La Chine vient de faire un grand bond dans l'ouverture de son marché des capitaux, et le Canada est bien placé pour en profiter.
Le gouvernement chinois a annoncé lundi qu'à compter du 17 novembre, ses Bourses de Shanghai et de Hong Kong seront reliées. Ce qui veut dire que dorénavant - et pour la première fois - les entreprises inscrites à la Bourse de Hong Kong pourront attirer des capitaux sur le marché boursier de Shanghai, et vice versa.
Comme toujours en Chine, cette ouverture se fera de façon progressive. Pour l'instant, la capitalisation admissible se limite à 100 milliards de dollars canadiens (550 milliards de yuans). Le potentiel de capitalisation de ces deux Bourses est d'environ 3 000 G$. À titre de comparaison, celle de la Bourse de Toronto atteignait 2 545 G$ en septembre dernier.
De plus, la Chine a choisi d'établir à Toronto son premier centre d'échange du yuan en Amérique. (Le yuan est la monnaie chinoise, aussi connue sous le nom de renminbi ou RMB). Ce centre panaméricain est opérationnel depuis que le premier ministre canadien, Stephen Harper, en a fait l'annonce le 9 novembre, lors de son passage à Beijing. Selon l'Alliance des services financiers de Toronto, le nouveau centre pourrait ajouter 500 millions de dollars aux exportations canadiennes en Chine. En 2013, celles-ci se chiffraient à 20 G$.
Directeur du cabinet d'avocats canadien McMillan à Hong Kong, Stephen Wortley estime que les entreprises de deux pays bénéficieront de cette internationalisation : «Si on les paie dans leur devise, les entreprises chinoises seront plus facilement disposées à consentir de meilleures conditions commerciales, voire de meilleurs prix à leur partenaire, fait valoir M. Wortley. Cela diminue leurs risques de monnaie, ainsi que les frais de change». Et si le RMB s'apprécie, cela représente un avantage supplémentaire pour les deux partenaires.
Le choix de Toronto - plutôt que New York - comme centre extraterritorial (offshore) américain est avant tout géopolitique. «Les États-Unis n'ont pas intérêt à faire la promotion du yuan», indique Eric Lemieux, de Finance Montréal. Le Canada est perçu comme une compétence «plus amicale», renchérit Stephen Wortley. Et n'oublions pas que, depuis l'an dernier, le Canada est la deuxième destination étrangère de l'investissement chinois, rappelle Stephen Wortley. «Les relations entre les deux pays ont subi une transformation formidable, à un moment où la Chine accélère ses changements.»
Quant à la liaison boursière Shanghai-Hong Kong, «elle ouvre le robinet des investisseurs boursiers de la Chine continentale» aux entités inscrites à la Bourse de Hong Kong, poursuit-il. À l'heure actuelle, il y a relativement peu d'entreprises canadiennes cotées à la fois à Toronto et à Hong Kong, soit une demi-douzaine ; mais grâce à l'annonce, leur nombre devrait augmenter, estime M. Wortley. Il n'y a pas que les sociétés cotées à Hong Kong qui vont profiter de la liaison boursière : les investisseurs aussi, par l'intermédiaire des fonds d'investissement à Hong Kong.
Pour Sandy Chim, président de la petite société minière canadienne Century Iron Mines (CIM), qui développe plusieurs projets de mine de fer dans la fosse du Labrador en partenariat avec le géant de l'acier chinois Wisco et qui lorgne une inscription à la Bourse de Hong Kong, les deux annonces sont d'excellentes nouvelles.
«Cela prépare le terrain pour l'avenir. Aujourd'hui, mon entreprise n'est pas assez capitalisée pour être admissible [le programme n'accepte pas les petites capitalisations], mais lorsqu'elle grandira, j'aurai accès aux capitaux de la Chine continentale en plus de ceux de Hong Kong. Cela élargira ma base d'actionnaires. C'est d'autant plus pertinent pour moi que la Chine continentale est la destination de mon produit, le fer canadien», explique- t-il. D'autre part, l'établissement d'un centre extraterritorial d'échange du yuan permet à CIM d'être sur un pied d'égalité avec ses concurrentes australiennes, qui s'apprêtent à ouvrir un centre d'échange à Sidney. «Plutôt que d'avoir à convertir sa monnaie en dollar américain puis en dollar canadien pour investir chez moi, mon partenaire chinois n'aura qu'une conversion à faire. Et ce sera pareil pour moi quand je lui livrerai des dividendes.»
Effet sur les investissements directs
Le nouveau centre extraterritorial d'échange de la monnaie chinoise ainsi que le démarrage de la liaison boursière s'inscrivent dans la volonté du gouvernement chinois de libéraliser davantage son marché des capitaux, explique Vincent Lee, directeur des relations extérieures de l'Autorité monétaire de Hong Kong.
Les choses se sont faites graduellement. C'est à Hong Kong que le premier centre extraterritorial pour le RMB a été ouvert en 2009. Ensuite, d'autres villes se sont ajoutées, notamment Francfort, Londres et Singapour. Puis, en 2012, tout le commerce extérieur de la Chine pouvait être fait en RMB.
La libéralisation de la devise chinoise ne touche pas que le commerce. Depuis 2011, elle vise aussi l'investissement direct. Et de 2010 à 2013, on a graduellement ouvert l'investissement en portefeuille, lequel demeure toutefois limité par des quotas. Mais dans tous les cas, les progressions ont été importantes.
Plusieurs organisations canadiennes ont participé aux échanges de RMB par Hong Kong : selon des données fournies par l'Autorité monétaire de Hong Kong, l'agence Exportation et développement Canada a émis 101 M$ d'obligations en RMB et la province de la Colombie-Britannique, 2,5 G$.
Des banques canadiennes sont aussi dans le coup : la Banque de Montréal, la Banque Scotia, la Banque Nationale, CIBC et la Banque Royale. L'avantage a été d'autant plus grand que les rendements sur le dollar américain étaient relativement faibles, jusqu'à maintenant.
L'internationalisation du RMB représente «d'énormes occasions pour les sociétés chinoises et étrangères», fait valoir Vincent Lee. «Dans le commerce, cela aide à avoir de meilleurs prix et un meilleur accès aux fournisseurs. Dans l'investissement direct, cela élimine le risque d'écart entre les investissements et le revenu. Et dans l'investissement de portefeuille, cela représente une nouvelle catégorie d'actifs pour les investisseurs.»
32 % des investissements directs effectués en Chine étaient libellés en yuans chinois lors de la première moitié de 2014. Cette proportion était de seulement 5 % en 2011. À l'opposé, 18 % des investissements directs à l'extérieur de la Chine étaient libellés en yuans chinois lors de la première moitié de 2014. Ce taux était de 4 % en 2011. Source : Autorité monétaire de Hong Kong