La Chine, sa mutation, nos entreprises- Série 5/5: Deuxième partenaire commercial du Québec, en voie de devenir la première économie mondiale, la Chine poursuit sa grande mutation. De retour d’un voyage de deux semaines dans trois villes stratégiques de l’empire du Milieu : Hong Kong, Shanghai et Beijing, notre journaliste raconte comment des PME québécoises ont profité des nouvelles occasions d’affaires qu’offre cette quête de modernité.
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Le « père des Québécois à Hong Kong »
Il a plus de 60 ans, mais en paraît 50. C’est son expérience qui trahit son âge : Bernard Pouliot a été un pionnier à Hong Kong. On l’appelle d’ailleurs le « père des Québécois à Hong Kong ». C’est lui qui y a ouvert le premier bureau de la Banque Nationale du Canada (BNC) en 1978. Et il y est resté, car son amour pour Hong Kong est aussi fort que celui qu’il porte au Québec, dont il reste un grand ambassadeur.
« Je suis arrivé ici et j’ai eu un coup de foudre instantané ! » raconte-t-il pendant notre repas de dim sum au prestigieux China Club, dont le décor rappelle la période coloniale britannique.
« Je me souviens très bien de ce samedi matin où, encore sous l’effet du décalage horaire, je me suis assis au Coffee House de mon hôtel, et j’ai parcouru de bout en bout le South China Morning Post. Je me suis senti chez nous. »
Après avoir dirigé la Banque Nationale durant cinq ans, il s’est joint à une société d’investissement indonésienne à Hong Kong. En 1997, alors que la société était frappée de plein fouet par la crise financière asiatique et le transfert de Hong Kong à la Chine, il a racheté une de ses divisions, jetant les bases de Qam Limited, l’entreprise qu’il préside aujourd’hui. En plus de faire du courtage de valeurs mobilières, des placements et de la gestion de portefeuille, Qam offre un service-conseil en fusions et acquisitions. Cotée à la Bourse de Hong Kong, la société a aujourd’hui une capitalisation de 100 millions de dollars.
Bernard Pouliot a aussi été le directeur externe du fonds Asie mis en place à Hong Kong pour la Caisse de dépôt et placement du Québec. « Ce que j’aime le plus à Hong Kong, c’est que tout marche bien. C’est efficace et rapide. On investit énormément dans les infrastructures. Il n’y a pas de corruption... Dès qu’on met les pieds ici, on sent que cela bouge. »
Pas comme au Québec ? « Mes amis me disent que c’est difficile de faire bouger les choses au Québec », répond-il.
Bernard Pouliot s’y prend de plusieurs manières pour garder le contact avec sa province natale. Il a entre autres organisé un festival de films québécois, une soirée littéraire avec Marie Laberge, une rencontre avec Normand Laprise lors de leurs passages respectifs à Hong Kong. Il figure aussi parmi les généreux donateurs de l’Université du Québec à Rimouski, où il a terminé son baccalauréat en administration. Bernard Pouliot ne renie donc pas ses racines et avoue s’ennuyer parfois des lacs du Québec. « Hong Kong n’a pas assez développé son bord de mer », déplore-t-il.
Témoin et bénéficiaire du formidable essor de la région depuis 30 ans, M. Pouliot estime que les financières québécoises n’en ont pas assez profité. « La Banque Nationale n’aurait jamais dû fermer son bureau à Hong Kong, dit-il. Elle vient de le rouvrir, mais cela lui a pris un an avant de pouvoir fonctionner et elle arrive en retard. » La Caisse de dépôt aussi a « raté le train », selon lui, lorsque, sous la direction de Henri-Paul Rousseau, elle s’est retirée de Hong Kong, juste avant le boom. « Je l’avais prévenu que c’était une erreur », dit-il, en parlant de M. Rousseau.
Bernard Pouliot est marié avec une Chinoise et père de deux garçons. Maintenant adultes, ces derniers ont fréquenté l’école publique chinoise à Hong Kong pour apprendre le cantonais, puis l’université en Californie et à Boston. L’un d’eux travaille présentement à Montréal en gestion.
Mais c’est en Asie que Bernard Pouliot voit l’avenir. « Hong Kong est encore très dynamique, bien qu’elle soit en train de descendre de son piédestal, parce que les Chinois peuvent maintenant investir ailleurs dans le monde. Et également parce que Hong Kong retournera entièrement entre les mains de la Chine en 2047. Moi, si j’avais 30 ans en 2015, c’est à Jakarta que j’irais. »
Hong Kong demeure toutefois, selon lui, le meilleur endroit pour une entreprise intermédiaire voulant s’établir progressivement en Chine : « Commencez par être en coentreprise avec une entreprise locale. C’est encore la meilleure façon de procéder, si vous n’êtes pas une multinationale ».
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Mati Pouliot : comme un poisson dans l’eau
Il n’avait que 16 ans la première fois qu’il a mis les pieds à Hong Kong. Son oncle Bernard lui avait trouvé un emploi d’été. Aujourd’hui, Mati Pouliot est comme un poisson dans l’eau à Hong Kong, où son épouse française et lui sont installés depuis cinq ans. Après avoir travaillé aux ventes et marketing d’ArcelorMittal, cet ingénieur minier et analyste financier de 35 ans dirige maintenant les opérations asiatiques de Global Eagle Entertainment (Nasdaq, ENT), un fournisseur de contenu, de connectivité et de solutions médias numériques pour les compagnies aériennes. L’entreprise vient de signer une entente avec Air France pour offrir le Wi-Fi sur les avions, en plus de films, d’émissions de télé, de musique et d’autres divertissements. « Le choix de Hong Kong pour cette entreprise était évident : la ville est à 4 heures de toutes les grandes destinations de l’Asie, rejoignant 3,5 milliards de personnes », dit-il.
Le parcours de Mati est impressionnant pour son âge : diplômé en génie minier de McGill, il a œuvré avec des entreprises tant privées que publiques, dans les domaines miniers, de la santé, des logiciels et de la finance, à Montréal et à Genève avant d’aboutir en Orient. À Montréal, il était un des dirigeants de la Jeune Chambre de commerce. À Hong Kong, il est le trésorier en chef de la Chambre de commerce du Canada, un regroupement d’entreprises fort en réseautage. Il est également membre du conseil d’administration de Blue Umbrella, une firme de vérification diligente.
Pour Mati Pouliot, Hong Kong est une ville que devrait envisager « tout gestionnaire ayant 5 ou 10 ans d’expérience, débrouillard et travaillant de façon rigoureuse ».
Et les inconvénients ? L’éducation. « Il manque d’écoles internationales pour les enfants des expatriés, dit-il. C’est d’ailleurs un dossier au sujet duquel la Chambre fait du lobbying auprès du gouvernement de Hong Kong », relate-t-il. Il y a dans la région 300 000 détenteurs d’un passeport canadien. Les écoles ayant un cursus canadien sont très appréciées et recherchées. Le problème, c’est qu’il manque d’espace pour bâtir plus de classes, et l’espace est cher, explique-t-il. Mati n’a pas encore d’enfant. Mais quand cela arrivera, l’enjeu de l’éducation des enfants se posera. Autre enjeu : la pollution. Elle n’est pas aussi considérable qu’à Beijing, mais le gouvernement commence à s’y attaquer en agrandissant son parc de véhicules hybrides.
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Martin Legault pilote le retour de la Banque Nationale à Hong Kong
Fils d’agriculteur, Martin Legault mène la belle vie à Hong Kong, même s’il travaille dur. Celui qui dirige depuis un an les activités de la Banque Nationale du Canada est au bureau à 7 h 15 le matin, à temps pour la Bourse de Tokyo ; et deux fois par semaine au moins, sa journée se termine vers 22 heures, car c’est le meilleur moment pour discuter avec ses supérieurs à Montréal, à 12 heures de décalage.
Avec son épouse québécoise Caroline et leurs deux filles, ce financier de 40 ans habite Repulse Bay, la banlieue sud des citoyens aisés de Hong Kong. Ils sont membres de l’American Club où ils ont accès au tennis, à la piscine avec vue sur mer, ainsi qu’aux autres installations qui font de ce club un des meilleurs de l’île dans la pure tradition anglo-saxonne.
Les week-ends, la famille Legault part en randonnée pédestre dans les montagnes de Hong Kong. Accessibles à moins d’une demi-heure de trajet, elles offrent un dépaysement total. Ou bien ils vont à la plage, quand elle n’est pas trop polluée...
Ce poste à Hong Kong, après celui de Londres, représente une occasion riche pour les filles de Martin Legault. « On voulait qu’elles parlent anglais et qu’elles soient exposées à l’international », explique Caroline, qui admet toutefois avoir hésité avant de donner son aval à Martin. Heureusement qu’elles ont le camp de chasse en Mauricie pour se replonger dans leurs racines...
Les deux filles vont à l’école américaine, tellement impressionnante « qu’on se croirait dans un hôtel », raconte M. Legault. Quant à lui, il joue au hockey balle avec d’autres Québécois et au golf avec ses clients potentiels. « La Banque devait se rapprocher physiquement des décideurs », explique-t-il lors de notre première rencontre au bureau de la BNC situé au Landmark, un des immeubles chics du quartier central de Hong Kong. C’est vers la fin de 2013 que la BNC a ouvert le bureau. Avant, elle abordait les clients asiatiques depuis son bureau de New York. Mais la BNC vient à peine de commencer à négocier, parce qu’ayant fermé son bureau de Hong Kong voilà plusieurs années, elle a dû tout reprendre à zéro pour obtenir ses licences.
Pour l’instant, la BNC se limite à la vente de produits à revenu fixe (obligations). La Chine est un marché porteur : à elle seule, la Banque de Chine achète pour 4 billions de dollars de devises étrangères, mentionne M. Legault. Sans parler du Japon, de Taïwan, de la Corée du Nord, de la Mongolie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Inde.
La BNC arrive à Hong Kong un peu sur le tard, reconnaît-il, le cycle haussier des obligations tirant à sa fin, de même que le boom minier.
Mais la Banque est convaincue que l’Asie n’est pas un marché cyclique et que la croissance va durer. En outre, « la part de marché des Asiatiques pour les émissions canadiennes est en hausse, relate M. Legault. Ils cherchent des solutions de rechange au dollar américain, et notre banque est numéro un au Canada pour ce qui est des émissions d’obligations [...] Nous avons récemment offert des émissions du Québec, et elles se sont bien vendues », ajoute-t-il.
La Banque n’exclut pas la possibilité d’élargir son offre vers les produits structurés dérivés, le marché interbancaire, les actions ou le renminbi. Mais ce sera à une autre étape, dit M. Legault. Chose certaine, le choix de Hong Kong comme plaque tournante en Asie a été facile : « Shanghai a vite été éliminée, car nous tenions à la certitude légale. Quant à Singapour, on y fait davantage de gestion de portefeuille et de matières premières ». L’avenir dira si ce choix était le bon.
Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par le Hong Kong Economic and Trade Office (HKETO).