Pour bien des ménages, gérer les finances est un casse-tête. Et si la clé était de considérer sa famille comme une petite entreprise ? Quand PME signifie papa, maman, enfants.
La dernière fois qu'un pro de la finance a tenté de donner des conseils à Frédéric Pratte, il lui a finalement offert... un emploi ! «J'avais déjà mis en place toutes les stratégies qu'il me conseillait, alors il a voulu m'engager», raconte-t-il.
En matière de finances personnelles, ce Beauceron dans la trentaine est effectivement un modèle. Il y a 10 ans, son beau-père lui a offert un exemplaire d'Un barbier riche, le livre culte de David Chilton. L'auteur y met en scène un barbier fictif qui donne des conseils à ses clients pour qu'ils s'enrichissent et martèle l'importance de l'épargne.
Depuis, sa conjointe et lui ont un plan qu'ils respectent à la lettre. Épargner 10 % de leurs revenus. Cotiser le maximum à leur REER. Consommer raisonnablement. Constituer un patrimoine - en plus de leur résidence, ils ont déjà un immeuble de logements et un véhicule récréatif - qu'ils pourront léguer à leurs enfants.
Frédéric Pratte et sa conjointe sont des oiseaux rares. Seulement 16 % des Québécois ont un plan financier, selon un sondage de Desjardins Gestion de patrimoine. La majorité d'entre eux font des dépenses superflues et n'épargnent pas suffisamment, selon un autre sondage du Mouvement Desjardins. Pas étonnant que le taux d'endettement batte des records. Si on exclut l'hypothèque, la dette moyenne du consommateur québécois s'élève désormais à près de 20 000 dollars, d'après la maison d'évaluation de crédit TransUnion.
Et si l'on gérait le ménage comme les entrepreneurs gèrent leur PME ? Quand on y pense, la famille et une entreprise ont bien des points communs. Toutes deux doivent jongler avec des flux monétaires, répartir leurs ressources en fonction de leur vision, croître, prospérer, assurer la relève... Et comme bien des petites entreprises, la famille est menée par des partenaires d'affaires, ici, les parents, qui doivent s'entendre sur des objectifs et sur un plan stratégique. Et comme deux partenaires liés par une convention d'actionnaires, les conjoints ont intérêt à signer un contrat qui établit les règles du jeu !
Noble mission
Avant même d'établir un budget et de lancer ses activités, une entreprise a une mission. Un énoncé de quelques lignes qui cerne son champ d'activité, ses valeurs et, parfois, ses ambitions. Par exemple, la mission du Groupe Jean-Coutu définit la société comme un «leader du domaine de la pharmacie», qui offre des «produits de première qualité» dans un «environnement chaleureux et efficace».
Ces quelques mots servent de gouvernail. «Sans mission, une entreprise ne va nulle part. C'est grâce à elle qu'on peut établir des objectifs», dit Pierre-Yves McSween, professeur et chroniqueur spécialisé en finances personnelles et en économie.
Pour réduire le chaos qui régnait chez lui, l'Américain Bruce Weiler a testé sur sa famille un paquet d'idées issues du monde des affaires. Un processus qu'il raconte dans The Secrets of Happy Families, paru l'année passée (voir l'encadré). Pour rédiger leur mission, sa femme et lui ont organisé l'équivalent familial d'un lac-à-l'épaule : une soirée pyjama avec leurs jeunes enfants. Ensemble, ils ont déterminé leurs valeurs fondamentales, qu'ils ont formulées en une dizaine d'énoncés - «nous aimons apprendre», «nous sommes des voyageurs, pas des touristes», «nous avons le droit à l'erreur», etc. Ces principes les guident depuis dans leur prise de décision.
«Au fond, parler d'argent dans une famille, c'est parler de valeurs», observe Hélène Belleau, chercheuse à l'INRS, dont les travaux portent sur la gestion de l'argent au sein des couples. Qu'est-ce qui compte le plus : économiser en vue d'une retraite dorée ? Porter des vêtements griffés ? Envoyer les enfants à l'école privée ?
Pour formuler votre mission, Bruce Weiler suggère de réfléchir aux questions suivantes : quel mot décrit le mieux notre famille ? Qu'est-ce qui importe le plus pour nous ? Quelles sont nos forces comme famille ? Quelle maxime nous résume le mieux ?
Plan d'action
Après avoir déterminé sa mission, l'entreprise la traduit en objectifs concrets et élabore un plan stratégique pour les atteindre. «Une entreprise qui aspire à devenir le plus grand vendeur de pneus du monde peut se donner l'objectif de percer le marché asiatique, ce qu'elle fera en ouvrant une succursale dans chaque grande ville du continent», illustre Pierre-Yves McSween.
Le même raisonnement s'applique aux familles. Les parents qui se donnent pour mission d'être indépendants financièrement à 50 ans pourraient notamment se fixer le but d'avoir remboursé leur hypothèque à cet âge. Pour y arriver, ils pourraient décider d'augmenter leurs paiements hypothécaires chaque année et de suivre des formations pour augmenter leur valeur sur le marché du travail.
Pour établir de bons objectifs, Pierre-Yves McSween conseille la méthode SMART, populaire dans le milieu des affaires. Selon cette stratégie, un objectif doit être :
Spécifique - mieux gérer vos finances, c'est trop flou ; épargner, c'est déjà mieux ;
Mesurable - combien souhaitez-vous mettre dans votre bas de laine ?
Ambitieux, mais Réaliste - le défi doit être grand, mais pas au point de vous décourager avant même de commencer ;
Temporellement défini - en combien de temps ?
Faire parler les chiffres
Dans les entreprises, on ne badine pas avec le budget. «L'entreprise estime ses revenus et ses dépenses pour l'année suivante. Ensuite, elle vérifie régulièrement qu'elle respecte ses prévisions et rectifie le tir au besoin», explique Suzanne Landry, professeure titulaire au Service de l'enseignement des sciences comptables de HEC Montréal. Si elle néglige le suivi, la banque ou les financiers la rappellent à l'ordre.
Dans les ménages, les contrôles aussi rigoureux sont rares. Seulement 60 % des Québécois font un budget, selon l'Institut de la statistique du Québec. Et beaucoup se contentent de noter leurs dépenses. «Ça ne suffit pas. Il faut faire parler les chiffres», dit la planificatrice financière Nathalie Lacharité.
Dans une entreprise, celui qui tient les livres s'assure que les ressources vont au bon endroit. «Il peut juger que la société a trop d'inventaire ou de personnel, ce qui nuit à l'atteinte des objectifs», explique Suzanne Landry. Il faut analyser les dépenses familiales de la même façon. Si votre auto vous coûte deux fois plus cher que vos REER, est-ce que cela s'aligne sur vos objectifs ?
Frédéric Pratte l'a bien compris. Grâce à un fichier Excel religieusement mis à jour, il sait combien il a englouti en vêtements ou en essence depuis les 10 dernières années. Il utilise ces informations pour contrôler les dépenses familiales. «Si pendant un mois on sort beaucoup, le mois suivant, on y pense à deux fois avant d'aller au restaurant», explique-t-il. Son système s'est aussi révélé utile au moment d'acheter une première maison avec sa conjointe - un bungalow à Sainte-Marie - en 2008. «On savait exactement ce qu'on pouvait se permettre.»
Une tenue de livres rigoureuse permet aussi de faire des prévisions qui vont au-delà de la gestion à la petite semaine. «Même les entreprises très efficientes stagnent ou déclinent si elles s'en tiennent aux activités quotidiennes. Pour réussir, il faut se garder du temps pour la stratégie», indique Suzanne Landry.
Dans un ménage, le rapport amoureux complique les choses. «L'idée qu'en amour, on ne compte pas ou que le couple doit toujours passer avant les intérêts individuels est bien ancrée», observe Hélène Belleau. Résultat : les conjoints parlent assez facilement des dépenses au quotidien comme l'épicerie et la voiture, mais peinent à aborder la répartition des charges et ses conséquences à long terme, comme la capacité d'épargner de chacun.
Rencontre au sommet
Marc Zuckerberg et Eduardo Saverin chez Facebook. Larry Page et Sergueï Brin chez Google. Branislav Matic et Lorne Trottier chez Matrox (l'entreprise québécoise spécialisée en cartes graphiques pour ordinateurs). Le monde des affaires n'est pas à court de chicanes d'associés.
«Les ambitions des fondateurs peuvent diverger au fur et à mesure que l'entreprise croît», observe Suzanne Landry. Alors qu'un des associés se sent comblé par un salaire décent et une belle qualité de vie, l'autre rêve de diriger une multinationale.
De la même façon, un couple n'est pas toujours au diapason. «Il y a autant de rapports à l'argent que d'individus», estime Nathalie Lacharité. Celui qui a grandi dans la précarité sera peut-être plus anxieux. Celui dont les parents étaient nantis, mais absents, sera ambivalent si son amoureux commence à gagner beaucoup de sous.
En affaires, quand les différends sont trop importants, les associés se séparent. «En général, un contrat stipule les conditions selon lesquelles un associé peut racheter les parts de l'autre, par exemple», indique Pierre-Yves McSween. En famille aussi, les contrats - contrat de mariage ou de vie commune, testament, etc. - ont leur place pour encadrer l'union, la répartition des charges et des possessions, et la marche à suivre en cas de séparation.
Avant d'en arriver là, il vaut mieux discuter et réviser régulièrement le plan stratégique et les objectifs afin d'être sur la même longueur d'onde. Et pas uniquement lors des grands événements comme l'achat d'une propriété ou la naissance d'un enfant. Pour Daniel Laverdière, directeur principal, planification financière et conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859, toutes les occasions sont bonnes pour parler d'argent. «Décider si on achète du jus d'orange Oasis ou la marque maison, c'est une décision financière, même s'il n'y a que quelques sous en jeu.» Mine de rien, ces petits échanges font leur chemin. «On développe des façons de négocier ensemble qui peuvent ensuite servir pour des décisions plus importantes», dit-il.
Une communication qui comprend les enfants. Comme des employés, ils doivent eux aussi adhérer aux valeurs et à la mission. «Dans une entreprise, les messages émanent de la haute direction, qui doit être transparente et cohérente», dit Suzanne Landry.
Justifier les choix financiers est aussi souhaitable avec les enfants. Les vacances sont une occasion toute trouvée. «On peut présenter notre choix entre le camping et un séjour à Disneyland en expliquant la différence de prix entre les deux», dit Hélène Belleau. Ou souligner que si les petits voisins font du ski tous les week-ends, ils vont moins souvent à l'étranger. Parce que même les entreprises prospères n'ont pas des moyens illimités.
52 % : Pourcentage des ménages québécois dans lesquels une seule personne gère l'argent, selon l'Institut de la Statistique du Québec (ISQ). Autrement dit, à chaque famille son vice-président finances.
62 % : des Canadiens estiment n'avoir pas suffisamment parlé d'argent avec leur tendre moitié avant de dire «Oui, je le veux», selon un sondage de la BMO.
La famille agile
Les ménages peuvent-ils s'inspirer des entreprises au-delà de la gestion financière ? L'Américain Bruce Weiler le pense. En plus de définir une mission pour sa famille, ce chroniqueur du New York Times a testé des pratiques utilisées dans le monde du travail pour venir à bout du fouillis qui régnait chez lui. Techniques de résolution de confit, stratégies de branding, exercices pour renforcer l'esprit d'équipe : tout y est passé. L'auteur détaille ses expériences dans The Secrets of Happy Families, paru l'année dernière.
Dans certains cas, les résultats sont probants. Par exemple, il affirme qu'adopter la méthode agile - une stratégie de gestion de projets qui a vu le jour dans l'univers du logiciel - a permis de diminuer la tension de plusieurs crans lors de la routine matinale avec ses jumelles, alors âgées de cinq ans. Avis aux intéressés !
L'entreprise en expansion
L'entreprise en expansion
Actionnaires principaux : Julie Trudel-Roy et René-Pierre Grégoire
Siège social :Montréal
Mission : Heureux ici comme ailleurs
Objectifs :
>Renouer avec la rentabilité ;
>Recommencer à voyager ;
>Rembourser la marge hypothécaire.
Plan stratégique
>Utiliser la marge hypothécaire, mais seulement pour les «bonnes» dépenses ;
>Magasiner longuement les achats importants ;
>Éviter les dettes de consommation courante.
Les Trudel-Roy-Grégoire sont dans une période de la vie qui coûte cher. Au cours des cinq dernières années, le couple a acheté et rénové un triplex de La Petite-Patrie, à Montréal, et donné naissance à trois enfants. Bonjour la dépense ! En même temps, leurs revenus ont fondu. «Trois congés de maternité, c'est dur sur le budget», dit Julie, cajolant la petite dernière qui a à peine un mois et demi. Comme une entreprise en expansion, ils doivent faire de gros investissements avec des moyens limités.
Heureusement, ils avaient prévu le coup. Après avoir terminé leurs études, il y a une dizaine d'années, ces deux comptables ont exécuté leur plan pour épargner une mise de fonds substantielle : maintenir leur train de vie d'étudiants et verser une partie de chaque paie (ainsi que les augmentations de salaire et les bonus) dans un compte consacré à la maison.
Résultat : en six ans, ils ont amassé 70 000 dollars, soit 20 % du prix de la propriété. «On était vraiment fiers. On évitait ainsi d'avoir à souscrire l'assurance prêt hypothécaire de la SCHL et on devenait admissible à une marge de crédit hypothécaire», dit René-Pier, un grand gaillard au visage rond.
Cette marge est la pièce maîtresse de leur structure financière actuelle. Grâce à elle, ils ont rafraîchi les salles de bain et transformé le salon, la salle à manger et la cuisine en une agréable aire ouverte, malgré leurs revenus amputés. Leur mot d'ordre pour décider de ce qui passe sur la marge : les dépenses qui augmentent la valeur de la maison, c'est oui ; le reste, non. Pas question donc de s'en servir pour meubler le sous-sol nouvellement fini. «S'il le faut, on va vivre avec nos vieilles affaires jusqu'à ce que je recommence à travailler», dit Julie.
Une fois par mois, la garderie de leurs enfants reste ouverte jusqu'à minuit. «On en profite pour aller au restaurant et faire le point», dit Julie. Pas impulsifs pour deux sous, ils mûrissent longuement les gros achats. L'année dernière, ils ont mis six mois à choisir une nouvelle voiture - quatre mois pour la sélection du modèle, et deux pour le mode de financement. Déformation professionnelle : «En tant que comptables, on comprend l'importance des taux d'intérêt», dit-elle.
Dès que Julie recommencera à travailler, le couple s'emploiera à rembourser la marge hypothécaire. Avant d'avoir des enfants, Julie et René-Pierre ont bourlingué : l'Inde, la Thaïlande, le Maroc et le Pérou. Ils espèrent maintenant voir du pays en famille. «Cinq billets d'avion, ça coûte cher, dit Julie. Mais si on s'y prend d'avance, j'y crois !»
L'entreprise d'économie sociale
L'entreprise d'économie sociale
Actionnaires principaux : Martine Thibault et Marc Durocher
Siège social : Drummondville
Mission : Ensemble, c'est tout
Objectifs :
>Passer beaucoup de temps en famille ;
>Prendre leur retraite dans une dizaine d'années, avant 60 ans ;
>Construire une maison à la campagne pour leurs vieux jours.
Plan stratégique
>Travailler à temps partiel pour Martine ;
>Épargner environ 2 000 dollars par mois ;
>Réduire les dépenses au maximum en éliminant le superflu et en achetant des biens d'occasion.
De son propre aveu, Martine Thibault est une accro de la bonne gestion financière. La vice-présidente, finances, de la famille, c'est elle. Cette extravertie aux yeux très bleus trouve même le moyen de prendre plaisir à payer ses comptes. «Je vois le côté positif : si je paie des taxes, c'est parce qu'on a une maison», raconte-t-elle par un samedi de printemps gris, en préparant le chaudron de minestrone et l'énorme salade de pâtes - les lunchs de ses quatre fils pour une partie de la semaine.
Pour elle et pour son mari Marc Durocher, un grand brun à la carrure sportive, la mission familiale - passer du temps ensemble - s'est imposée il y a longtemps. Après la naissance de leur premier enfant, il y a près de 20 ans, Martine a repris son emploi à temps plein dans les cuisines d'un restaurant. «On n'avait pas le temps de souffler», se souvient-elle. Au lieu de passer leur vie à courir, ils ont décidé qu'elle travaillerait à temps partiel et qu'ils vivraient avec moins.
Toute leur vie s'est organisée selon ce principe. La famille s'habille dans les friperies. Le mobilier et les objets décoratifs sont d'occasion. Leurs loisirs sont peu coûteux. «Moi, je n'ai besoin de rien», dit Martine. On ne peut en dire autant de Marc. S'il n'en tenait qu'à lui, il y aurait depuis longtemps un écran plat sur le mur du salon et un nouvel objectif sur son appareil photo. «Mais je me retiens, et les envies passent», dit-il.
En 1997, ils ont acheté la maison «la plus laide et la moins chère» de toutes celles qu'ils avaient visitées. Mais son emplacement central permettait à la famille de se débrouiller avec une seule voiture. En plus, elle est située dans une des plus belles rues de Drummondville.
Au fil des ans, ils en ont fait un chaleureux cocon.
Tous les deux ou trois ans, ils mettent à jour leur plan stratégique. Il y a quelques années, ils ont mis le paquet sur l'hypothèque. Maintenant que la maison est presque entièrement payée, ils visent une retraite anticipée dans environ 10 ans. Leur rêve : construire une maison dans une propriété au bord de l'eau, achetée il y a quelques années. Pour y arriver, ils épargnent environ 20 000 dollars par an. Une somme appréciable, compte tenu de leurs revenus annuels de 95 000 dollars.
Les enfants sont dans le coup. «Quand on leur refuse une bébelle, on leur fait valoir tout ce qu'on a déjà, dit Martine. Maintenant, les plus grands sont assez vieux pour nous dire qu'ils ne manquent de rien.»
La blue chip
La blue chip
Actionnaires principaux : France Lemieux et Éric Normand
Siège social : Saint-Hubert
Mission : La meilleure qualité de vie possible sans se ruiner
Objectifs :
>Avoir un bon coussin de sécurité ;
>Limiter les dettes de consommation.
Plan stratégique
>Habiter près des transports en commun ;
>Se faire plaisir régulièrement, mais raisonnablement ;
>Acheter en solde ;
>Contrôler les dépenses.
La maison d'Éric Normand et de France Lemieux, située dans un des plus beaux quartiers de Saint-Hubert, se trouve à deux pas d'un arrêt de la ligne d'autobus qui mène au métro Bonaventure. C'est pratique pour l'auteure de ces lignes qui ne possède pas de voiture. Mais ce l'est encore plus pour France, une pétillante quadragénaire à la chevelure d'ébène qui travaille dans un cabinet comptable du centre-ville. Ce le sera aussi pour leurs deux ados, qui prendront bientôt le chemin du cégep.
Ce n'est pas un hasard. En 2010, quand les Normand-Lemieux ont mis en vente leur première propriété - aussi à Saint-Hubert -, ils ont regardé du côté de Chambly et de Saint-Bruno, où les maisons coûtent moins cher. «Mais à cause du coût plus élevé du transport et des désagréments de plus longs trajets, ça n'en valait pas le coup», raconte Éric.
France et lui sont des habitués de ce genre de calculs. Dans les années 1990, ils ont acheté une maison au- dessous de leur capacité d'emprunt pour pouvoir épargner. «Ça nous a permis de maximiser les contributions à nos REER et d'utiliser le remboursement d'impôt pour payer l'hypothèque plus rapidement», raconte France.
Éric et France ont pris leurs bonnes habitudes jeunes. Leurs parents leur ont appris la valeur de l'argent durement gagné. Ils l'inculquent eux-mêmes à leurs propres enfants. Un enseignement qui se fait au quotidien. «Quand ils étaient petits, ils voulaient tout acheter à l'épicerie. On leur expliquait pourquoi on disait oui ou non, ou on choisissait un produit en vente. On pouvait le faire 10 fois par allée», raconte Éric. Plus tard, quand son fils a eu 16 ans, ils ont réglé des factures ensemble. «Je lui ai montré combien coûtent l'électricité, Internet, les taxes», poursuit-il.
Pour contrôler les dépenses, il se rend au guichet une fois par semaine seulement, une habitude adoptée à l'université. «C'est mon barème», dit-il. Si son portefeuille est toujours vide, il y a anguille sous roche. Même chose pour sa carte de crédit. «En excluant les dépenses occasionnelles, je m'attends à avoir un solde à peu près équivalent chaque mois. Je préfère tenir mes dépenses à l'oeil de cette façon que de fixer un montant à respecter pour les restaurants ou les vêtements.»
Malgré leurs revenus élevés, Éric et France consomment raisonnablement, en prenant soin de ne pas devenir blasés. «Si tu roules en Mercedes à 25 ans, à quoi tu peux aspirer de plus avec les ans ?» demande Éric. Grand amateur de chars, il rêve lui-même d'une BMW. Même s'il peut se l'offrir, il se contente pour l'instant de sa Mazda 3. «J'y trouve le même genre de conduite sportive pour une fraction du prix.»
Même chose pour les vacances annuelles dans le Sud. «On a les moyens, mais on ne veut pas en faire une habitude», dit France. «Les gens pensent que la liberté, c'est de se gâter, dit Éric. En fait, la liberté, c'est de se créer un bon coussin de sécurité. Après, on peut se gâter !»