ANALYSE - Les projets de loi aux États-Unis contenant des clauses Buy American et du Buy America (transport public uniquement) se multiplient. Cette situation complique non seulement la vie de nos entreprises qui exportent sur le marché américain, mais elle commence aussi à les irriter, car le Canada n'impose pas ou presque des exigences de contenu local. Faudrait-il des clauses Buy Canadian et Buy Canada?
La question se pose alors que les États-Unis ont adopté ou sont sur le point d'adopter des lois imposant des exigences de contenu local dans de nouveaux secteurs. Par exemple, le 25 juin, des élus ont présenté au Congrès le Grow America Act. Ce projet de loi propose de porter de 60 à 100% d'ici 2019 les exigences de contenu américain pour tous les projets de transport en commun (autobus, trains, métros).
Plus tôt cette année, deux autres projets de loi présentés au Congrès (le Resources Reform and Development Act et la Consolidated Appropriations Act) ont limité l'accès du marché public de l'eau et du traitement des eaux usées. Ces deux lois contenant des clauses inspirées du Buy American qui visent l'acier et le fer limiteront l'accès de ce marché aux fabricants d'équipements et de composants pour cette industrie.
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Or, au Canada, des clauses telles que le Buy American sont inexistantes dans les programmes d'infrastructures. Cela dit, pour certains projets de transport public, les autorités peuvent imposer des exigences de contenu local, comme pour l'acquisition de nouvelles voitures du métro de Montréal. Le consortium Bombardier-Alstom (les deux entreprises ont des usines au Québec) a obtenu ce contrat.
Le Canada est-il trop accomodant?
Mais c'est plutôt l'exception qui confirme la règle, disent les analystes. Or, la plupart des pays industrialisés ont des politiques qui imposent des seuils de contenu local aux entreprises étrangères qui veulent soumissionner sur des contrats publics.
C'est pourquoi des voix se font entendre pour que le Canada se dote de telles mesures. Non pour être protectionniste, mais pour harmoniser ses politiques avec celles de ses partenaires commerciaux, prétendent les gens de l'industrie.
L'automne dernier, trois groupes de lobbys - les Manufacturiers et exportateurs du Canada, l'Institut canadien de la construction en acier, l'Association canadienne des producteurs d'acier - ont d'ailleurs demandé à Ottawa de réclamer la réciprocité pour les entreprises canadiennes lorsqu'elles sont en compétition avec des concurrents internationaux dans des projets d'infrastructures, au Canada comme à l'étranger.
Bref, si les États-Unis imposent un seuil de contenu local de 100% dans certains projets (par exemple, pour les projets de trains à vitesse moyenne financés par la Federal Railroad Administration), Ottawa devrait imposer le même seuil aux entreprises américaines qui voudraient soumissionner sur des projets similaires au Canada.
Pour montrer ce qui est problématique au Canada, l'industrie canadienne de l'acier donne l'exemple de deux projets de ponts dans l'Ouest canadien (le Golden Ears Bridge, à Vancouver, et le Walter Bridge, à Edmonton).
Les contrats de fourniture d'acier ont été accordés à des aciéristes asiatiques - l'entreprise québécoise Canam était l'un des soumissionnaires. Or, il est difficile pour des entreprises canadiennes de participer à des projets en Asie.
Cela dit, si l'imposition des seuils de contenu local stimule la création d'emplois dans le pays qui adopte de telles mesures, elle fait en revanche augmenter les coûts des projets pour les citoyens de ce pays, soulignent certains analystes et industriels.
Pourquoi? Parce que ces seuils limitent la marge de manoeuvre des fabricants d'équipements d'origine (OEM, en anglais), comme Bombardier, Siemens ou Alstom, qui ont une chaîne mondiale d'approvisionnement, avec plusieurs fournisseurs établis dans des pays qui ont de faibles coûts de production.
De plus, un pays de 35 millions d'habitants comme le Canada a un tissu industriel de fournisseurs moins diversifié que les États-Unis qui en comptent 318 millions. C'est un élément que les autorités canadiennes devront considérer, selon des analystes.
Que fera le Canada? Adoptera-t-il un jour des clauses Buy Canadian ou Buy Canada, comme aux États-Unis? Difficile à dire. Mais la pression est de plus en plus forte pour qu'Ottawa apporte des changements en ce sens. Le cas échéant, le gouvernement devra sans doute faire un arbitrage équilibré entre l'intérêt des entreprises et l'intérêt des contribuables.