financial Times de Londres, l'a même évoqué dans une récente analyse (The fateful choice that faces France) dans laquelle il prévoit des jours sombres pour l'Europe si un tel scénario se concrétisait - la France est après tout l'un des pays fondateurs de l'UE.
«Une présidence Le Pen après la prochaine élection en 2017 signifirait sans doute l'effondrement de l'Union européenne - on s'imagine mal comment l'Allemagne pourrait travailler avec un gouvernement d'extrême droite», écrit-il.
Aujourd'hui, la France est la croisée des chemins, soulignent des analystes.
Deux scénarios sont sur la table dans l'après 7 janvier 2015: une montée en puissance du Front national ou un renforcement de la cohésion sociale et nationale, barrant la route à Marine Le Pen.
Premier scénario: peur et intolérance
Dans le premier scénario, la France sombre dans l'intolérance et la peur à l'égard des Français de confession musulmane et de l'immigration en général, ce qui pourrait paver la voie aux idées frontistes et à Marine Le Pen à la tête de la république.
Depuis le 7 janvier, cette dernière tente d'ailleurs de profiter de la peur et du sentiment d'insécurité qui se sont installés en France pour élargir sa base électorale.
Et Marine Le Pen pourrait y parvenir si le gouvernement socialiste de Manuel Valls n'arrive pas à rassurer les Français, et que des terroristes commettent d'autres attentats en France.
Ceux qui doutent d'une possible montée en puissance de ce parti devraient se rappeler qu'en 2002, l'ancien président du Front national, Jean-Marie Le Pen, avait créé toute une surprise au premier tour de l'élection présidentielle.
Il avait alors récolté 16,86% des voix, éliminant le candidat socialiste, le premier ministre Lionel Jospin.
Pour barrer la route à Jean-Marie Le Pen, une écrasante majorité de Français - à gauche comme à droite - avaient alors réélu le président sortant de centre droit, Jacques Chirac, qui avait rassemblé 82% du suffrage.
Sa fille n'est pas en reste. Lors de l'élection présidentielle de 2012, Marine Le Pen a terminé troisième, en récoltant près de 18% des voix, soit plus que son père.
Depuis son arrivée à la tête du Front national, la politicienne charismatique a mis en place une politique de «dédiabolisation» du parti d'extrême droite pour en faire une formation comme les autres sur l'échiquier politique français.
Cette stratégie semble donner des résultats. Aux élections européennes de mai 2014, le Front national a fait un score historique en France en terminant au premier rang et en récoltant près de 25% du suffrage.
La montée du Front national n'est pas un phénomène unique en Europe. Aux quatre coins du continent, les partis extrémistes (de gauche et de droite) ont le vent dans les voiles.
Lors des élections européennes en mai dernier, ces partis anti-UE ou «eurosceptiques» ont récolté 30% des voix, alors qu'ils n'en avaient obtenu que 20% en 2009.
Il va sans dire que le climat d'insécurité qui s'est instauré en France depuis le 7 janvier crée un terreau fertile pour le Front national, qui devrait continuer à poursuivre son ascension dans les intentions de vote dans l'hexagone.
Mais les Français peuvent barrer la route au parti de Marine Le Pen.
Second scénario: lutte au terrorisme et paix sociale
Si la France a une histoire souvent tragique, le pays a aussi une formidable force qui lui permet de rebondir, comme ce fût le cas après la Deuxième Guerre mondiale.
Si les attentats contre Charlie Hebdo et l'épicerie juive à Paris ont profondément ébranlé les Français, ces événements tragiques peuvent aussi marquer un nouveau départ pour la société française.
À Paris, le 11 janvier, une foule record de 1,5 million de citoyens de toutes origines et confessions religieuses ont marché dans les rues pour rendre hommage aux victimes des attentats et dénoncer le terrorisme. Du jamais vu depuis la Libération.
Ce qui représente une lueur d'espoir pour ce pays qui peine à intégrer les immigrants et les Français musulmans nés en France, qui habitent la plupart du temps dans des banlieues ressemblant souvent à des ghettos.
Cela dit, la France ne réglera pas du jour au lendemain ses problèmes d'intégration et de cohésion sociale, préviennent les analystes.
Mais si le gouvernement réussit à combattre l'islamisme radical tout en atténuant la fracture sociale, il pourrait réussir à marginaliser le discours xénophobe et d'exclusion du Front national.
Ce qui favoriserait une victoire des partis traditionnels, de gauche ou de droite, à l'élection présidentielle de 2017. Ce qui ferait pousser un grand soupir de soulagement aux autres pays européens, aux entreprises et aux investisseurs.
Mais les Français iront-ils dans cette direction?