Une opération des forces d'élite françaises était en cours vendredi pour « neutraliser » les frères Kouachi, deux jihadistes français accusés du massacre de douze personnes au journal Charlie Hebdo, retranchés dans une entreprise au nord-est de Paris avec un otage.
« Une intervention est en cours qui est destinée à neutraliser les auteurs du lâche attentat perpétré il y a deux jours », a déclaré le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve.
Trois hélicoptères étaient en survol stationnaire au-dessus du site de l'intervention sous état de siège, une imprimerie dans la zone industrielle de Dammartin-en-Goële, commune de 8000 habitants à une vingtaine de kilomètres de l'aéroport international de Roissy. Le plan de vol des avions a dû y être modifié, les atterrissages n'étant plus possibles sur les pistes situées dans la partie nord de l'aéroport.
Peu avant 8h GMT, un échange nourri de coups de feu s'était produit avec des policiers, qui avaient repéré, à un barrage, une voiture Peugeot 206, volée à quelques kilomètres de cette commune à une femme qui dit avoir reconnu Chérif et Saïd Kouachi, lourdement armés, selon des sources policières. Cette fusillade n'a pas fait de victimes, selon la justice française.
C'est dans cette zone rurale et boisée, placée en état d'alerte maximum, que se concentre depuis trois jours la chasse à l'homme contre les frères Kouachi, accusés de l'attaque mercredi au cri d'« Allah Akbar », la plus meurtrière en France depuis un quart de siècle.
Le Premier ministre Manuel Valls a affirmé vendredi qu'« il sera sans doute nécessaire de prendre de nouvelles mesures » pour « répondre à la "menace" terroriste » en France. Au fil des informations recueillies, la responsabilité de Saïd Kouachi a pris de l'ampleur alors que celle de son frère cadet, Chérif, fiché par les services antiterroristes en France, avait dans un premier temps était mise en avant.
Liste noire américaine
A Washington, des responsables américains ont révélé que les frères d'origine algérienne, Chérif, 32 ans, et Saïd Kouachi, 34 ans, se trouvaient depuis des années sur la liste noire américaine du terrorisme, et que Saïd Kouachi s'était entraîné au maniement des armes au Yémen en 2011.
Les frères Kouachi étaient sur « notre liste de surveillance depuis des années », a précisé un responsable américain des forces de l'ordre sous le couvert de l'anonymat.
Les deux hommes étaient notamment sur la « No Fly List » qui interdit à ceux qui y figurent de prendre des vols au départ ou à destination des Etats-Unis.
Ajoutant à l'inquiétude face à la menace jihadiste, le chef du MI5, le service de renseignement intérieur britannique, a déclaré jeudi qu'un groupe islamiste extrémiste se trouvant en Syrie projetait « des attentats de grande ampleur » en Occident.
Une conférence internationale sur le terrorisme a été convoquée dimanche à Paris.
Au lendemain d'une journée de deuil national, une troisième réunion de crise a débuté vendredi matin à l'Elysée autour du président socialiste François Hollande et du Premier ministre Manuel Valls, centrée sur les recherches et les dispositifs de sécurité sur le territoire, mais elle a été écourtée en raison du développement des événements.
Dans une atmosphère d'union sacrée, les représentants de l'islam de France ont appelé les fidèles à condamner le terrorisme et à « rejoindre massivement la manifestation nationale » à la mémoire des victimes prévue dimanche à Paris.
Hommage dans les mosquées
Vendredi, jour de prière pour les musulmans, un hommage spécifique devait être rendu aux victimes de l'attentat dans toutes les mosquées de France, alors que les insurgés islamistes somaliens shebab ont de leur côté rendu hommage vendredi aux « deux héros » auteurs présumés de l'attaque.
« Charlie Hebdo a insulté notre prophète et outré des millions de musulmans. Les deux frères (soupçonnés de la tuerie) sont les premiers à s'être vengés », dit le communiqué lu sur les ondes de la radio Andalus, la station officielle du mouvement. La veille le groupe jihadiste Etat islamique (EI) les avait aussi qualifiés de « héros ».
Cet attentat a provoqué une onde de choc dans tout le pays et à l'étranger. Des pancartes, tweets et inscriptions « Je suis Charlie » ont fleuri par milliers en hommage aux 12 morts, dont huit membres de l'équipe Charlie Hebdo et deux policiers, et fait onze blessés.
Dans un geste très remarqué, le président américain Barack Obama s'est rendu jeudi à l'ambassade de France à Washington pour rendre hommage aux victimes de l'attentat en signant le livre de condoléances ouvert à l'ambassade.
« Nous avançons ensemble, convaincus que la terreur ne vaincra pas la liberté et les idéaux qui sont les nôtres, les idéaux que illuminent le monde. Vive la France! », a-t-il écrit, ces trois derniers mots écrits en français.
L'équipe de Charlie Hebdo a annoncé que l'hebdomadaire sortirait un « numéro de survivants » mercredi, avec un tirage exceptionnel d'un million d'exemplaires, contre 60.000 habituellement.
Le climat de tension extrême qui règne en France depuis l'attentat - certains éditorialistes et hommes politiques n'hésitant pas à parler de « guerre » - a été exacerbé avec une nouvelle attaque jeudi matin à Montrouge, près de Paris. Elle a coûté la vie à une jeune policière stagiaire, et un agent municipal a été blessé.
Le suspect a été identifié et deux interpellations se sont produites dans son entourage proche vendredi, a-t-on appris de sources proches du dossier.
Le président François Hollande devait poursuivre vendredi des entretiens avec les dirigeants politiques, conviés à une grande « marche républicaine » dimanche, à laquelle il pourrait participer.
L'« union nationale » prônée par le chef de l'Etat a été entamée par une polémique avec le Front national (extrême droite), qui a dénoncé son « exclusion » du rassemblement.