Les parts de marché du cinéma québécois sont faméliques. En 2013, nos films ont attiré 5,6 % des cinéphiles de la province, selon Cinéac, une entreprise qui compile les statistiques de l'industrie. Pourtant, nos films remportent un franc succès à l'étranger. Mais reçoivent-ils pour autant des investissements ?
Comme dans bien d'autres secteurs d'activité, le cinéma québécois doit franchir les frontières de la province pour étendre son marché. Les Films Séville, une filiale du groupe Entertainment One, située à Montréal, mise ainsi sur la distribution de films québécois à l'étranger. C'est d'ailleurs le plus grand exportateur du genre de la province.
«La distribution de films, c'est du sport, lance Anick Poirier, vice-présidente aux ventes internationales des Films Séville. Et à l'international, la distribution, c'est du sport multiplié par cinq, précise celle qui a participé à la fin de janvier à la Berlinale, le festival international du film de Berlin où se tient aussi un marché du film. J'avais 150 rencontres prévues en une semaine. Disons que j'ai peu dormi !»
Les profits varient énormément, dit la vice-présidente. «Le prix de vente d'un film peut varier de 250 000 $ à plusieurs millions de dollars. Toutefois, ce dernier cas se produit assez rarement.»
Faire la tournée des festivals dans le monde coûte cher, mais cette diplomatie cinématographique commence à produire ses fruits.
«Ça coûte cher d'aller au Festival de Cannes, admet André Rouleau, producteur et président de Caramel Films. Les gens peuvent critiquer les frais d'hôtels, mais c'est bon d'y aller pour notre rayonnement, pour notre réputation. Nous sommes très concurrentiels. D'ailleurs, nous avons réussi, en jouant du coude, à déménager la production du film d'animation Ballerina de la Belgique au Québec.»
Il arrive aussi que certains films bénéficient d'un effet boule de neige. À la Mostra de Venise, alors que le film Incendies de Denis Villeneuve était présenté en grande première en 2010, l'Allemagne et l'Italie en ont acquis les droits. Une semaine plus tard, au Festival international du film de Toronto (TIFF), une vingtaine de pays ont fait de même. «Quand on arrive à Toronto avec un film déjà vendu en Italie et en Allemagne, tout d'un coup, les gens sont intéressés, raconte Luc Déry, producteur du film. Ils se demandent : "Qu'est-ce qu'untel a acheté pour l'Allemagne ?" Et à partir de ce moment, on l'a vendu un peu partout dans le monde.»
Pourtant, ajoute André Rouleau, «je ne suis pas certain que c'est par les festivals de films étrangers que nous vendons nécessairement beaucoup de films. C'est plutôt dans les marchés du film, comme Cannes, Berlin, Toronto et l'AFM [American Film Market], qu'il faut mettre des efforts».
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Pas une panacée
Les profits qui découlent de la vente des droits des films ne représentent pas des sommes exorbitantes, tant s'en faut.
«On parle de centaines de milliers de dollars, révèle Luc Déry, producteur et fondateur de Micro_scope. Personne ne devient riche avec ça. D'autant que le distributeur, celui qui a pris des risques en achetant le film, engage beaucoup de dépenses pour diffuser un film dans un marché donné, et avant de partager les profits - s'il y en a -, il se rembourse. On ne peut pas financer un projet avec les profits faits à l'international...» Le coût moyen d'une production cinématographique québécoise s'est élevé à 3,7 M$ en 2012-2013, selon la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).
Des propos corroborés par Rodrigo Brandao, du distributeur américain Kino Lorber. «Nous séparons généralement les profits avec les producteurs ; la formule varie, mais il peut s'agir de 50 % chacun. Pour ce qui est du prix initial, nous payons un film de 50 000 $ à 100 000 $. Mais nous avons certainement déjà payé moins que ça !»
«Nos investissements à l'étranger sont peut-être déjà rentables, tempère Isabelle Melançon, directrice générale des communications et des relations institutionnelles à la SODEC. Des films qui vont faire leurs frais, je n'en connais pas. Mais lorsqu'on entend "Quebec" pendant la cérémonie des Oscars, combien ça vaut en temps d'antenne et en articles que ça suscite ?»
Un scénario idéal ?
La notoriété permet d'attirer des investissements. Des films produits par des réalisateurs québécois connus à l'étranger peuvent même faire l'objet d'une prévente, c'est-à-dire attirer des investissements avant la date de sortie. Ce qui permet de passer outre au fait que nos vedettes locales sont souvent inconnues à l'étranger. «En français, c'est difficile de faire des préventes, admet André Rouleau, de Caramel Films. Les vedettes anglophones sont connues, mais pas Patrick Huard... Et ce n'est pas une question de talent !»
Les coproductions internationales, où les risques sont partagés entre plusieurs pays, sont également facilitées par les projets associés à nos réalisateurs célèbres. «Mais les coproductions ne sont pas toujours un scénario idéal, pense M. Rouleau. Il y a des restrictions inhérentes [comme le fait d'engager des employés dans certains pays], et les coûts, comme ceux qui découlent des voyages, sont élevés.»
«Nous avons une dizaine de réalisateurs au Québec qui ont le potentiel de trouver des investisseurs à l'étranger, croit Luc Déry. La clé, c'est peut-être de donner le goût à ces gens-là de travailler ici, sur des scénarios qui les intéressent.»
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Sous le soleil
C'est au Mexique que le cinéma québécois se fera connaître cet hiver. Le Québec sera l'invité d'honneur du Festival Internacional de Cine en Guadalaraja, du 21 au 30 mars, la deuxième ville la plus populeuse du pays.
Bien qu'on exporte le cinéma québécois, la vente de droits ne représente pas des sommes exorbitantes pour le moment.
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Les cinq films québécois les plus populaires en Europe Nombre d'entrées en salle en 2012
1. Monsieur Lazhar 743 881
2. Barney's Version 697 277
3. Incendies 661 018
4. Starbuck 552 252
5. Les amours imaginaires 242 091
Sources : Observatoire européen de l'audiovisuel, SODEC, Cinéac et Téléfilm Canada.
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280 M$ - Pour l'année fiscale 2011-2012, Québec a dépensé 280,27 M$ pour le cinéma et la télévision. De cette somme, la SODEC a récupéré 34,7 M$ pour ses interventions dans l'industrie du cinéma, selon le ministère des Finances et de l'Économie du Québec.
Parts de marché des films québécois - Recettes au guichet, au Québec
2012 4,8 %
2013 5,6 %
Répartition des revenus des films québécois - De 2006 à 2012
À l'étranger 21,2 % (20,1 M$)
Au Canada 78,8 % (75 M$)
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