Difficile de terminer une course lorsqu'on est blessé. La cinquantaine est l'occasion de mener votre dernier sprint pour accumuler du capital en vue de la retraite. Que faire si un divorce ou le chômage se mettent en travers de votre chemin ? Nous avons posé la question à cinq experts.
De tout ce qui pourrait mal tourner, le divorce est le pire destructeur de richesse, affirment nos experts. À l'aube de la retraite, s'affranchir d'une relation qui bat de l'aile pourrait vous enchaîner dans une situation de précarité à perpétuité.
Au cours des 25 années où elle a conseillé des clients en instance de divorce, Carolyn Martel, actuaire de Martel Actuariat, a vu des situations «épouvantables». Elle doute des bienfaits réels du divorce à cette période de la vie. «Le divorce ne devrait pas être permis à moins de force majeure, tranche-t-elle. En séparant des couples qui vivent confortablement, on crée souvent deux pauvres. J'ai vu des clients vivant dans de belles maisons finir leurs jours dans un demi-sous-sol, obligés de faire l'épicerie en transport en commun. Les gens ne se rendent pas toujours compte de l'impact financier qu'aura la séparation.»
Il faut dire que la vie conjugale permet de faire de considérables économies d'échelle. «Ça coûte beaucoup plus cher de vivre seul qu'en couple, ajoute Nathalie Bachand, planificatrice financière et actuaire au cabinet Bachand Lafleur, groupe conseil. Tout à coup, ça prend deux maisons. Ce qu'on a accumulé pour deux est rendu nettement insuffisant. Ça te bousille un plan de retraite.»
Outre les dépenses communes, les deux conjoints laisseront des stratégies fiscales en plan, comme le fractionnement du revenu de retraite entre conjoints et la cotisation au REER du conjoint, note Hélène Gagné, gestionnaire de portefeuille et planificatrice financière chez Peak Gestion privée.
En conséquence, les deux conjoints n'auront pas le choix d'accepter la situation, plaide Mme Gagné. Autrement dit : réduire leur train de vie afin de préserver leur santé financière. De plus, ils devront redoubler de prudence avec les dettes, car ils seront les seuls à supporter leur passif, poursuit l'auteure de Votre retraite crie au secours.
Divorce coûteux
Le divorce est en outre un acte légal dispendieux. La facture peut monter de façon exponentielle si les partis se déchirent. Le coût d'un divorce non contesté varierait de 1 000 $ à 2 500 $, selon un sondage effectué en 2011 par le magazine Canadian Lawyer. S'il y a litige, les frais pourraient exploser de 7 200 $ à 74 000 $ !
La médiation pourrait être une avenue moins onéreuse, si les parties se montrent plus collaboratives. «Il n'y a aucune commune mesure entre les coûts, répond Jean-François Chabot, du cabinet Chabot médiateurs avocats. Il faudra un avocat pour chaque conjoint lors d'un litige. Dans le cas d'une médiation, il n'y aura qu'un seul médiateur pour les deux parties.»
La durée des procédures pourrait être moins longue, poursuit celui qui est président de l'Association de médiation familiale du Québec. «Certains de mes clients m'ont consulté jusqu'à trois ans, car il y avait des points litigieux : à la cour, cela aurait pris 10 ans. Ça a fait la différence entre une médiation qui coûte de 4 000 $ à 5 000 $ et un divorce qui en coûtera de 20 000 $ à 25 000 $.»
Notez que Québec offre cinq heures de consultations gratuites aux couples ayant un enfant à charge, au cas où vos enfants seraient encore assez jeunes.
Chômage
Comme dans le cas d'un divorce, un travailleur expérimenté qui perd son emploi devra réduire son train de vie immédiatement s'il veut limiter les dégâts, ajoute Mme Gagné. «C'est très difficile lorsqu'on perd son emploi à la fin de la cinquantaine d'en trouver un nouveau avec une rémunération équivalente, constate Mme Gagné. Souvent, le prochain emploi offrira des conditions moins avantageuses. Certains deviendront travailleurs autonomes avec la précarité qui accompagne cette décision.»
À très court terme, vous devriez réduire autant que possible la ponction fiscale qui sera faite sur votre indemnité de départ. L'indemnité de départ d'un professionnel expérimenté sera vraisemblablement imposée à un taux marginal élevé. «Utiliser les droits de cotisation restants au REER permettra de réduire l'impact, explique Angela Iermieri, planificatrice financière du Mouvement Desjardins. Même si on doit faire des retraits l'année suivante, il est possible que ce soit à un taux marginal moindre.»
À plus long terme, vous devriez revoir certains scénarios avec votre conseiller afin de répondre à des questions comme le meilleur moment de demander votre rente publique ou les actifs à décaisser en priorité pour vos finances, poursuit Mme Iermieri.
Quant à ceux qui choisiront de se lancer à leur compte, ils devront absolument penser à leur protection d'assurance, souligne Mme Gagné. «À mes yeux, s'offrir une assurance invalidité est encore plus important que d'investir dans un REER, insiste-t-elle. Parce que si vous vous retrouvez en situation d'invalidité, oubliez la retraite : toutes vos épargnes vont y passer.»
La planificatrice financière rappelle la différence entre une assurance invalidité et une assurance maladie grave. L'assurance invalidité versera une prime mensuelle pour remplacer le salaire d'une personne, et ce, jusqu'à l'âge de 65 ans. L'assurance maladie grave lui procure plutôt un montant forfaitaire, si elle tombe malade. La prime permet de se faire soigner aux États-Unis ou de rénover son logement pour y aménager des installations pour personnes à mobilité réduite, notamment. «Mais, on vous donne le montant une fois. Après, vous n'en aurez plus. L'assurance maladie grave est un ajout valable, mais l'assurance invalidité est primordiale.»
Que faire avec le régime à prestations déterminées ?
Si vous aviez un régime de retraite à prestations déterminées chez votre ancien employeur, il vaudrait probablement mieux ne pas le transférer dans un compte de retraite immobilisé (CRI), croit Carolyn Martel. «Les gens ne comprennent pas la beauté du régime à prestations déterminées, constate-t-elle. S'il y a un marché baissier, c'est votre employeur qui doit mettre l'argent pour vous assurer une retraite.»
Un désavantage du régime à prestations déterminées est que sa valeur ne sera pas remise à votre succession si votre décès survient trois ans après le premier versement, nuance Mme Martel. L'actuaire donne en exemple le cas d'un professionnel qui quitte son emploi après sept années de services et dont le régime vaut 150 000 $. L'homme affirme ne pas avoir besoin de la rente, car il a déjà accumulé assez d'épargne-retraite. Veuf, il n'a pas de conjointe qui profiterait de la rente du survivant. Il aimerait léguer cet actif à ses enfants. «Dans ce cas exceptionnel, je lui ai conseillé de transférer l'argent, car ses autres épargnes lui permettaient de subvenir à ses besoins. L'argent pouvait fructifier dans le CRI et être légué à ses enfants. Dans un régime, le capital aurait disparu au décès, s'il était survenu trois ans après début du versement de la rente.»
L'avantage d'un régime à prestations déterminées est indéniable, abonde Nathalie Bachand. Toutefois, l'absence totale de risque n'existe pas, comme peuvent en témoigner les employés de Mabe Canada dont la valeur du régime a lourdement été amputée après la faillite controversée de l'employeur. «Oui, ce sont de rares cas, mais on ne peut pas dire que ça n'arrivera pas, répond-elle. Honnêtement, il y a 10 ans, on ne se questionnait pas là-dessus, mais maintenant, c'est un point qu'on analyse.»
3 RÈGLES POUR QUE VOTRE PORTEFEUILLE NE S'ÉVAPORE PAS AVANT LA RETRAITE
Plus on vieillit, plus les lendemains de veille sont pénibles. C'est particulièrement vrai en investissement, parce qu'on dispose de moins de temps pour se remettre d'une mauvaise décision.
1. La concentration, tu éviteras
Vous l'avez déjà entendu : diversifier son portefeuille est la règle de base en investissement. Vous pourriez vous mordre les doigts d'avoir ignoré ce conseil à l'approche de la retraite. Hélène Gagné, de Peak Gestion privée, recommande de limiter le poids d'un titre à 5 % de la valeur du portefeuille.
2. Le régime d'actionnariat, tu allégeras
Mme Gagné applique la même règle au détenteur de régime d'actionnariat d'entreprises, mais avec un peu plus de «souplesse». Dans ce cas, un épargnant pourrait laisser l'action de son entreprise constituer jusqu'à 10 % de la valeur de son portefeuille, précise-t-elle. Avec le temps, les actions accumulées dans ces régimes peuvent représenter une part importante de votre portefeuille. N'oubliez pas d'en liquider une partie à l'occasion.
3. L'immobilier, tu n'adoreras pas
Avez-vous déjà entendu votre beau-frère vous dire que sa maison était son fonds de pension ? C'est une très mauvaise idée, que même les gens aisés ont parfois. Mme Gagné a vu des millionnaires avec seulement 300 000 $ dans leur REER. Le reste de leur valeur nette était immobilisée dans leur maison. Ces ménages s'exposent trop au risque d'une baisse du marché immobilier, sans compter les coûts des taxes et de l'entretien de ces somptueuses demeures. Elle suggère de limiter la part des biens immobiliers (maison, chalets, bateau) à 30 % de la valeur de votre actif.
LE PARTAGE D'UN RÉGIME DE RETRAITE, UN CASSE-TÊTE
Soyez averti. Le partage «équitable» de la valeur d'un régime de retraite à prestations déterminées pourrait laisser un des conjoints avec beaucoup moins que l'équivalent de la moitié de la rente promise. Sur cette question, le choix de la date de séparation peut faire un monde de différence.
La mécanique utilisée pour séparer un régime à prestations déterminées est complexe. Comme le dit son nom, le régime à prestations déterminées promet à ses bénéficiaires une rente d'un montant précis jusqu'à leur décès. Pour déterminer comment partager le régime entre les conjoints, un actuaire doit déterminer la valeur de la promesse de rente.
Dans l'équation, le moment du départ à la retraite modifie le résultat de ses calculs, explique Carolyn Martel, actuaire de Martel Actuariat. «Vous avez 55 ans et votre employeur estime que vous prendrez votre retraite à 65 ans, donne en exemple l'actuaire. Si vous prenez votre retraite à 55 ans, vous recevrez votre rente pendant dix années de plus. La valeur de votre régime vient de bondir de quelques centaines de milliers de dollars d'un coup.»
C'est pour cette raison que le moment choisi pour divorcer peut représenter plus ou moins quelques centaines de milliers de dollars lors du partage des actifs. Mme Martel donne l'exemple d'un professionnel qui se sépare de sa conjointe en 2013. La valeur de son régime est de 700 000 $. L'année suivante, il prend sa retraite, et la valeur de son régime bondit à 1,2 M$. En 2015, il lance les procédures de divorce.
Deux dates peuvent être utilisées pour déterminer la valeur du partage de patrimoine : la date de cessation de vie commune (2013) ou le début des procédures (2015). «Si on prend la première date, Madame aurait droit à 350 000 $. Si on prend la deuxième, elle aurait 600 000 $, illustre-t-elle. Monsieur voudra évidemment prendre la date de séparation, et Madame voudra prendre celle du début de la procédure. Là, on est certain d'aller en cour.»
Rappelons que c'est la valeur du régime et non pas la rente qui est partagée. La législation est ainsi faite qu'un partage qui devait être fait de manière équitable peut donner lieu à l'équivalent d'une séparation de 30 % à 70 % d'une rente, selon les cas. Une des deux parties pourrait demander un partage inégal du régime afin de mieux refléter la valeur de la rente, mais il n'est pas dit qu'un juge acceptera, ajoute-t-elle.
L'une des options pour se prémunir contre une situation inéquitable pour l'une des parties est d'opter pour la «séparation de corps» plutôt que le divorce, plaide Jean-François Chabot, de cabinet Chabot médiateurs avocats. En vertu, de la séparation de corps, les époux restent mariés, mais n'ont plus l'obligation de faire vie commune. «Ça leur donne d'autres options pour le partage des biens, explique-t-il. Pour le fonds de pension par exemple, les ex-conjoints pourraient décider de séparer la rente par l'intermédiaire d'une pension alimentaire, plutôt que de séparer la valeur du régime.
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