ANALYSE - L'Arabie Saoudite n'est pas seulement partie en guerre contre les producteurs de pétrole non conventionnels en faisant chuter le prix de l'or noir: le royaume saoudien essaie aussi de remodeler la carte politique du Moyen-Orient en faisant pression sur l'Iran et la Russie, soutiennent des analystes géopolitiques.
Depuis des semaines, bon nombre d'économistes et d'analystes financiers martèlent que le refus de l'Arabie Saoudite de réduire sa production tient essentiellement à sa volonté d'éliminer des concurrents, comme le pétrole de schiste, aux États-Unis, ou les sables bitumineux, au Canada.
Il est vrai que la chute d'environ 50% (en date du 23 décembre) du cours du baril de pétrole depuis la mi-juin affecte la rentabilité de plusieurs producteurs non conventionnels en Amérique du Nord - et ailleurs dans le monde.
À la mi-décembre, la firme Goldman Sachs estimait d'ailleurs que des prix avoisinant les 60$ US mettaient à risque pour près de 1 000 milliards de dollars américains de projets pétroliers dans les prochaines années.
Cela dit, l'Arabie Saoudite ne veut pas seulement préserver ses parts de marché en gardant les prix de l'or noir si bas: elle jouerait une partie d'échecs géopolitique.
Même si le royaume ne le dit pas ouvertement, il voudrait atteindre deux objectifs politiques, selon des analystes en géopolitique.
Objectif #1: forcer l'Iran à renoncer à la bombe atomique
Premièrement, l'Arabie Saoudite voudrait forcer l'Iran à renoncer à se doter de l'arme atomique. L'Iran et le groupe P5 + 1 (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne) ont jusqu'en juin 2015 pour s'entendre sur un accord concernant le nucléaire iranien - cet ultimatum pourrait être du reste repoussé, comme il a été en novembre 2014.
L'Iran est le sixième producteur de pétrole au monde, selon le The World Factbook de la CIA, l'agence américaine du renseignement.
Dans le contexte actuel, la chute des cours pétroliers réduit les revenus du gouvernement iranien qui doit déjà composer avec une économie domestique affaiblie par des années de sanctions internationales ( États-Unis, Europe, ONU).
Le pari des Saoudiens? L'effondrement des prix du pétrole forcera la main aux Iraniens, et les incitera à renoncer à se doter de l'arme atomique. En contrepartie, les grandes puissances élimineraient à terme les sanctions qui étouffent son économie.
Objectif #2: forcer la Russie à ne plus soutenir la Syrie
Deuxièmement, en faisant baisser les cours pétroliers, l'Arabie Saoudite voudrait aussi forcer la main de la Russie, le troisième pays producteur de pétrole au monde.
La Russie est un pays allié de l'Iran chiite - les deux États ont tissé des liens étroits sur les plans commercial et militaire. Or, la Russie soutien le régime chiite de Bachar Al-Assad en Syrie, et ce, au grand dam de l'Arabie Saoudite sunnite qui veut sa chute.
Le pari des Saoudiens? L'effondrement du prix du pétrole forcera la Russie - les exportations russes de pétrole représentent 60% des exportations totales du pays - à revoir ou du moins à atténuer son soutien à la Syrie.
Si les analystes géopolitiques ont raison, et que l'Arabie Saoudite cherche avant tout à faire pression sur l'Iran et la Russie, les investisseurs devront s'armer de patience, car les prix du pétrole pourraient demeurer bas plus longtemps que prévu.
Des mois, des années? Bien malin qui peut le prédire avec certitude. De plus, la politique de l'Arabie Saoudite pourrait ne pas donner les résultats escomptés.
Car, si les prix du pétrole demeurent bas trop longtemps, cela éliminera des producteurs, réduira l'offre pétrolière, et fera augmenter à terme de nouveau les cours de l'or noir.