Le Québec importe d'Allemagne une multitude de biens : des voitures, des médicaments, de la machinerie, des turbines d'éoliennes... Mais nous pouvons tirer beaucoup plus du pays champion des exportations : des pratiques pour aider les entreprises québécoises à avoir plus de succès sur les marchés internationaux. Aussi, nous avons demandé à six spécialistes en exportation de suivre notre série de reportages sur les exportateurs allemands pour en dégager des leçons utiles pour le Québec. Voici le fruit de leur analyse.
1 Donner la priorité à la productivité
Les manufacturiers allemands sont les plus productifs du monde après les Américains et les Néerlandais. Pourquoi ? Parce qu'ils investissent massivement dans l'équipement et dans les technologies de pointe. Ainsi, Kirchhoff Automotive alloue chaque année de 8 à 10 % de ses revenus pour automatiser ses chaînes de production. Au Canada, en 2009, les entreprises manufacturières n'ont consacré en moyenne que 2,4 % de leur chiffre d'affaires à l'achat de machinerie, selon le Conference Board du Canada.
Susanne Ritter, directrice de la Chambre canadienne allemande de l'industrie et du commerce à Montréal, estime que les exportateurs québécois doivent augmenter leur productivité tout en réduisant leur perte, comme le font systématiquement les manufacturiers allemands. «L'efficacité énergétique s'impose, tout comme l'utilisation de façon plus durable des ressources naturelles et d'autres facteurs de production pour minimiser les pertes et déchets.» À ses yeux, le gouvernement du Québec doit adopter des règles beaucoup plus strictes pour forcer les entreprises à devenir plus efficaces.
Les exportateurs québécois peuvent retrouver leur compétitivité perdue en raison, notamment, de l'appréciation du huard. L'Allemagne et la Bavière en sont un bel exemple, selon Daniel Curio, directeur de représentation de l'État de Bavière au Québec. «Aujourd'hui, un employé de l'industrie automobile allemande gagne trois fois plus que son collègue de la République tchèque, alors qu'à peine 200 km et une frontière ouverte séparent les deux régions», dit-il. Malgré tout, la Bavière a réussi à créer des emplois dans l'industrie automobile et dans d'autres secteurs manufacturiers.
Comment ? Elle a misé sur l'automatisation de ses chaînes de production, sur les gains de productivité et sur des produits de meilleure qualité. La réussite du constructeur automobile BMW, dont le siège social est à Munich, en est un bon exemple.
Sur le plan de la productivité, toutefois, les entreprises québécoises ont encore du chemin à faire, selon Benoit Durocher, économiste principal au Mouvement Desjardins. «Les gains de productivité de nos entreprises ont été plutôt décevants ces dernières années. Certaines investissent, mais les nouveaux investissements sont souvent destinés à la création de capacités de production, en particulier dans le secteur des ressources naturelles, et non pas à la modernisation d'installations existantes.»
2 De la qualité
Demandez autour de vous : que pensez-vous du label Made in Germany ? On vous répondra que ce sont des produits de très grande qualité. Là réside l'une des forces des manufacturiers allemands : leurs produits ne sont pas seulement bons, ils sont excellents.
Dominic Deneault, associé principal de Trebora Conseil, un cabinet spécialisé en stratégie et en gouvernance, souligne que ce n'est pas un hasard si la Chine s'est surtout tournée vers l'équipement allemand pour s'industrialiser. «Les Chinois savent que ce sont des machines de haute qualité, qui permettent d'être compétitifs.»
Le Québec doit lui aussi miser sur un nouveau label Made in Québec, estime le président des Manufacturiers et exportateurs du Québec, Simon Prévost. Il serait synonyme de produits de grande qualité, fabriqués à partir de sources d'énergies renouvelables, l'hydroélectricité principalement. «Ce label s'adresserait aux importateurs à l'étranger qui recherchent des produits à valeur ajoutée conjuguée à une faible empreinte écologique», dit-il.
3 Le manufacturier, c'est cool
Contrairement à ce qui se passe au Québec, le secteur manufacturier est très bien perçu en Allemagne, surtout chez les jeunes. Là-bas, le manufacturier, c'est «cool». Des entreprises de secteurs dits traditionnels sont d'ailleurs le fer de lance des exportations allemandes, notamment en Chine.
Selon Simon Prévost, le Québec doit valoriser le secteur de la fabrication, qui offre des emplois bien payés. La barre est haute. «Un sondage du gouvernement du Québec effectué en 2011 montre que 85 % des jeunes ne veulent pas travailler dans ce secteur», déplore-t-il. Bien entendu, il y a Bombardier et quelques autres entreprises dont les Québécois sont fiers, mais c'est l'exception qui confirme la règle, d'après lui.
«Si le Québec veut accroître ses exportations, cela passe nécessairement par le secteur manufacturier. Il n'est pas vrai que cela peut reposer seulement sur l'exportation de nos services», dit-il. Il propose le lancement d'une vaste campagne pour valoriser le secteur manufacturier au Québec. «Il faut engager tout le monde : le gouvernement, les entreprises, les syndicats, les milieux de l'éducation et les parents, ceux qui, en fin de compte, influencent le plus leurs enfants.»
Selon Dominic Deneault, Québec pourrait par exemple soutenir les associations manufacturières pour faire la promotion du côté «high-tech» et «innovateur» du secteur manufacturier afin de redorer son image auprès des jeunes. «Beaucoup de gens ne savent pas qu'une grande partie du budget de R-D de la province est alloué au secteur manufacturier. Mais au niveau de l'image, force est d'admettre que ce secteur n'est pas souvent très attirant. C'est pourquoi on doit identifier nos leaders, ceux qui innovent. On doit diffuser leur histoire, leurs réussites, leur dynamisme afin d'attirer la relève.»
4 Rigueur et vision
Jean-Michel Laurin, vice-président affaires mondiales chez les Manufacturiers et exportateurs du Canada, souligne que la réussite de l'Allemagne à l'international tient aussi à deux facteurs intangibles : la rigueur et la mobilisation.
«S'il y a deux éléments que le Québec peut retenir de la réussite de l'Allemagne, c'est la rigueur de ses entreprises à appliquer des stratégies gagnantes et la capacité des principaux acteurs de sa société à se mobiliser pour assurer la compétitivité de leur industrie manufacturière», insiste-t-il.
Par exemple, non seulement les entreprises manufacturières allemandes utilisent des technologies de fabrication avancées, mais certaines d'entre elles développent leurs propres technologies, qu'elles commercialisent avec succès ailleurs dans le monde.
Selon M. Laurin, le Québec doit aussi s'inspirer de la «relation symbiotique» entre l'industrie et le milieu de l'éducation en Allemagne. «Cette relation permet le développement d'une main-d'oeuvre industrielle ainsi qu'une culture qui valorise les professions industrielles. Cela assure ainsi aux manufacturiers allemands une main-d'oeuvre de qualité de génération en génération.»
Les exportateurs allemands ont aussi une vision à long terme des affaires. Beaucoup d'entre eux n'hésitent pas, par exemple, à investir d'importants capitaux pour construire des usines dans les pays où sont installés leurs clients, souligne Daniel Curio. Et ce ne sont pas juste de grandes entreprises comme Kirchhoff Automotive, qui a cinq usines en Allemagne et 24 usines en dehors.
«Non seulement la plupart des PME bavaroises exportatrices sont déjà présentes en Chine, par exemple, mais elles ont déjà, dans bien des cas, un site de production sur place», dit-il. Selon lui, nombre d'entreprises québécoises offrent des services de «qualité remarquable», mais il estime aussi que leurs exportations sont trop axées sur le marché nord-américain.
5 Des niches verticales
Les exportateurs allemands n'essaient pas d'être bons dans tous les secteurs, ils choisissent des niches. «Leur pénétration des marchés est très verticale. Ils cherchent à être le champion mondial dans cette niche», précise Dominic Deneault.
C'est ce que fait le fabricant de vannes de régulation des fluides Samson. En janvier, il a acheté son compatriote CERA System, un fabricant de vannes en céramique. Avec cette acquisition, Samson contrôle 15 % de ce marché mondial très spécialisé.
Avec seulement 82 millions d'habitants, l'Allemagne est le troisième pays exportateur après les États-Unis et la Chine. Les Affaires est allé rencontrer des exportateurs allemands chez eux, pour comprendre les recettes de leur succès.