Toutes les polices de France sont lancées aux trousses de deux frères, dont un jihadiste connu des services antiterroristes, suspectés d'être les auteurs de la tuerie à Charlie Hebdo, alors qu'une fusillade aux portes de Paris a aggravé jeudi matin la tension dans le pays.
Douze personnes, dont les dessinateurs emblématiques Cabu et Wolinski, ont été tuées dans l'attaque à la kalachnikov en plein cœur de Paris contre le journal satirique, objet de menaces constantes depuis la publication de caricatures de Mahomet fin 2011.
L'attentat, qui a également fait onze blessés dont quatre graves, a soulevé une vague d'émotion dans le pays, appelé à se recueillir jeudi en hommage aux victimes pour un deuil national. Une minute de silence sera observée à midi, quand les églises du pays sonneront le glas.
Un grand rassemblement d'hommage aux victimes, qui doit prendre la forme d'une « marche républicaine » se déroulera dimanche après-midi à Paris, de la place de la République à la place de la Nation, selon le député PS François Lamy qui s'occupe de l'organisation.
La police a diffusé dans la nuit de mercredi à jeudi les photos de suspects, Chérif et Saïd Kouachi, 32 et 34 ans, deux frères, nés à Paris et de nationalité française, « susceptibles d'être armés et dangereux ».
Chérif Kouachi avait été condamné en 2008 pour participation à une filière d'envoi de combattants en Irak. Mais il avait purgé sa peine et aucun élément ne présageait d'un passage à l'acte imminent, a assuré jeudi matin le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve.
« Il n'y a pas de risque zéro » face au risque d'attentat, a renchéri Manuel Valls.
Les enquêteurs sont notamment remontés à eux par des analyses génétiques et une carte d'identité retrouvée dans une voiture abandonnée par les fuyards dans leur fuite après l'attaque, selon une source proche du dossier.
Le troisième homme visé par l'avis de recherche, Mourad Hamyd, beau-frère de Chérif Kouachi âgé de 18 ans, s'est rendu dans la soirée au commissariat de Charleville-Mézières (Ardennes).
Au total, sept personnes « dans l'entourage » des frères Kouachi ont été placées en garde à vue, et des opérations de « perquisitions et de vérifications » de lieux liés aux suspects ont été menées à Reims, Charleville-Mézières, Strasbourg, ou encore Pantin et Gennevilliers en région parisienne.
La République 'agressée'
Le climat de tension au lendemain du pire attentat depuis plus de 50 ans en France a été encore aggravé par une fusillade au cours de laquelle un homme a tiré à l'arme de guerre sur des policiers municipaux tôt jeudi au sud de Paris, tuant une policière et blessant très grièvement un agent municipal.
Un homme a été interpellé, mais l'auteur présumé était en fuite, selon Bernard Cazeneuve. Il n'y avait dans l'immédiat « pas de lien établi avec l'attentat de Charlie Hebdo », selon des sources proches du dossier.
Assurant que « c'est la République toute entière qui a été agressée », François Hollande a annoncé mercredi soir dans une allocution solennelle une « journée de deuil national » jeudi, mesure rarissime. Le président de la République, qui a reçu jeudi matin à l'Elysée son prédecesseur et président de l'UMP Nicolas Sarkozy, y participera à la Préfecture de police de Paris.
Témoignant du choc, de nombreux quotidiens se sont couverts de noir jeudi. « Nous sommes tous Charlie », clament Libération et Le Figaro, référence au cri de ralliement dans les manifestations ou sur internet: « Je suis Charlie ».
Parmi les victimes figurent Charb, Wolinski, Cabu, Tignous et Honoré, des historiques de « Charlie » connus pour leurs dessins irrévérencieux, ainsi que le chroniqueur économique Bernard Maris.
L'hebdomadaire faisait l'objet d'une protection policière depuis la publication des caricatures de Mahomet fin 2011. Le siège du journal avait été détruit par un incendie criminel à cette époque.
Selon un survivant, les agresseurs, cagoulés et vêtus de noir, ont fait irruption vers 11H30 en pleine conférence de rédaction, ouvrant le feu en criant: « Nous avons vengé le prophète! » et « Allah akbar ».
Deux policiers ont été tués. L'un assurait la protection de Charb, directeur du journal. L'autre, blessé dans la rue et à terre, a été achevé à bout portant par un assaillant.
Des tirs ont été échangés avec les forces de l'ordre. Les assaillants ont ensuite pris la fuite en voiture et braqué un automobiliste avant de semer les policiers.
'Fusils contre stylos'
Le plan Vigipirate a été relevé au niveau le plus élevé en Ile-de-France et les sorties scolaires suspendues. Près de 500 CRS et gendarmes mobiles ont été mobilisés en renfort dans la capitale, ainsi que 350 militaires.
L'attaque a suscité une vague d'émotion, avec plus de 100.000 personnes rassemblées mercredi soir dans plusieurs villes de France, notamment Paris, Rennes et Lyon, avec des pancartes « Liberté d'expression, non à la connerie », ou encore « Des fusils contre des stylos ». Des rassemblements ont également eu lieu dans nombre de capitales européennes.
L'indignation a gagné le monde, de John Kerry, qui s'est exprimé en français, à Vladimir Poutine. Le Conseil de sécurité de l'ONU a dénoncé un attentat « lâche et barbare », le pape François un acte « abominable ».
La France est militairement engagée sur plusieurs terrains contre des groupes militaires jihadistes, notamment dans la zone sahélo-saharienne. Des avions français participent aussi aux bombardements en Irak contre le groupe État islamique (EI).
Les services de sécurité français redoutent que des jihadistes partis en Syrie et en Irak, au nombre d'un millier déjà, commettent des attentats à leur retour en France.