ANALYSE - De l'Europe à l'Asie-Pacifique en passant par l'Amérique latine, un nombre grandissant de pays concluent des accords de libre-échange avec la Chine. Or, le Canada n'est pas chaud à cette idée, même s'il se fait de plus en plus courtiser par Beijing. Une hésitation qui pourrait nuire à terme à nos entreprises en Chine.
Un accord de libre-échange élimine les tarifs douaniers et les barrières non tarifaires, ce qui stimule les échanges entre deux pays. Il encadre aussi des enjeux liés à l'accès aux marchés nationaux, à l'investissement et à la protection de la propriété intellectuelle. Le libre-échange favorise aussi l'intégration économique et la coopération politique.
La Chine est un marché indispensable pour le Canada et le Québec. C'est la deuxième destination des exportations canadiennes et québécoises à l'étranger. En 2013, les expéditions de marchandises du Canada et du Québec y représentaient respectivement 4,3% et 3,9% de leurs exportations totales, selon Statistique Canada.
L'économie canadienne est aussi un marché très stratégique pour la Chine, en premier lieu pour ses ressources naturelles - incluant les hydrocarbures - dont ce pays asiatique à tant besoin pour développer son économie.
On comprend pourquoi le nouvel ambassadeur chinois au Canada, Zhaohui Luo, a réitéré devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), le 11 février, la volonté de Beijing d'entamer le plus vite possible des négociations de libre-échange avec le Canada.
Son prédécesseur, Zhang Junsai, avait tenu le même discours en 2012. À l'époque, Ottawa avait indiqué qu'il n'était pas prêt à négocier un tel accord pour l'instant, et qu'il préférait discuter libre-échange avec d'autres pays asiatiques, comme l'Inde et le Japon.
L'Australie vient de conclure un accord avec la Chine
Selon des analystes et d'anciens diplomates, la participation du Canada aux négociations pour créer le Partenariat Transpacifique - une zone de libre-échange comprenant une douzaine de pays, dont les États-Unis, le Japon, le Mexique et la Malaisie, mais qui exclut la Chine - expliquerait les réticences d'Ottawa.
Or, l'Australie participe aussi à ces négociations aux côtés du Canada, et elle vient pourtant de conclure un accord de libre-échange avec la Chine. Singapour a aussi un traité avec la Chine, ce qui n'empêche pas la cité État de participer également à ces pourparlers pour créer cette zone transpacifique.
Pendant que le Canada tarde à négocier un traité de libre-échange avec la Chine, les entreprises de plusieurs pays bénéficient d'un meilleur accès au marché chinois.
Par exemple, l'Australie, dont la structure économique (un pays de 22,5 millions d'habitants, axé en grande partie sur l'exploitation de ressources naturelles) ressemble en plusieurs points à celle du Canada, se positionne de manière plus efficace en Chine.
Toute chose étant égale par ailleurs, les entreprises australiennes peuvent vendre plus facilement leurs biens et leurs services en Chine en raison de l'élimination des tarifs douaniers, mais surtout des barrières non tarifaires - qui représentent souvent les plus grandes entraves au commerce et à l'investissement entre deux pays.
La Chine multiplie des ententes de libre-échange pour trois raisons, selon une analyse de l'ambassade de France à Beijing, publiée il y a quelques années, mais toujours pertinente.
1. Le pays veut intégrer davantage son économie à celle de l'Asie-Pacifique.
2. Il veut dynamiser son secteur manufacturier en lui garantissant l'accès à des matières premières et des denrées à moindres coûts - c'est pourquoi la Chine négocie surtout des accords avec des pays producteurs de ressources naturelles comme le Canada.
3. Enfin, Beijing semble parfois agir par intérêt politique. Par exemple, selon les diplomates français, l'accord avec le Costa Rica serait lié à l'abandon de ce pays, en 2007, de son soutien diplomatique à Taïwan - que la Chine souhaite réintégrer un jour dans son giron politique, comme elle l'a fait avec Hong Kong en 1997.
Des impacts potentiels majeurs au Canada
Il va sans dire qu'un accord de libre-échange avec Chine aurait des impacts économiques, sociaux et environnementaux au Canada, disent les analystes.
Par exemple, la concurrence chinoise au pays forcerait nos entreprises à s'améliorer pour devenir plus efficaces. Les secteurs à faible valeur ajoutée pâtiraient certainement de la libéralisation des échanges avec la Chine. Les sociétés qui n'ont pas de bons produits ou qui innovent peu auraient beaucoup de difficultés à survivre, selon les économistes.
Par ailleurs, comme la Chine a besoin de beaucoup de ressources naturelles pour se développer, la pression serait grande pour que le Canada ne soit qu'un fournisseur de matières premières et de denrées, se spécialisant dans la première transformation.
En matière d'environnement, l'exploitation accrue des ressources naturelles au Canada pour alimenter la croissance économique chinoise fera aussi en sorte d'accroître les émissions de gaz à effet de serre (GES) et la pollution de l'air, de l'eau et des sols.
Il pourrait même y avoir une pression à la baisse sur les conditions de travail au Canada, craignent certains syndicats et universitaires.
Tous ces risques sont bien réels. Mais ils peuvent être mitigés, voire écartés, dans certains cas.
Les retombées positives du libre-échange
Si un accord de libre-échange ouvrait davantage nos marchés aux entreprises chinoises, la réciproque serait également vraie.
Le vaste marché chinois serait plus facilement accessible pour les entreprises et les investisseurs canadiens. Et à vrai dire, nous avons beaucoup plus à gagner en Chine (un pays de 1,3 milliard d'habitants) que les Chinois au Canada (un marché de 35 millions d'habitants).
Pour ce qui est du niveau de transformation de nos ressources, il n'en tient qu'aux différents paliers de gouvernements de favoriser et de valoriser la deuxième transformation des matières premières et des denrées au Canada.
L'environnement est un enjeu qui représentera un défi de taille.
Pour ne pas saccager notre environnement, les gouvernements devront adopter d'ambitieuses politiques pour limiter la croissance de la pollution et des GES.
Quant à une réduction des conditions de travail, le risque est effectivement grand lorsque l'on sait que les salaires et les avantages sociaux des travailleurs peu et non qualifiés stagnent, voire diminuent, dans la plupart des pays industrialisés.
Ce phénomène tient en grande partie à la mondialisation de l'économie et aux délocalisations d'usines dans les pays à faibles coûts de production.
Le repli sur soi n'est pas une solution, s'entendent pour dire la plupart des économistes.
La meilleure façon de réduire ce risque, c'est d'investir dans l'éducation et la formation de la main-d'oeuvre. Pour leur part, les entreprises doivent adopter les meilleures pratiques et les meilleures technologies pour innover et accroître leur productivité.
Si des entreprises allemandes peuvent vendre des brosses à dents Made in Germany à Shanghai (l'auteur de ces lignes l'a constaté en 2011), tout est possible.
Oui, le libre-échange avec la Chine nous forcerait à nous ajuster et à revoir nous façons de faire. Mais il offrirait en contrepartie d'innombrables occasions d'affaires et d'investissements pour nos entreprises et nos investisseurs, ce qui créerait des emplois au Canada.
Soyons conscients des risques, mais ne soyons pas paralysés par la peur.