Le manque de préparation des ménages québécois pour la retraite, nos experts le constatent tous les jours dans leur pratique. Même chez les plus nantis. Les Affaires a invité quatre professionnels de la planification pour discuter des défis financiers que représente le retrait de la vie active.
À lire aussi :
Retraite: des règles du pouce à suivre
Ensemble, nos quatre experts ont assez de diplômes pour tapisser un mur. Malgré leurs connaissances poussées de la planification financière, ceux-ci doivent sans cesse revenir à la base des finances personnelles : «tout commence par l'épargne». Une leçon qu'ils martèlent tant aux membres de la classe moyenne qu'aux particuliers fortunés.
«On dirait que les gens pensent qu'en allant voir un conseiller, tout va s'arranger», déplore Daniel Laverdière, directeur principal, planification financière et conseil, de Banque Nationale Gestion Privée 1859. «La pensée magique», acquiesce Guylaine Dufresne, de la Banque Laurentienne, de l'autre côté de la table. «Certains clients espèrent une solution qui ne nécessitera pas trop d'efforts, poursuit Daniel Laverdière. En fin de compte, on aura beau leur donner tous les conseils du monde, ils n'y arriveront pas [à atteindre leurs objectifs financiers] s'ils n'épargnent pas.»
Josée Jeffrey, de Focus Retraite & Fiscalité, a dû, elle aussi, ramener des clients sur terre. Pour certains, voir sur papier ce qu'ils soupçonnaient déjà provoque un choc brutal. «Les gens ne connaissent pas leur coût de vie», dit-elle, provoquant un hochement approbateur des trois autres invités. «C'est pourtant une donnée essentielle d'une planification financière, mais bien des gens peinent à le recenser, ajoute la fiscaliste et planificatrice financière. Sans elle, je travaille pour rien.»
Hélène Gagné, gestionnaire de portefeuille et planificatrice financière chez Gestion privée Peak, partage le constat de ses collègues. «On n'a pas encore trouvé la façon de stimuler les gens à épargner, déplore l'auteure de Votre retraite crie au secours. L'industrie financière cherche encore une façon de faire passer l'épargne pour un défi positif, plutôt que comme une contrainte.»
La réalité que voient nos quatre invités dans leur pratique se reflète dans les données économiques. La dette des ménages canadiens a atteint un record de 164,1 % de leurs revenus disponibles au troisième trimestre de 2013, selon les données publiées par Statistique Canada. Ce poids est si lourd à porter que 38 % des Canadiens en perdent le sommeil, selon un sondage de la Banque de Montréal (BMO), publié à la fin de l'été. «Les gens savent qu'ils sont surendettés, mais c'est devenu une habitude de vie», constate Josée Jeffrey.
Guylaine Dufresne perçoit un changement d'attitude par rapport à l'endettement. «On voit des gens qui arrivent à la retraite avec des dettes hypothécaires, répond la directrice principale, investissement et planification financière, de la Banque Laurentienne. Ce n'était pas quelque chose de commun au début de ma carrière. Les jeunes, pour leur part, semblent aussi plus à l'aise à l'idée de s'endetter. Je suis surprise lorsque j'entends de jeunes adultes évoquer la faillite avec légèreté.»
À lire aussi :
Retraite: des règles du pouce à suivre
La misère des riches
Même s'ils ont des revenus plus généreux, les particuliers fortunés n'échappent pas à cette réalité, affirme Hélène Gagné. «La véritable question, c'est : "combien pensez-vous dépenser chaque année une fois à la retraite ?" Un capital de 5 millions de dollars est un actif considérable, c'est vrai. Si vous voulez dépenser 300 000 $ par année, ça va aller vite. Tout compte fait, les nantis ont les mêmes préoccupations que ceux qui ont un revenu modeste.» «Ce ne sont que des zéros de plus», opine Guylaine Dufresne.
Nos fortunés précaires sont en quelque sorte aveuglés par leurs possessions matérielles qui leur donnent l'impression d'être plus à l'aise financièrement qu'ils ne le sont vraiment. «J'ai des clients qui ont des surprises lorsqu'on calcule leur valeur nette, raconte Guylaine Dufresne. Ils vivent dans de belles maisons de 400 000 $, mais lorsqu'on prend en compte leurs dettes, ils ne valent plus que 35 000 $. Je dois leur faire prendre conscience que c'est tout ce qu'ils auraient pour réaliser leur projet de retraite si on liquidait leurs actifs demain matin.»
De plus, les personnes habituées à un train de vie élevé, mais qui n'ont pas épargné, seront contraintes de faire des ajustements draconiens alors qu'elles se sont habituées à un certain niveau de confort, illustre Daniel Laverdière. «Et ça, ce n'est pas facile», renchérit Hélène Gagné.
D'où l'importance de corriger le tir rapidement. «Pourtant, si on avait fait l'exercice de planification il y a cinq ans, les ajustements auraient été moins pénibles. Et ça aurait été encore plus facile dix ans plus tôt», ajoute Daniel Laverdière.
Cela nécessite toutefois une prise de conscience précoce. Laissés à eux-mêmes par un marché de l'emploi dans lequel les régimes de retraite se font de plus en plus rares, les jeunes ne peuvent compter que sur leur discipline budgétaire pour tirer leur épingle du jeu. Cet argument est difficile à vendre lorsque l'objectif est si lointain. «Je ne sais pas ce que j'aurais dit à 20 ans si on m'avait demandé d'épargner pour ma retraite», admet Guylaine Dufresne.
À lire aussi :
Retraite: des règles du pouce à suivre
Des solutions publiques
L'ampleur du défi amène nos experts à s'aventurer sur le terrain politique. Les gouvernements devraient intervenir afin qu'une plus grande part de l'épargne-retraite se fasse par l'intermédiaire de régimes publics, selon eux.
La nature humaine étant ce qu'elle est, bon nombre de travailleurs n'ont pas le réflexe de garnir leur bas de laine. Par le passé, les régimes de retraite des employeurs permettaient de «forcer» l'épargne. Or, de moins en moins de gens ont accès à ce type de régime. «Le régime des rentes du Québec est un bon exemple d'épargne forcée, illustre Guylaine Dufresne. Si ça n'existait pas, certaines personnes seraient dans une situation bien plus précaire.»
Ce régime devrait être bonifié, croit Josée Jeffrey. Au Canada, les régimes publics ne remplacent que 39 % des revenus de travail, selon une étude de l'OCDE. La moyenne est de 58 % pour les autres pays membres et dépasse les 60 % chez les membres européens. «On devrait les prendre en exemple», suggère-t-elle.
Hélène Gagné, pour sa part, constate que le problème du remplacement de revenu à la retraite est davantage un problème touchant la classe moyenne supérieure et les épargnants aisés. Avec le supplément de revenu garanti et le Régime de rentes du Québec, les moins nantis réussissent à avoir un taux de remplacement relativement élevé de leurs revenus, ce qui n'est pas le cas des plus fortunés. «La réaction initiale est de dire que ces gens-là ont la capacité de mettre de l'argent de côté, admet-elle. Ils ont peut-être les moyens, mais ils ont parfois besoin d'être accompagnés.»
À lire aussi :
Retraite: des règles du pouce à suivre
RVER critiqué
Les experts écorchent au passage le Régime volontaire d'épargne-retraite (RVER). La nouvelle solution qu'a trouvée Québec pour encourager l'épargne ne remplira pas sa mission, selon eux. Le fait qu'il soit volontaire pose problème. «Il y a déjà des programmes qui existent comme les REER, mais les gens n'y souscrivent pas», critique Daniel Laverdière, sous le regard approbateur des trois autres invités.
À partir du 31 décembre 2016, les entreprises ayant au moins 20 employés devront offrir le RVER, qui remplira la même fonction qu'un régime à cotisations déterminées. S'il est obligatoire d'y donner accès, les employeurs ne seront pas tenus d'y cotiser et les travailleurs pourront, pour leur part, choisir de ne pas effectuer les retenues salariales.
Le but est de faciliter l'épargne à l'aide de retenues salariales automatiques. Il permet aussi aux PME qui n'ont pas les moyens de mettre en place un régime de retraite et d'avoir une option moins coûteuse.
En ce qui a trait à la fiscalité, ce programme est désavantageux pour les gens qui peinent à se bâtir un capital, ajoute Daniel Laverdière. Le particulier aurait eu tout avantage à placer ses épargnes dans un CELI, car les sommes retirées n'auront pas d'impact sur le calcul de la Pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) versée par le fédéral. À l'inverse, les sommes retirées du RVER seront imposées comme du revenu et influeront sur le montant de la PSV. «Sans le savoir, les gens vont réduire leur prestation de Sécurité de la vieillesse. On veut aider des gens qui ont de la difficulté à épargner à le faire, mais on leur propose de le faire dans le mauvais outil.»
À lire aussi :
Retraite: des règles du pouce à suivre