ANALYSE – Les patrons canadiens souhaitent que les jeunes apprennent davantage de langues asiatiques – surtout le mandarin, la principale langue parlée en Chine – pour que le Canada soit mieux positionné afin de s’intégrer à l’économie de la région Asie-Pacifique.
C’est le message qu’a récemment livré John Manley, président et chef de la direction du Conseil canadien des chefs d’entreprises, lors d’un discours prononcé devant le Canadian Club, à Ottawa. Et l’ancien ministre libéral fédéral des Finances a des arguments en sa faveur.
La tendance historique est là: le centre de gravité économique et politique du monde sera incontestablement l’Asie-Pacifique dans les prochaines décennies, alors que la Chine sera la première économie de la planète – comme c’était du reste le cas au début du 19e siècle.
Signe du poids de l’Empire du Milieu dans l’économie mondiale, ce pays de 1,3 milliard d’habitants est devenu le deuxième partenaire commercial du Canada après les États-Unis (la Chine est aussi le deuxième marché d’exportation du Québec).
Même si les marchés américain et européen demeureront importants pour nos entreprises, la principale source de croissance économique dans les prochaines années et décennies proviendra de l’Asie-Pacifique, s’entendent pour dire les analystes.
Certes, l’anglais demeure et demeurera une langue formidable pour faire du commerce en Asie. Cela dit, la langue de Shakespeare a ses limites : nous l’avons expérimenté lorsque nous avons réalisé un reportage durant deux semaines en Chine, au printemps 2011.
Perdus dans la traduction...
Beaucoup de Chinois instruits (surtout les jeunes et les jeunes adultes) parlent anglais dans les grandes villes de la côte est de la Chine, comme Canton, Shanghai et Beijing.
Ce sont de grands centres urbains, ouverts sur le monde, où sont implantées des milliers de multinationales. Aussi, si vous allez au café Starbucks à deux pas de votre hôtel, vous pourrez vous faire comprendre facilement en anglais.
Mais si vous sortez des «circuits internationaux», la lingua franca du commerce international vous ne sera pas d’un grand secours. Rien que prendre un taxi dans une ville comme Shanghai est un cauchemar si vous n’avez pas l’adresse de l’endroit où vous allez écrite en caractère chinois.
Imaginez les difficultés linguistiques si votre entreprise décide de s’implanter dans les villes développées de province dites de «deuxième ordre» en Chine, comme Wuhan (11 millions d’habitants), Nanjing (9 millions) ou Dallian (8 millions).
Y trouver un partenaire (fournisseur, distributeur, etc.) et développer une relation d’affaires sera tout un défi. Bien entendu, vous pouvez utiliser les services d’intermédiaires chinois capables de faire le pont entre vous et vos clients chinois.
Mais à la fin, peut-on vraiment développer une vraie relation d’affaires si on ne connaît pas la langue (à tout le moins, des notions de base) de son partenaire commercial ? Peut-on imaginer faire des affaires aux États-Unis sans parler anglais ? Pourquoi serait-ce si différent avec les Chinois?
Le chinois avant l'espagnol?
À court terme, pour prendre de l’expansion en Chine, les entreprises canadiennes peuvent embaucher des Canadiens d’origine chinoise. En 2006 (les données les plus récentes), le recensement de Statistique Canada montrait d’ailleurs que le chinois était la troisième langue la plus utilisée au travail au pays après l’anglais et le français.
Les gens d’affaires du Canada (qui ne sont pas d’origine chinoise) devraient peut-être aussi se poser la question à savoir s’ils ne doivent pas eux aussi apprendre le mandarin.
En tout cas, pour nos enfants, John Manley croit que le Canada doit en faire plus, et ce, en prévision des emplois et des occasions d’affaires dans 10, 15 ou 20 ans. Le patron des patrons a cité en exemple l’Australie, où les politiques du gouvernement encouragent l’enseignement du mandarin dans les écoles.
En septembre, la Fondation Asie-Pacifique du Canada a fait des recommandations similaires à celles de John Manley en soulignant l’exemple australien.
Le milieu de l’éducation au Québec devra aussi faire un jour ou l’autre le débat. Devrions-nous par exemple enseigner davantage le mandarin que l’espagnol ? La langue de Cervantes est incontournable dans les Amériques, sans parler du portugais, au Brésil.
Cela dit, la langue montante du XXIe siècle, dans les échanges politiques et économiques à travers le monde, ne sera pas ces deux langues européennes, mais le chinois (qui compte déjà le plus grand nombre de locuteurs dans le monde). Il faudra bien un jour ou l’autre en prendre note.