Être travailleur autonome, c'est aussi être chef de ses finances. Démarrez à votre compte sur des bases solides. Douze conseils pour une organisation financière de béton.
1 Ouvrez un compte de banque distinct
Pour y voir clair dès le départ, séparez vos billes. Dissociez votre compte personnel de votre compte d'affaires. C'est ce qu'a fait Réal Gagné, créateur de l'unique portail d'emploi consacré exclusivement au milieu infirmier au Québec, emploisinfirmiers.com. Il y a quatre ans, l'ancien directeur général de l'Association des infirmières et infirmiers d'urgence du Québec a quitté son emploi et la sécurité financière qu'il lui procurait pour lancer sa propre entreprise.
En plus de simplifier la comptabilité, le compte a permis à l'entrepreneur montréalais de 42 ans de bâtir rapidement sa crédibilité d'homme d'affaires auprès de son institution financière. «Les banques sont très frileuses face aux entreprises du secteur technologique. Grâce à ce compte, mon banquier peut suivre de près mes transactions et juger plus facilement de la discipline et du sérieux de mon projet», explique-t-il.
«Il faut outiller son banquier si on veut en obtenir plus facilement de l'aide», renchérit Michel Fortin, directeur général de SAJE accompagnateur d'entrepreneurs. Depuis 1993, cette firme de service-conseil, de formation et de coaching prête main-forte chaque année à plus de 850 entrepreneurs et travailleurs autonomes qui décident de se lancer à leur compte.
2 Inscrivez-vous aux fichiers TPS-TVQ
Au Québec, toute personne qui exerce des activités commerciales et dont le revenu excède 30 000 dollars sur 12 mois consécutifs doit s'inscrire aux fichiers de la TPS et de la TVQ.
Une fois inscrit, vous devez percevoir ces taxes sur tous les produits et services que vous offrez. Par conséquent, vous devrez effectuer des versements mensuels, trimestriels ou annuels selon vos revenus. «Dans 80 % des cas, ces paiements sont faits sur une base trimestrielle», indique l'experte-comptable Lynda Coache, associée en certification chez Raymond Chabot Grant Thornton.
De nombreux travailleurs autonomes repousseront cette paperasse gouvernementale aussi longtemps que le cap des 30 000 dollars ne sera pas franchi. Lynda Coache suggère de considérer le processus autrement. «Dès que vous êtes inscrit, vous pouvez récupérer à 100 % la plupart des taxes liées aux achats et aux dépenses de votre entreprise. Lors de la première année de démarrage, cela peut se traduire par un montant non négligeable», souligne-t-elle.
3 Conservez vos reçus
Frais de représentation, honoraires du comptable, factures de papeterie, d'équipements électroniques, de téléphone cellulaire... conservez toutes vos factures. Si vous déduisez une partie des dépenses liées à la voiture, gardez toutes les factures d'essence et d'entretien. «Le gouvernement veut des preuves. Le relevé de carte de crédit ne vaut rien. Il faut des factures», insiste l'experte-comptable Lynda Coache.
4 Tirez profit de vos provisions d'impôt et de la perception des taxes
Le fait de percevoir vous-même les taxes sur vos produits et services, et de toucher un revenu qui n'est plus assujetti à des déductions à la source systématiques donne momentanément l'impression de gagner plus d'argent. «Attention, n'allez pas l'investir ou le dépenser. Cet argent appartient au gouvernement», prévient Lynda Coache, rappelant que les versements de taxes et des acomptes provisionnels se font tous les trois mois.
Faut-il pour autant laisser cet argent dormir dans un compte sans intérêt ? Jean Gosselin, spécialiste en communications d'entreprise, a suivi les conseils de sa planificatrice financière. Il a ouvert un compte d'épargne chez Manuvie. Un compte à intérêt élevé qui lui rapporte 1,75 %. «J'y dépose systématiquement la moitié de chaque montant facturé, ainsi que les taxes perçues auprès de mon client», confie l'ancien vice-président de la firme National qui, à 52 ans, a décidé de voler de ses propres ailes.
En plus de permettre des virements de fonds sans pénalité et le paiement d'acomptes provisionnels par Internet sans frais, ce compte n'exige aucun montant minimal.
5 Négociez votre marge de crédit avant votre départ...
Une marge de crédit permet de financer l'approvisionnement de stocks, les frais d'exploitation et les coûts liés au démarrage d'une entreprise. «Mais n'attendez pas de lancer votre entreprise pour négocier ce prêt à montant déterminé. Faites-le avant de quitter votre emploi», recommande Michel Fortin, directeur général de l'organisme SAJE, accompagnateur d'entrepreneurs.
6 ... ou préparez votre fonds de démarrage
Vicky Poirier, une comptable de formation de Lévis qui pratique depuis 17 ans, n'a pas eu besoin de demander une marge de crédit à son banquier pour lancer sa firme de juricomptabilité, Quantum-juri, en mars dernier. «J'avais préparé mon fonds de démarrage», indique cette nouvelle entrepreneure de 41 ans qui déteste improviser. En plus de développer son réseau de contacts au fil des ans, pendant deux ans, cette comptable a mis de côté ses primes de rendement, ses remboursements d'impôt ainsi que ses revenus de chargée de cours à l'Université Laval. Résultat ? Le jour J, elle disposait d'un bon coussin. «Ce montant a suffi à couvrir les honoraires d'un notaire pour l'incorporation de l'entreprise, ceux d'un fiscaliste, l'achat d'équipements informatiques et d'assurances responsabilité et invalidité. Un montant qui comprenait également le petit coussin de trois mois qui me permettrait de tenir avant d'encaisser mon premier chèque», raconte cette mère de deux préadolescents.
7 Entourez-vous de bons spécialistes
Même si Vicky Poirier maîtrise la comptabilité, pas question pour elle de faire ses propres états financiers ni les déclarations fiscales de son entreprise. «À chacun son métier», affirme la juricomptable, qui préfère recourir à un expert en la matière. Elle a même fait appel à une designer graphique pour créer sa carte professionnelle.
8 Incorporez-vous
De nombreux fiscalistes recommanderont l'incorporation uniquement lorsque les revenus de l'entreprise excèdent 100 000 dollars par an. En effet, le taux d'imposition sur les bénéfices dans une société par actions est de 19 % sur les premiers 500 000 dollars. Sans incorporation, c'est le taux marginal d'imposition qui s'applique, soit près de 50 %.
L'avocat montréalais Luc Audet n'est pas de cet avis. Outre l'avantage fiscal traditionnel, ce spécialiste en droit des petites et moyennes entreprises voit plus d'une vingtaine de bénéfices supplémentaires pour les entrepreneurs qui s'incorporent. Entre autres, une meilleure protection du patrimoine. «Votre patrimoine, c'est comme une grande commode. Quand vous êtes incorporé, seul le tiroir de l'entreprise peut tomber à la merci des créanciers en cas de problème. Sans incorporation, le contenu de la commode, y compris votre actif personnel, n'est plus protégé», explique Me Audet.
L'entreprise incorporée jouit d'une meilleure image professionnelle, d'un meilleur pouvoir d'emprunt, d'une meilleure protection de nom. De plus, elle peut accéder à plusieurs subventions offertes seulement aux entreprises incorporées.
Il y a toutefois un prix à payer. Constituer une société par actions au provincial coûte entre 850 et 2 500 dollars, taxes en sus. Si vous faites des affaires à l'extérieur de la province et que vous voulez protéger votre nom partout au Canada, comptez entre 1 300 et 3 000 dollars, taxes en sus, pour une constitution au fédéral.
L'autre inconvénient ? L'incorporation augmente le risque d'un contrôle gouvernemental.
9 Souscrivez une assurance invalidité
Cancer, dépression, fatigue chronique, maladie cardiaque... D'après les statistiques, la probabilité de devenir invalide pendant une période de 90 jours et plus, au moins une fois avant l'âge de 65 ans, est de une sur trois. Par conséquent, en tant que travailleur autonome, désormais sans assurance emploi, vous avez tout intérêt à vous protéger.
Ce qu'il faut savoir ? Parmi les compagnies qui offrent des couvertures d'assurance invalidité, quatre se distinguent : Canada Vie, RBC Assurances, Manuvie et la Great-West. «Ces compagnies ont cet avantage qu'elles offrent des produits irrévocables. Des produits qui vont vous suivre jusqu'à l'âge de 65 ans (et même plus), quel que soit votre état de santé, vos revenus et vos fonctions», souligne Jean Duranleau, des Services financiers Jean Duranleau.
Combien ça coûte ? Pour un revenu de 50 000 dollars, prévoyez une prime de 50 à 150 dollars par mois en moyenne, selon votre âge, pour recevoir des prestations non imposables de 2 950 dollars par mois, et ce, après un délai de carence de 90 jours, jusqu'à l'âge de 65 ans.
Pourquoi ce délai de 90 jours ? «La surprime de 50 % pour des prestations accessibles dès le jour 30 n'en vaut pas la peine», estime Jean Duranleau, un conseiller qui se spécialise dans l'assurance invalidité depuis 35 ans.
Notez bien que si vous êtes une femme, vos primes coûteront plus cher. «Les statistiques montrent que les femmes deviennent plus souvent invalides, et qu'elles le restent plus longtemps que les hommes», rapporte Jean Duranleau.
Toujours selon cet expert, pas la peine non plus de payer 50 % de plus par mois pour bénéficier d'un retour de primes à l'âge de 65 ans, pour le cas où aucune réclamation n'a été effectuée. «Investissez plutôt ce montant dans un fonds de placement garanti», recommande-t-il.
Enfin, prévoyez de trois à quatre mois pour conclure ce type de contrat d'assurance. Les conseillers veulent tout savoir : preuve de revenu, preuve de bonne santé, relevé de permis de conduire (6 points de démérite et plus se traduisent généralement par des surprimes) et un dossier civil impeccable.
10 N'oubliez pas l'assurance responsabilité
Compte tenu de la nature des services et conseils de son entreprise de communication, Jean Gosselin s'est prévalu d'une assurance responsabilité avant même de signer son premier contrat. «De toute façon, certains de mes clients du secteur parapublic l'exigent», signale l'entrepreneur.
Mais qu'est-ce au juste que cette protection ? «Elle couvre les dommages que vous pourriez causer à une tierce partie», explique Louis Cyr, qui dirige le cabinet en assurance de dommages éponyme. Selon le type de couverture _ matérielle, corporelle ou financière _, ce produit couvre également les frais juridiques en cas de poursuite.
Il faut prévoir entre 300 et 4 000 dollars de prime par an pour une assurance responsabilité civile générale qui couvre les dommages matériels et les dommages corporels. Un produit qui s'adresse principalement aux cuisiniers, aux coiffeurs, etc. La prime varie selon le chiffre d'affaires annuel et l'ampleur des risques de dommages.
L'assurance responsabilité professionnelle, qui couvre les dommages financiers, se traduit par une prime annuelle pouvant aller de 1 000 à 5 000 dollars. Cette assurance convient généralement à ceux qui pratiquent une professions libérale, comme les ingénieurs, les architectes, les avocats...
Certains entrepreneurs, qui oeuvrent dans le domaine de la création et des services-conseils, ont cependant avantage à se prévaloir des deux types de protection, dit Louis Cyr.
11 Protégez votre nom et votre domaine
La designer graphique Karine Verville, qui s'est lancée en affaires au printemps dernier, croyait pouvoir nommer son site Web kvdesign.com. «Malheureusement, le nom était déjà pris», explique la professionnelle de 33 ans, qui s'est consolée avec un karineverville.com. Un investissement d'une trentaine de dollars par an, qui lui permet de disposer d'un site Web où ses clients potentiels peuvent consulter son portfolio.
Si elle juge qu'il n'est pas nécessaire de protéger les autres noms de domaine (.org, .ca, .net etc...), Réal Gagné, lui, n'a pas pris ce risque. «En tant que propriétaire d'un site Web où des transactions sont réalisées, j'ai tout intérêt à payer la centaine de dollars qu'on me demande pour bien protéger mon adresse Web», souligne-t-il.
12 Choisissez soigneusement votre lieu d'affaires
Le bureau à domicile convient parfaitement à la plupart des tâches de votre entreprise. Mais y donner rendez-vous à vos clients sans que les lieux soient adaptés pourrait nuire à votre image.
Faut-il pour autant louer un bureau à temps plein ? «Pas nécessairement. Un service clé en main ou un bureau virtuel peut très bien faire l'affaire», répond Paule Des Rosiers, présidente de Décision 1, un centre d'affaires.
Située au 20e étage du 1, Place Ville-Marie depuis 1991, cette entreprise dispose de 15 000 pi2 aménagés en bureaux qu'elle loue à des avocats, à des financiers, à des consultants et à des travailleurs autonomes. Ces derniers peuvent bénéficier d'un bureau avec services de réception personnalisés, ou plus simplement, d'une adresse postale de prestige reconnue partout dans le monde. L'entreprise loue également des salles de conférences à l'heure.