En juillet 2008, l'action de Rona s'échangeait à 11,73 $. Dans le cadre d'un article sur le quincaillier, Les Affaires titrait alors : " Les actionnaires de Rona devront être patients ". Trois ans plus tard, le titre vaut 13,64 $, et le même titre pourrait être employé.
Les anglophones utilisent une expression imagée pour qualifier les titres constamment sous-évalués : ils les appellent des " value traps ". En raison de leur allure d'aubaines, ces titres attirent les investisseurs de style valeur, qui se retrouvent pris au piège avec des titres qui ne se redressent jamais en Bourse.
Avec une appréciation de moins de 2 % depuis trois ans et un multiple d'évaluation à 10,3 fois les profits attendus en 2011, Rona est-il un value trap ? Les Affaires a posé la question à quatre gestionnaires de portefeuille.
Alain Chung, vice-président exécutif chez Gestion de placements Claret
" Nous sommes neutres par rapport à Rona car nous croyons que l'entreprise a du potentiel, mais que la direction doit trouver le moyen de le réaliser. Quant au titre, oui, il est en quelque sorte un value trap. Il stagne parce qu'il n'y a pas de catalyseur. " Selon M. Chung, Rona se trouve dans une position un peu embêtante. Pour augmenter ses activités de distribution, elle devrait consolider le marché. Elle en aurait la possibilité vu le nombre d'indépendants, mais son évaluation boursière actuelle rend l'acquisition de ces indépendants moins attrayante. " Ça leur prendrait un ratio cours-bénéfice de 18 au lieu de 11. Ce serait alors plus intéressant d'acheter une entreprise à 10 fois les profits et de la payer en actions. " En conséquence, le quincaillier doit compter surtout sur la reprise économique pour renouer avec la croissance.
Stéphane Gagnon, gestionnaire principal, actions canadiennes au Fonds des professionnels
" Oui, le titre donne vraiment l'impression d'être un value trap. En fait, le problème principal de Rona est qu'il est dans le mauvais secteur. " Les investisseurs boudent les titres de consommation discrétionnaire en raison du contexte géopolitique actuel, qui augmente les craintes d'inflation, ce qui diminuera le pouvoir d'achat des consommateurs. De plus, le marché de la quincaillerie souffre du ralentissement des mises en chantier et d'une concurrence plus forte. " Home Depot et Lowe's sont très ambitieuses : leur expansion se fera aux dépens de quelqu'un. " Rona pourra se défendre en consolidant un marché où l'on trouve encore plusieurs détaillants indépendants et en tablant sur sa marque nationale forte, nuance M. Gagnon. À court terme, le gestionnaire n'entrevoit pas de catalyseurs susceptibles de propulser le titre en Bourse.
Pierre Bernard, vice-président et gestionnaire à l'Industrielle Alliance
" Plus de la moitié des investisseurs ont jeté la serviette, mais moi, je continue d'y croire. C'est une bonne entreprise avec une stratégie pertinente, mais qui oeuvre dans une industrie en difficulté en ce moment. " S'il n'anticipe pas une expansion du multiple d'évaluation avant un certain temps, M. Bernard espère tout de même que le titre surprendra par une croissance des profits. " Le multiple de 10 ou 11 fois les profits sera approprié tant que le marché tournera au ralenti, mais Rona est en mesure de bonifier son bénéfice par action de 10 % par année. Le titre a donc de bonnes chances de franchir la barre des 15 $. " L'instauration d'un dividende au début de décembre a ravivé la confiance du marché et attiré de nouveaux investisseurs, les gestionnaires de fonds de revenu, selon M. Bernard. " C'est une excellente décision. "
Richard Fortin, vice-président et gestionnaire de titres de petite capitalisation chez Bissett Investment Management
" Nous conservons le titre de Rona en portefeuille, sans toutefois être acheteurs. L'évaluation actuelle est très basse, mais il faudra être patient en attendant qu'elle se redresse. " Heureux du travail des dirigeants de la chaîne pendant la crise, M. Fortin surveillera avec attention leurs prochaines décisions stratégiques. " Continueront-ils d'investir pour s'emparer de parts de marché ou retourneront-ils ces fonds aux actionnaires ? " Se battre avec les géants américains Lowes et Home Depot pour faire passer la part de marché nationale de 19 à 25 %, comme l'espère Rona, risque de coûter cher, estime M. Fortin. " Je préfère une plus petite part de marché très rentable plutôt qu'une part plus importante et moins payante. Si les décisions stratégiques n'apportent pas de valeur aux actionnaires, nous vendrons notre position. "
LE QUINCAILLIER EN CHIFFRES
Revenus en 2010 : 4,8 G$
Bénéfice net en 2010 : 43 M$
Valeur boursière : 1,8 G$
Nombre d'employés : 29 600
19 % Part de marché de Rona au Canada. Le quincaillier vise 25 %.