ANALYSE – Approuvera, n’approuvera pas ? L’industrie pétrolière albertaine attend avec anxiété de voir si le président américain Barack Obama donnera son feu vert, dans les prochaines semaines, au projet d’oléoduc Keystone XL de TransCanada, pour acheminer son pétrole à plusieurs raffineries du Golfe du Mexique.
Une décision négative serait catastrophique pour les producteurs de l’Alberta, qui verraient ainsi se fermer une partie du marché américain. Or, si jamais ce scénario devait se matérialiser, l’industrie albertaine serait essentiellement responsable de ses malheurs, car elle n’a pas eu la sagesse de diversifier ses marchés auparavant.
Aujourd’hui, la quasi-totalité de la production de l’Alberta est vendue aux États-Unis. Selon une analyse de PWC publiée en 2011, le Canada expédie environ 2% de son pétrole en Asie, via des trains qui transportent la ressource jusqu’aux ports de la Colombie-Britannique.
Ce manque de diversification géographique est très risqué, voire suicidaire, soulignent plusieurs analystes. C’est comme si une entreprise avait un seul client ou un seul fournisseur. Au fil des décennies, les producteurs de l’Ouest ont eu la vie facile : les États-Unis achetaient leur pétrole sans poser de questions.
La donne a changé. Le pétrole tiré des sables bitumineux a de moins en moins la cote chez nos voisins américains. D’une part, parce que cette production est plus polluante que les sources traditionnelles de pétrole. D’autre part, parce que les États-Unis produisent de plus en plus leur propre pétrole, ce qui diminue les besoins d’en importer.
Bien entendu, l’industrie albertaine regarde depuis quelque temps d’autres marchés pour exporter son pétrole, en Asie et, depuis peu, en Europe, via l’est du pays. L’Asie est toutefois le marché le plus prometteur pour l’industrie albertaine, où la demande de pétrole et de gaz naturel est en forte progression.
La Chine doit se trouver de nouvelles sources d’approvisionnements. L’achat de la pétrolière Nexen par la société d’État chinoise China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) s’inscrit dans cette stratégie.
Le distributeur d’énergie Enbridge a aussi un projet de pipeline (The Northern Gateway), qui relirait l’Alberta à la côte de la Colombie-Britannique. Cependant, tout comme le projet Keystone XL, celui-ci est contesté par des populations locales.
Cela dit, ces premiers pas de diversification des marchés pour écouler le pétrole de l’Alberta interviennent beaucoup trop tard. Le marché énergétique, c’est un peu comme la retraite : il faut planifier à l’avance.
Aussi, même si les États-Unis ont représenté une vache à lait historique, les producteurs de Alberta auraient dû prévoir depuis longtemps des routes alternatives pour exporter leur pétrole.
La fulgurante croissance de l’Asie ne date pas d’hier. De 1961 à 2011, le PIB réel en Chine a progressé en moyenne de 8,3% par année, selon une analyse de l’Université de Sherbrooke. Et ce rythme s’est accéléré depuis les années 1990. Or, une forte croissance économique est toujours accompagnée d’une forte croissance de la demande énergétique.
Dans ce contexte, il est incompréhensible que l’industrie albertaine n’ait pas su se positionner plus tôt pour profiter de la croissance de la demande énergétique en Asie, estiment plusieurs analystes. La proximité du marché américain et la facilité d’y vendre du pétrole ont sans doute habitué l’industrie albertaine à produire sans trop planifier l'avenir et la gestion de ses risques d'affaires.
Bref, elle n’a pas anticipé les coups, comme aux échecs. Échec et mat ?