Guerre en Ukraine, morcellement de l'Irak, montée du terrorisme en Afrique... Les foyers de tensions géopolitiques ne manquent pas sur la planète, compliquant la vie des entreprises et des investisseurs. Mauvaise nouvelle: la situation ne va pas s'améliorer, car nous nous dirigeons vers un monde plus instable, selon le grand spécialiste en relations internationales Zbigniew Brzezinski.
Dans une longue interview accordée au magazine américain Foreign Policy, l'ancien conseiller à la sécurité nationale du président américain Jimmy Carter (de 1977 à 1981) souligne qu'il y a longtemps que le monde n'a pas été aussi instable, et ce, dans un contexte où les États-Unis peinent de plus en plus à imposer la «Pax America» aux quatre coins du globe.
Durant la Guerre froide, le monde était relativement stable, car les États-Unis et l'ex-URSS étaient au coeur des relations internationales. Ce qui n'a pas empêché le déclenchement de conflits ou de tensions géopolitiques, de la crise des missiles à Cuba (en 1962) à la guerre du Vietnam (de 1954 à 1975) à l'invasion soviétique de l'Afghanistan (de 1979 à 1989).
Après la chute du mur de Berlin et la fin de la Guerre froide au tournant des années 1990, les États-Unis sont devenus du jour au lendemain la seule superpuissance de la planète, une situation assez unique dans l'histoire. Une domination politique qui s'est du reste avérée beaucoup moins longue que ne l'avaient prévu la plupart des analystes géopolitiques.
Aujourd'hui, les États-Unis demeurent la principale superpuissance. Leur hégémonie est toutefois contestée par des puissances montantes, au premier chef la Chine. Le pivot géostratégique des Américains vers la région de l'Asie-Pacifique témoigne de ce phénomène et de la volonté de Washington de contenir la Chine, notamment pour rassurer ses alliés comme le Japon.
À terme, l'arrivée de nouvelles puissances sur l'échiquier mondial changera la donne pour les entreprises et les investisseurs, disent les analystes. On l'oublie trop souvent, mais la libre circulation des marchandises sur les mers du monde est possible essentiellement grâce à la présence de la marine américaine, qui sécurise et pacifie les principales voies commerciales.
Que se passera-t-il dans les prochaines décennies lorsque la marine américaine et la marine chinoise se feront concurrence dans certaines parties du monde? Certes, les États-Unis et la Chine ont tout intérêt à ne pas perturber les flux du commercial international. Cela dit, des tensions entre les deux pays pourraient créer de l'incertitude en Asie-Pacifique.
Qui sécurisera le Moyen-Orient?
Le déclin relatif de la puissance américaine posera aussi tout un défi au Moyen-Orient, où la montée de l'État islamique - qui a prononcé l'établissement d'un califat sur les territoires que l'organisation djihadiste contrôle en Syrie et en Irak - crée une onde de choc dans la région. Comme les États-Unis y perdent de l'influence, qui pendra la relève pour pacifier la région?
La Turquie? L'Égypte? L'Iran? Israël, l'Arabie saoudite et les autres monarchies sunnites du golfe Persique verraient d'un très mauvais oeil l'Iran - un pays chiite - devenir une puissance hégémonique au Moyen-Orient. De reste, un équilibre des puissances est-il possible dans cette région du monde si instable? Chose certaine, les risques géopolitiques n'y diminueront pas dans un avenir prévisible.
On note cette même montée de l'instabilité politique en Europe orientale, une région que l'on pensait pourtant pacifiée depuis la fin de la Guerre froide. La guerre en Ukraine et les interventions (directes et indirectes) de la Russie dans les pays limitrophes de son territoire ces dernières années montrent que les spécialistes s'étaient trompés.
Quelles puissances peuvent pacifier cette région du monde? Les pays européens, en premier lieu la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et la Pologne, qui abritent les cinq principales armées de l'Union européenne? Les réticences des Européens à imposer des sanctions économiques à la Russie montrent toutefois que leurs moyens et leur volonté politique sont limités - le manque de cohésion politique des Européens fait en sorte que l'Union européenne n'est pas non plus un acteur de premier plan pour pacifier le reste du monde.
Il reste bien entendu les États-Unis. Mais Washington voudra-t-il mettre le point sur la table pour stabiliser et sécuriser l'Europe orientale, alors que la priorité de Washington est de contenir la Chine? Dans cette partie du continent européen, les entreprises et les investisseurs devront aussi apprendre à évoluer dans un environnement plus instable, tout comme du reste en Afrique, où aucun pays - ou groupes de pays - n'est assez fort pour stabiliser le continent.
Zbigniew Brzezinski n'est pas pessimiste pour autant. Car, selon lui, les États-Unis et la Chine devront apprendre à collaborer afin d'assurer une relative stabilité mondiale. Ce «G2» pourrait même jouer un rôle de gendarme pour pacifier des régions instables comme en Afrique ou au Moyen-Orient. Bref, les intérêts économiques et politiques de Washington et Pékin les inciteront à s'entendre pour que la mondialisation de l'économie et des marchés se poursuivent. Mais préparez-vous: le monde sera plus instable, prévient l'ancien conseiller de Jimmy Carter.