ANALYSE - Les critiques sont nombreuses à l'égard des bombardements de la coalition internationale contre le groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie, car ils blessent et tuent des civils. Ces critiques ont raison, mais beaucoup oublient qu'une non-intervention suivie d'une victoire de l'EI aurait aussi un impact majeur sur les habitants de la région, sans parler du séisme géopolitique que cela provoquerait.
Créé en 2006, l'État islamique a proclamé le 29 juin le rétablissement d'un califat - un territoire reconnaissant l'autorité d'un calife successeur de Mahomet dans l'exercice du pouvoir - sur les territoires qu'il contrôle en Irak et en Syrie. Ces territoires faisaient d'ailleurs partie jadis du califat ottoman aboli en 1924 par Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne.
Depuis le 8 août, les États-Unis bombardent sans relâche les combattants de l'EI en Irak. Et ces frappes ont été récemment étendues en Syrie, où les djihadistes sunnites (le sunnisme est le courant majoritaire de l'islam) de l'État islamique représentent la principale menace à la survie du régime chiite (le chiisme est un courant minoritaire de l'islam) de Bachar Al-Assad.
Cette situation ne manque pas d'ironie, font remarquer des analystes. Car Washington a songé à bombarder son régime, en août 2013, à la suite d’une attaque chimique qui a fait près de 1 500 morts dans une banlieue de Damas. Selon les Américains, l'armée syrienne est responsable de cette attaque.
Aujourd'hui, plusieurs pays occidentaux dirigés par les États-Unis et des pays arabes tels que l'Arabie saoudite et la Jordanie participent aux frappes aériennes contre l'État islamique - Ottawa a récemment donné le feu vert à la participation du Canada à ces attaques.
L'État islamique ne montre pas de signes de faiblesse
Or, après deux mois de bombardements intenses, les combattants de l'EI ne semblent pas montrer des signes significatifs de faiblesse sur le terrain, font remarquer plusieurs spécialistes en affaires militaires. Bien au contraire.
Ce vendredi, par exemple, les djihadistes contrôlaient une partie de la ville kurde de Kobané au nord de la Syrie, à la frontière avec la Turquie. De plus, ils menaçaient d'envahir la province d'Al-Anbar dans l'ouest de l'Irak, qui partage sa frontière avec la Syrie, la Jordanie et l'Arabie saoudite, sans parler de leur progression dans la banlieue de Bagdad, selon le site spécialisé Foreign Policy.
Cette situation fait en sorte qu'une intervention militaire sur le terrain pour combattre l'EI devient de plus en plus en plus probable à moyen terme.
Le Canadien Charles Bouchard, l'ancien commandant de la force opérationnelle interarmées multinationale, qui a conduit les raids de l'OTAN en Libye, disait d'ailleurs récemment que les frappes aériennes contre l'État islamiques ne sont « qu'une portion de la solution».
Bref, pour espérer vaincre les djihadistes, il faut aussi une intervention armée au sol, sans parler d'une politique pour répondre aux besoins politiques, sociaux, culturels et économiques des populations locales à la fin des combats.
Cela dit, les guerres en Afghanistan et en Irak dans les années 2000 nous apprennent que les interventions étrangères ne donnent pas toujours les résultats escomptés. L'actuel chaos en Irak découle en grande partie du renversement du régime sunnite de Saddam Hussein en 2003, par les États-Unis et leurs alliés, et qui a été remplacé par un régime chiite.
Vers une intervention terrestre
Le cas échéant, cette intervention terrestre contre l'État islamique cette année ou en 2015 comprendrait sans doute des soldats américains et des troupes de pays arabo-musulmans de la région. Elle viserait à appuyer l'armée irakienne qui n'arrive pas à contenir et à reprendre les territoires conquis par l'EI.
La situation se compliquerait si la coalition décidait d'intervenir en Syrie en y envoyant des soldats. Le régime de Bachar Al-Assad accepterait-il que des troupes étrangères foulent son sol, même si cet engagement visait à neutraliser les combattants de l'État islamique?
Comment réagirait Damas si la Turquie - qui souhaite la chute de Bachar Al-Assad - intervenait sur le territoire syrien pour empêcher la chute des villes kurdes du nord de la Syrie, ce qui provoquerait à coup un plus grand afflux de réfugiées kurdes sur le territoire turc?
Et comment réagirait l'Iran - l'allié chiite indéfectible de la Syrie dans la région - si une intervention étrangère en sol syrien menaçait de faire tomber le régime de Bachar Al-Assad au profit d'un gouvernement sunnite, même si l'EI était en même temps vaincu?
La plupart des analystes affirment que Téhéran s'opposerait avec vigueur à toute action qui menacerait l'existence de l'axe chiite formé de l'Irak, l'Iran, la Syrie et du Hezbollah libanais - un mouvement politique du Liban qui possède une branche armée.
Enfin, il reste un autre scénario qui, celui-là, représente sans doute le pire cauchemar des Occidentaux et des pays de la région: l'établissement durable d'un véritable État islamique en plein coeur du Proche-Orient, à cheval sur des parties de la Syrie et de l'Irak.
Ainsi, malgré une guerre d'usure, l'État islamique deviendrait une force régionale perturbatrice, avec laquelle les pays voisins devraient compter dans les prochaines années. Un État qui deviendrait sans doute une base de lancement pour des attaques terroristes en Occident et ailleurs dans le monde, estiment les spécialistes en sécurité.
Et c'est sans compter les risques que représenterait ce nouvel échiquier politique sur les entreprises et les investisseurs étrangers qui brassent des affaires ou investissent au Proche-Orient.