ANALYSE - C'est le pire cauchemar du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou: l'Iran doté de la bombe atomique. Le Moyen-Orient serait déstabilisé et l'existence de l'État hébreu menacée, selon lui. Un risque géopolitique qui est toutefois exagéré, selon des spécialistes et ce que nous a appris la guerre froide.
Benyamin Nétanyahou a réitéré ses craintes, le 3 mars, lors d'un discours prononcé devant Congrès américain dans lequel il a tenté une nouvelle fois de dissuader le groupe P5 + 1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) de parvenir à un accord sur le nucléaire iranien.
Selon lui, cet accord, qui vise à limiter le programme nucléaire de l'Iran, mais dont les contours ne sont pas connus, y compris d'Israël, permettrait à la République islamique de «s'empresser de fabriquer une bombe» atomique, rapporte Le Monde en citant le premier ministre israélien.
«Le régime iranien représente une grande menace pour Israël, mais aussi pour la paix du monde entier», a-t-il déclaré, applaudi par les élus américains présents - des démocrates, dont le président Barack Obama, ont toutefois boycotté son discours.
Pourquoi le groupe P5 + 1 tient-il à cet accord?
Les grandes puissances veulent empêcher l'Iran de fabriquer une bombe atomique à partir de son programme nucléaire civil.
Comment cet accord fonctionnerait-il?
En échange d'une levée des sanctions économiques occidentales qui étouffent son économie depuis des années, la République islamique pourrait avoir un programme nucléaire civil, mais sans qu'elle se dote d'un arsenal nucléaire.
L'Iran aurait aussi en principe l'assurance que les États-Unis ne l'attaqueraient jamais pour renverser son régime - comme Washington l'a fait en Irak, en 2003.
Mais aux yeux de Benyamin Nétanyahou, les dirigeants du P5 +1 font preuve de naïveté s'ils pensent que Téhéran renoncera à concevoir une bombe atomique.
Les peurs de Benyamin Nétanyahou ne sont pas fondées
Les peurs de Benyamin Nétanyahou ne sont pas fondées
Ses craintes sont-elles fondées?
Si l'Iran se dotait d'un arsenal nucléaire, le Moyen-Orient s'embraserait-il?
L'existence d'Israël serait-elle menacée?
Le premier ministre israélien marque un point quand il affirme que rien ne garantit que l'Iran renonce à la bombe atomique. La République islamique pourrait en effet en fabriquer une à terme, et ce, malgré un accord.
Mais le régime iranien - qui tient à sa survie - est-il près à prendre le risque d'un retour en force des sanctions économiques, dans un pays de 80 millions d'habitants où 42% de la population à moins de 25 ans?
Car le pire cauchemar des autorités iraniennes est sans doute le déclenchement d'un «printemps persan» qui renverserait l'ordre établi.
Et si l'Iran chiite avait la bombe atomique?
Cela pourrait effectivement inciter d'autres pays comme l'Arabie Saoudite ou l'Égypte - deux pays arabes sunnites rivaux de l'Iran - à développer leur propre arsenal pour rééquilibrer les rapports de forces dans la région.
Le cas échéant, les pays du Moyen-Orient seraient-ils plus à risque de se faire la guerre et d'utiliser leurs bombes atomiques?
Le déroulement de la guerre froide - Washington et Moscou n'ont pas utilisé leurs armes atomiques - et les relations entre puissances nucléaires depuis 25 ans montent que ce risque est très limité.
Aujourd'hui, neuf pays ont la bombe atomique:
- les États-Unis
- la Russie
- la Chine
- la France
- le Royaume-Uni
- le Pakistan
- l'Inde
- la Corée du Nord
- Israël
Pourquoi les puissances nucléaires ne se font pas la guerre
Pourquoi les puissances nucléaires ne se font pas la guerre
Or, à ce jour, jamais deux puissances nucléaires n'ont utilisé leur arsenal pour se combattre, car le prix à payer est tout simplement trop élevé: la destruction de villes, la mort de millions de personnes, sans parler de la contamination radioactive de l'environnement (air, terre, eau) pendant des décennies.
La destruction des villes japonaises d'Hiroshima (le 6 août 1945) et de Nagasaki (le 9 août 1945) par les Américains en est un exemple éloquent.
C'est pourquoi les États-Unis et l'ex-URSS n'ont pas utilisé leur arsenal durant la guerre froide, tout comme l'Inde et le Pakistan, deux pays ennemis.
C'est donc l'assurance d'une destruction mutuelle qui empêche les puissances nucléaires d'utiliser leurs bombes atomiques entre elles.
L'américain Kenneth N. Waltz (1924-2013), l'une des figures de proue de la théorie des relations internationales, a souvent expliqué cet enjeu - le livre Realism and International Politics rassemble plusieurs de ses essais à ce sujet.
Aussi, si l'Iran lançait une bombe atomique sur Israël, la République islamique serait pratiquement rayée de la carte dans l'heure suivant cette attaque.
De plus, Israël a la capacité de répliquer à une première frappe contre son territoire grâce à son arsenal nucléaire mobile, notamment dans des sous-marins. Ce qui rend encore plus suicidaire et improbable une attaque contre l'État hébreu.
Et le risque terroriste?
Et le risque terroriste?
Et si une organisation terroriste faisait exploser une bombe atomique en Israël?
Il est vrai que la force de dissuasion nucléaire d'Israël serait neutralisée dans le cas d'un attentat nucléaire anonyme. Qui frapper en guise de représailles?
Mais là encore, Kenneth Waltz nous explique que ce risque est beaucoup moins élevé qu'il n'y paraît à première vue.
Car une organisation terroriste ne peut tout simplement pas se doter et utiliser une bombe atomique sans le soutien d'un État et de ses services secrets. Et cet État ne peut pas être certain à 100% de rester anonyme, même s'il prend des précautions pour ne pas laisser d'indice le mettant en cause.
«Même si les dirigeants d'un pays arrivaient à se persuader que les chances de subir des représailles nucléaires sont faibles, qui serait prêt à prendre ce risque?», écrit Kenneth Waltz dans Toward Nuclear Peace, un essai tiré de Realism and International Politics.
Dans un monde idéal, il ne devrait pas y avoir d'armes nucléaires, affirment plusieurs analystes, intellectuels et pacifistes. La réalité, c'est qu'elles sont là, et que les pays sont en train de moderniser ou d'accroître leur arsenal, et ce, des États-Unis à la Russie en passant par la Chine, selon The Economist.
Dans ce contexte, «le risque que quelqu'un utilise un jour une arme atomique est plus grand», fait remarquer le magazine britannique, qui vient de publier un grand dossier à ce sujet (The new nuclear age: why the risks of conflict are rising).
Ce risque géopolitique est toutefois gérable, même si l'échiquier politique international est plus complexe et imprévisible que durant la guerre froide, font remarquer des analystes.
Car aucun État n'a intérêt à déclencher un conflit nucléaire compte tenu du prix à payer. Pas même l'Iran, qui a pourtant déjà menacé Israël de «destruction».