Le refus de la Chine d'accorder aux manifestants hongkongais les libertés politiques qu'ils réclament risque de provoquer une crise au long cours. Mais jusqu'où Pékin est-il prêt à aller pour éviter que la fièvre prodémocratique ne se propage sur le continent?
Pour les analystes, la Chine est dans une position délicate: une riposte trop musclée pourrait nuire à la réputation de havre capitaliste de l'ex-colonie britannique, mais un laisser-faire total pourrait susciter des vocations prodémocratiques sur le continent.
«La Chine regarde tout ça avec une grande nervosité», explique Michael Kugelman, spécialiste de l'Asie au centre international de chercheurs Woodrow Wilson International. «Nous nous approchons d'un tournant».
Le mouvement prodémocratie qui couve depuis des semaines dans la région autonome sous administration chinoise s'est brusquement intensifié dimanche. La répression policière qui a fortement choqué les manifestants n'a fait que les inciter à descendre plus nombreux dans la rue.
La raison profonde de la grogne tient à la perception qu'ont les Hongkongais d'une ingérence croissante de Pékin dans les affaires politiques de la ville matérialisée par son refus de démocratiser totalement le processus électoral.
Impasse
Les manifestants ont promis d'aller jusqu'au bout de leurs revendications, mais peu d'analystes s'attendent à ce que Pékin fasse des concessions: l'impasse semble totale, tant du point de vue du mouvement prodémocratique que des autorités chinoises.
Le Parti communiste chinois au pouvoir redoute la contagion. Il exerce depuis toujours un contrôle rigoureux sur la société chinoise, tuant dans l'oeuf toute protestation publique ou action organisée susceptible de provoquer de l'«agitation sociale».
Mais les observateurs relèvent un nouveau tour de vis sous Xi Jinping, à la tête du parti depuis 2012 et de l'Etat depuis début 2013. Une vague de répression s'est abattue sur les milieux intellectuels et dissidents. Des dizaines de journalistes, avocats, militants des droits de l'homme ou blogueurs sur l'internet ont été emprisonnés ou intimidés.
Les autorités chinoises ont censuré dans les médias sociaux toute information relative à l'agitation dans l'ancienne colonie britannique, y compris les échanges de photos sur l'application Instagram pour les smartphones.
«La Chine a toujours la capacité et le désir de contrôler l'information qui arrive chez elle», souligne Michael Kugelman.
Car «ce qui se passe» à Hong Kong «ne concerne pas seulement l'avenir de Hong Kong, cela concerne aussi l'avenir de la Chine», a dit l'artiste et dissident chinois Ai Weiwei lundi à la chaîne CNN, évoquant un «moment fragile».
Contrôle de Pékin
Le chef de l'exécutif hongkongais, Leung Chun-ying, a opposé une fin de non-recevoir aux manifestants et exigé la fin de leurs actions qualifiées «d'illégales».
Les autorités locales «sont impuissantes car Pékin tente de tout contrôler étape par étape», explique Surya Deva, professeur à la City University de Hong Kong.
D'après les analystes, toute tentative de dispersion des manifestations pourrait radicaliser le mouvement, ce qui porterait un grave coup à l'image de Hong Kong, réputée être un havre de la finance et des affaires.
L'ancienne colonie est devenue l'emblème du capitalisme triomphant grâce à la transparence, aux facilités accordées aux entreprises et à l'Etat de droit.
Son économie ne pèse qu'une fraction de ce que pèse l'économie chinoise, ce qui était loin d'être le cas au moment de la rétrocession en 1997. Mais Hong Kong reste la porte d'entrée privilégiée pour les sociétés internationales qui veulent faire affaire avec la Chine.
Hong Kong est toujours «stratégique» pour Pékin, dit Michael Kugelman. «C'est toujours un centre financier puissant, alors il semble peu vraisemblable que les Chinois puissent la reléguer à l'arrière-plan».
Et la Chine aspire à «être un acteur responsable au plan international, ce qui n'était pas le cas en 1989» lors de la repression du mouvement démocratique de Tiananmen à Pékin, dit-il. Ce qui n'exclut pas la possiblité d'affrontements. «Si la violence est utilisée contre les manifestants, tout est possible».
Les milieux d'affaires n'ont de cesse, eux, d'appeler au dialogue pour mettre fin à l'impasse. Mais faute de concession prévisible de la part de Pékin, il est difficile de voir à quoi de telles discussions pourraient mener.