L'Ukraine s'est déclarée dimanche "au bord du désastre" suite à la "déclaration de guerre" de la Russie et semblait perdre rapidement le contrôle de la Crimée, alors que l'Occident cherchait une issue à l'un des plus graves conflits de son histoire avec Moscou.
"Si le président (russe Vladimir) Poutine veut être le président qui a commencé une guerre entre deux pays voisins et amis, il est tout près d'atteindre son objectif. Nous sommes au bord du désastre", a lancé dimanche Arseni Iatseniouk, Premier ministre de cette ancienne république soviétique, suite à la menace choc de la Russie d'intervenir militairement sur son territoire.
"C'est l'alerte rouge. Ce n'est pas une menace, c'est en fait une déclaration de guerre à mon pays", a-t-il ajouté, s'exprimant en anglais, comme pour mieux se faire entendre de la communauté internationale.
Le président par intérim, Olexandre Tourtchinov, a de son côté répété dimanche que Kiev espérait parvenir à une solution "pacifique" à la crise. Mais un autre haut responsable a parallèlement annoncé la mobilisation des réservistes ukrainiens afin d'assurer "la sécurité et l'intégrité du territoire".
A Kiev, environ 50.000 personnes se sont rassemblées dimanche en milieu de journée sur le Maïdan, la place de l'Indépendance, a constaté un journaliste de l'AFP. "Nous ne nous rendrons pas !" ont-ils crié à l'adresse de la Russie. Certains portaient des pancartes proclamant: "Poutine, bas les pattes de l'Ukraine !"
"Nous sommes prêts à défendre l'Ukraine les armes à la main", a déclaré un d'eux, Myroslav Storojenko, 27 ans, un homme d'affaires de la région de Kiev.
L'ancien président géorgien pro-occidental, Mikheïl Saakachvili, a harangué la foule depuis le podium: "Poutine est intervenu chez vous, ce n'est pas un signe de force mais un signe d'agonie. Il n'y a pas de trouillards ici !"
Mise en garde très ferme
L'annonce de Moscou samedi, après avoir initialement semblé prendre de court les Occidentaux, a provoqué un tollé international.
"Ce que fait la Russie en Ukraine viole les principes de la Charte des Nations unies. Cela menace la paix et la sécurité en Europe", a affirmé le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, juste avant le début d'une réunion de crise à Bruxelles.
"La Russie doit cesser ses activités militaires et ses menaces", a-t-il ajouté.
Plusieurs pays européens ont annoncé le rappel de leurs ambassadeurs en Russie tandis que la France et la Grande-Bretagne suspendaient leur participation aux préparatifs du sommet du G8 prévu en juin à Sotchi (Russie).
Sont attendus à Kiev dans la journée le ministre des Affaires étrangères britannique, William Hague, et son homologue grec, Evangelos Venizelos, dont le pays occupe la présidence tournante de l'UE.
Les Etats-Unis avaient exigé samedi de la Russie qu'elle replie ses forces déployées en Crimée, faute de quoi elle s'exposerait à un isolement international et à un impact "profond" sur ses relations avec Washington.
Lors d'un appel téléphonique de 90 minutes, le président américain, Barack Obama, a affirmé à son homologue russe, Vladimir Poutine, qu'il avait violé la loi internationale en déployant des soldats russes en Crimée, dans le sud de l'Ukraine. Et il l'a exhorté à discuter pacifiquement avec les autorités de Kiev de ses inquiétudes sur le traitement des russophones dans le pays, a annoncé la Maison Blanche dans un communiqué.
Les mouvements militaires russes sont une "claire violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, ce qui est une infraction à la législation internationale", a déclaré M. Obama à M. Poutine, selon la présidence américaine. "Les Etats-Unis condamnent l'intervention russe en territoire ukrainien".
"Les Etats-Unis appellent la Russie à faire baisser les tensions en repliant ses forces dans leurs bases de Crimée et à s'abstenir de toute interférence ailleurs en Ukraine", a-t-il ajouté.
Le secrétaire d'Etat, John Kerry, a été encore plus ferme, fustigeant "l'invasion et l'occupation" de l'Ukraine par la Russie, qui menacent "la paix et la sécurité" dans la région.
"La Russie est traditionnellement notre amie. Nous souhaitons d'un ami traditionnel autre chose qu'un bruit de bottes", a lancé de son côté dimanche le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, qui a appelé à une "médiation" dans les meilleurs délais.
La Russie n'a pas répondu directement à ces accusations mais a initié une guerre médiatique, les médias publics russes et les autorités appelant à l'unité nationale contre "les fascistes qui ont pris le pouvoir à Kiev".
Les agences de presse russes ont diffusé dimanche des informations selon lesquelles des militaires ukrainiens de Crimée désertaient en masse, délaissant leurs unités qui passent aux mains de forces d'autodéfense pro-russes assurant l'ordre dans la région. Ces informations vagues et imprécises ont été démenties par le ministère ukrainien de la Défense.
Mainmise des pro-Russes en Crimée
Mais la tension semblait néanmoins monter dimanche en Crimée entre les deux camps, même si aucun combat n'a été rapporté.
Le ministère ukrainien de la Défense a indiqué qu'un millier d'hommes armés bloquaient dimanche l'entrée d'une unité des gardes-côtes ukrainiens à Perevalne (près de Simféropol, chef lieu de la Crimée) afin de les contraindre à rendre les armes.
Olexandre Tourtchinov avait indiqué plus tôt dans la matinée qu'un commandant russe avait donné aux militaires ukrainiens de Crimée "jusqu'à 05H00 (03H00 GMT)" dimanche pour rendre les armes, ce qu'ils ont refusé de faire.
Selon un média local, quelque 400 fusiliers marins ukrainiens étaient bloqués dimanche matin dans leur base à Feodossia, port à 200 km de Simféropol, par des militaires russes, qui exigeaient là aussi qu'ils rendent leurs armes.
A Simféropol, capitale de la Crimée, les rues menant au centre-ville étaient bloquées et les mystérieux hommes armés qui s'étaient emparés du bâtiment du Parlement jeudi n'étaient plus visibles à ses abords dimanche matin. Ils étaient en revanche toujours présents près du bâtiment du gouvernement local, où le drapeau russe continuait de flotter.
Soucieux de stabiliser la situation dans les régions orientales russophones de l'Ukraine, où des turbulences et manifestations russes avaient déjà été signalées samedi, le gouvernement central devait annoncer la nomination de deux richissimes et influents oligarques ukrainiens, Serguiï Tarouta et Igor Kolomoïski aux postes de gouverneurs des régions de Donetsk et Dnipropetrovsk, selon les médias ukrainiens.
Des manifestations pro-Ukraine rassemblant entre 1.000 et 10.000 personnes se sont par ailleurs déroulées dimanche dans les villes de Kharkiv, Dnipropetrovsk et Zaporijia, selon le journal Ukrainskaïa Pravda.