CAPE TOWN - Les soupirs d’Eben Sadie, 41 ans, jeune producteur de vin de la région du Swartzland, en Afrique de Sud, parlent d’eux-mêmes lorsque nous lui parlons du Canada...
« J’aime le Canada. Ne vous méprenez pas. Mais c’est vraiment très difficile de faire le commerce de vin chez vous. D’abord c’est loin ; il faut vous visiter souvent. Et pour aggraver les choses, il nous faut encore nous munir chaque fois d’un visa pour entrer dans votre pays. »
Considéré comme le viticulteur sud-africain le plus novateur de sa génération, Eben Sadie illustre en peu de mots le défi que représente la conquête du Canada pour un nouvel acteur comme l’Afrique du Sud. Après des années d’efforts, le nombre de bouteilles que le vignoble de Malmesbury, contrée semi-aride située à une centaine de kilomètres au nord de Cape Town, réussit à écouler au Canada, demeure pour le moins modeste.
Les difficultés de M. Sadie ne sont pas un cas exceptionnel. Malgré une croissance exponentielle des exportations des vins d’Afrique du Sud dans plusieurs pays ces dernières années, le Canada et le Québec restent des marchés encore difficiles à percer pour la plupart des producteurs de ce pays.
À ce jour, moins de 5 % de sa production prend la route du Canada, le septième pays d’exportation de l’Afrique du Sud. Le Canada arrive loin derrière le Royaume-Uni, qui représente plus de 20 % des exportations de vin sud-africain, suivis de l’Allemagne (18,4 %), de la Russie (7,1 %) et de la France (6,6 %).
En 2013, le Canada a importé 22,2 millions (M) de litres (4,2 % des exportations) de vin de ce pays, derrière les États-Unis (32 M de litres, ou 6,1 %). « Mais au Canada, le Québec est un client majeur. Près de la moitié des vins et des spiritueux importés d’Afrique du Sud au pays s’écoule au Québec », dit Siobhan Thompson, ancienne responsable des communications d’Amarula, aujourd’hui chef de la direction de Wines of South Africa (WOSA), l’association des producteurs de vin d’Afrique du Sud.
Le défi reste important, si l’on en croit Bevan Newton Johnson, du vignoble du même nom, à Hermanus, à quelque 140 km à l’est de Cape Town. « Nous avons beaucoup de succès dans les pays scandinaves. Au Canada, avec la SAQ et la LCBO [Liquor Control Board of Ontario], c’est moins facile. Et en vérité, je ne saurais vraiment pas vous dire pourquoi... »
M. Sadie a sa petite idée sur la question. À son avis, l’Afrique du Sud paie encore pour les erreurs du passé. Il faut savoir, rappelle-t-il, que jusqu’au milieu des années 1970, l’industrie était l’affaire d’agriculteurs davantage que de viticulteurs à proprement parler. « C’était des fermiers, qui malgré toute leur bonne volonté, manquaient probablement de connaissances. »
Par la suite, grâce à l’ouverture des marchés qui a suivi la chute du régime de l’apartheid, en 1994, l’industrie s’est mise à exporter des vins qui n’auraient jamais dû l’être. « Ce faisant, déplore aujourd’hui M. Sadie, j’ai bien peur que nous n’ayons brûlé les ponts. »
Les choses ont changé depuis. Tant en matière de qualité que sur le plan des quantités produites et exportées. De 22 M de litres en 1992, les exportations de vin de l’Afrique du Sud ont dépassé les 525 M de litres en 2013, une croissance de 21 % par an. « Notre croissance a été exponentielle. Alors qu’auparavant, nous n’exportions que dans une vingtaine de pays partenaires, surtout au Royaume-Uni, aujourd’hui, nous exportons dans 139 pays », précise Mme Thompson.
Selon Paul Coffin, vice-président, opérations, de LCC Vins et spiritueux, un pionnier en matière d’importation au Canada (Fleur du Cap, Amarula, Distell, Two Oceans, etc.), il a fallu que l’industrie s’améliore, se mette au goût du jour. « Initialement, il y a eu de la résistance face à l’inconnu, un certain snobisme de la clientèle et une certaine inertie. Les consommateurs avaient leurs habitudes avec les vins français et italiens. Mais aujourd’hui, les choses sont meilleures. »
Selon WOSA, le principal défi de l’industrie à l’international est de montrer que l’Afrique du Sud est capable de produire des vins exceptionnels. « Nous avons prouvé que nous pouvons produire du vin de grande qualité, dit la directrice générale, Siobhan Thompson. Plus personne ne peut vraiment remettre ça en question. Notre défi maintenant est de relever notre image au même niveau. »
Les Canadiens s’imaginent facilement la Californie ou la France. Mais les Canadiens qui ont visité l’Afrique du Sud sont moins nombreux, explique Laurel Keenan, de WOSA Canada. Le travail de communication est donc plus grand. « Ce n’est pas triste, dit-elle. On aborde la difficulté à pénétrer ces marchés comme une occasion. »
C’est avec cet objectif qu’au printemps dernier, Michael Jordaan, ancien pdg de la First National Bank FNB, membre du comité de direction de FirstRand Banking Group et propriétaire de vignobles, a accepté la direction du conseil d’administration de WOSA.
Après avoir longtemps travaillé l’un contre l’autre à l’étranger, les producteurs sud-africains ont fini par comprendre, dit-il, que la vraie concurrence provenait des autres pays producteurs de vins, d’Australie et du Chili notamment. Par exemple, ce sont les vins du Chili qu’on sert à bord des avions qui lient l’Europe à l’Afrique du Sud ! Belle occasion manquée pour les vins sud-africains... L’amélioration de l’image de l’Afrique du Sud dans son ensemble, puis de la qualité de ses vins, figurent d’ailleurs au sommet des priorités de M. Jordan.
Sagement, Bevan Newton Johnson, du vignoble du même nom, préfère de son côté aborder les défis auxquels l’industrie fait face à l’étranger avec indulgence et philosophie. « Tout cela est une question d’apprentissage de notre métier, de marketing, d’ouverture des clients, mais aussi de temps. Il faut se donner le temps. Car c’est long, apprendre un métier. C’est aussi long de changer les habitudes des gens. On ne peut forcer le temps. Mais à la longue, nous réussirons ».
Notre journaliste s’est rendu en Afrique du Sud à l’invitation de la WOSA, l’association des producteurs de vin d’Afrique du Sud.
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