Chaque période de REER, les placements reviennent à l'avant-scène des préoccupations. Cette année, la tâche semble plus ardue que jamais. Pourquoi ne pas chercher de l'inspiration auprès des fortunes privées ? Quatre firmes qui servent la clientèle fortunée expliquent comment elles investissent le capital de leurs clients.
Les clients fortunés ont des portefeuilles bien diversifiés dans toutes les catégories d'actifs, en tout temps. Ce qui les distingue le plus de l'investisseur moyen, c'est la place croissante en portefeuille qu'occupent les placements dits alternatifs.
Thane Stenner, directeur de la gestion privée chez StennerZohny Investment Partners, estime que tous les placements alternatifs représentent environ le tiers des portefeuilles de sa firme.
«Cette proportion approche d'un record. Les placements alternatifs ont remplacé les fonds de couverture qui étaient si populaires, avant 2008», révèle le gestionnaire de portefeuille de Vancouver.
Le statut d'investisseur «sophistiqué» que leur confère la taille de leur portefeuille donne aussi aux plus nantis accès à une large palette de produits, tels que les fonds d'investissement privés (private equity) et spécialisés, les fonds d'infrastructures, les fonds de dettes bancaires ou même les investissements directs dans des fermes, des forêts et des centres pour personnes âgées.
Chez le gestionnaire de gestionnaires Blue Bridge Wealth Management Consultants, de Montréal, les placements alternatifs occupent environ le quart des portefeuilles dont la taille varie de 5 à 100 millions de dollars.
Deux particularités : l'encaisse et les actifs tangibles sont prisés
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les clients fortunés conservent en tout temps plus de liquidités que la moyenne des investisseurs. Le regroupement de fortunes privées TIGER 21 estime l'encaisse moyenne de ses membres à 11 % depuis deux ans.
«Ces clients fortunés aiment à la fois avoir un coussin financier et des munitions pour saisir les occasions qui se présentent», explique Michael Sonnenfeldt, fondateur de l'organisme TIGER 21 qui regroupe 290 membres en Amérique du Nord et dont l'actif varie de 10 M$ à 1 G$.
Alain Roch, président de Blue Bridge, pousse son analyse plus loin.
«Les clients encore actifs professionnellement ont plus d'encaisse que les autres, car leur principale source de revenus, leur entreprise, comporte encore des risques élevés. Ceux qui ont vendu leur entreprise ont généralement une encaisse de 5 à 10 %», dit-il.
Il arrive que les plus grandes fortunes privées gardent jusqu'à 25 % de tous leurs actifs en liquidités, parce que «leur plus gros risque est de perdre ce qu'ils ont déjà accumulé» dans un revers de devises, de crédit ou de marché, révèle Pierre Czyzowicz, gestionnaire privé principal, de Banque UBS (Canada).
En outre, plus le portefeuille est garni, plus les placements privés occupent de la place. Or, les fonds d'investissement privés procèdent régulièrement à des appels de capitaux pour réinvestir dans les entreprises à capital fermé. L'argent doit être à portée de main, explique aussi M. Czyzowicz.
Les clients fortunés ont un penchant naturel pour les actifs tangibles comme les immeubles locatifs, les maisons de retraite, les terrains, les fermes et les forêts, croit M. Roch.
«Les gens d'affaires encore actifs sont les premiers à nous demander des placements dans des actifs tangibles. Ils sont habitués à l'aspect concret de ces investissements dans leur quotidien, tandis que la volatilité de la Bourse est surtout perçue comme une source de stress», évoque M. Roch.
M. Sonnenfeldt, de TIGER 21, attribue aussi cette préférence au fait que les mieux nantis ont souvent un long horizon de placement et recherchent la stabilité.
Méfiance envers les marchés traditionnels
Une autre motivation se cache derrière la popularité grandissante des placements alternatifs. «Depuis deux ans, les clients fortunés s'interrogent de plus en plus sur la capacité future des marchés traditionnels des actions et des obligations à procurer un rendement adéquat», explique M. Roch.
Chez Blue Bridge, les biens tangibles, de l'immobilier aux fermes, en passant par les forêts et même les oeuvres d'art, représentent environ 10 % de l'ensemble des portefeuilles.
La firme a même créé sa collection d'arts de peintres québécois il y a un an, pour se bâtir un savoir-faire et un réseau d'experts. «Nos clients ne peuvent pas y investir, mais l'expertise et le réseau peuvent être mis au service des clients qui le désirent», dit M. Roch.
StennerZohny Investment Partners
Prudence et opportunisme
Pour ajouter de la valeur aux portefeuilles déjà bien répartis de ses clients, Thane Stenner, fondateur et directeur de StennerZohny Investment Partners, procède à des changements tactiques, en fonction de l'attrait relatif des placements.
«Comme nos clients, nous sommes à la fois prudents, opportunistes et patients», explique M. Stenner.
Des munitions
Depuis quelques mois déjà, le gestionnaire laisse donc l'encaisse s'accumuler, parfois jusqu'à 20 %, dans les portefeuilles. Le gestionnaire se donne ainsi un trésor de guerre pour racheter dans les soubresauts qu'il prévoit plus nombreux et plus prononcés en 2015.
L'évaluation d'une foule de secteurs et de titres étant moins attrayante qu'avant, le gestionnaire protège les placements boursiers de ses clients à l'aide d'options de vente depuis plusieurs mois, notamment sur les indices les plus chèrement évalués du Nasdaq, de la biotechnologie et du Russell 2000.
«Éventuellement, nous vendrons nos options de vente et nous réinvestirons l'encaisse dans les actions», indique-t-il.
Le gestionnaire préfère toujours les actions américaines aux canadiennes, mais avec moins de conviction qu'avant.
«L'économie américaine se démarque, mais ça se reflète déjà dans les cours», dit-il.
De plus, la montée du dollar américain et la faiblesse des autres économies nuiront aux bénéfices des multinationales réalisés à l'étranger.
Sa firme vient aussi d'encaisser d'importants gains réalisés dans les obligations américaines de 30 ans achetées en décembre 2013.
«Avec ces profits, nous rachetons des fonds négociés en Bourse de titres américains à revenu fixe conçus pour bénéficier de l'éventuelle remontée des taux», précise-t-il.
Un peu de chasse aux aubaines dans les ressources
Avec un horizon d'au moins trois ans en tête, M. Stenner a aussi commencé à acheter des titres individuels et des FNB du secteur des métaux de base et des aurifères, depuis trois mois.
«Leurs cours et leur évaluation sont plus déprimés que lors de la crise. Comme nos clients, nous aimons les aubaines», dit-il.
Le gestionnaire ne chasse toutefois pas encore d'aubaines dans l'énergie, un secteur qu'il a vendu près des sommets de juin.
De meilleures occasions d'acheter se présenteront au cours de l'année 2015 dans l'énergie, croit-il.
Parmi les placements alternatifs qui composent le tiers de ses portefeuilles, la firme de gestion de patrimoine préfère les fonds de couverture qui peuvent acheter et vendre à découvert des actions et des obligations de sociétés, ainsi que des fonds de couverture mondiaux conçus pour donner un rendement, indépendamment des marchés.
Dans le secteur des infrastructures, StennerZohny mélange l'achat direct de titres tels que Brookfield Asset Management (Tor., BAM, 51,00 $) à des fonds négociés en Bourse qui investissent dans les infrastructures un peu partout dans le monde. -
Blue Bridge
Les biens tangibles de plus en plus prisés
Le coeur des portefeuilles de Blue Bridge Wealth Management Consultants s'articule autour des obligations et des actions, comme tant d'autres.
La répartition de 65 % en actions privilégie les sociétés américaines, tandis que celle de 25 % en obligations joue un rôle de stabilisateur.
Les obligations ne sont plus le placement sans risque qu'elles étaient, tellement les taux ont déjà chuté, explique Alain Roch, président de Blue Bridge.
Des titres de dettes hors des obligations traditionnelles
Le gestionnaire de gestionnaires externes investit donc dans des fonds de titres à revenu fixe offrant des rendements supérieurs aux obligations traditionnelles, et procurant une certaine protection contre la hausse éventuelle des taux. «Notre rôle est de trouver des gestionnaires qui sont capables de manoeuvrer dans les segments moins négociables du marché obligataire», indique M. Roch.
Ces titres à revenu incluent les obligations de sociétés, surtout américaines, et les titres de dettes à taux variable.
Les titres de dettes hypothécaires et les titres de dettes bancaires de premier rang offrent pour leur part des rendements qui évoluent différemment des autres titres à revenu fixe, parce que le taux de défaillance de leurs prêts est inférieur à celui des obligations de sociétés.
10 % dans les actifs tangibles
La firme de Montréal accorde aussi de plus en plus d'importance aux placements alternatifs, qui occupent le quart du portefeuille, dont 10 % dans les actifs tangibles.
Parmi les fonds alternatifs, Blue Bridge préfère les fonds de couverture et d'arbitrage qui tirent profit des fusions et acquisitions ou d'autres événements d'entreprise, ainsi que les fonds des secteurs de la santé et de la technologie qui peuvent à la fois acheter des titres et en vendre à découvert.
Pour les actifs tangibles, Blue Bridge se tourne vers les fonds immobiliers à capital fermé et les fonds d'infrastructures.
Les clients plus nantis ou ceux qui en font la demande peuvent investir directement ou par l'intermédiaire de sociétés en commandite dans les immeubles locatifs, les maisons de retraite, les terres agricoles et même les forêts.
«Ceux qui investissent dans les forêts sont souvent déjà expérimentés dans le domaine. L'exploitation de la cour à bois couvre leurs frais», explique M. Roch.
Gestion privée Fiera
Miser sur les placements qui procurent un meilleur équilibre
Chez Gestion privée Fiera, les portefeuilles sont positionnés pour le scénario le plus probable d'accélération de l'économie américaine et de reprise de l'économie mondiale.
La chute du prix du carburant et des taux encore faibles le renforce, d'ailleurs.
La répartition de la firme montréalaise favorise donc les actions, ainsi que les stratégies de revenu non traditionnelles.
Puisque, dans un tel scénario, les taux devraient remonter lentement, Gestion privée Fiera puisera ses rendements de revenus fixes ailleurs que dans les obligations.
Le portefeuille modèle se répartit donc comme suit : 35 % en actions, 40 % en revenus non traditionnels, 10 % en obligations et 15 % en fonds de couverture.
«On investit activement dans ces quatre volets, ce qui nous distingue des gestionnaires conventionnels», indique Paul Vaillancourt, vice-président exécutif chez Gestion privée Fiera.
Un bon compromis
La firme estime que la combinaison de ces différents placements est le meilleur moyen de produire un bon équilibre entre la préservation et l'appréciation du capital, les revenus ainsi que l'efficacité fiscale que recherchent les clients fortunés.
Les infrastructures, les prêts et les fonds de couverture dépendent moins de la croissance économique, de la direction des taux et de la Bourse. Leur rendement devrait faire contrepoids à celui des actions et des obligations, et ainsi stabiliser de l'ensemble du portefeuille, au fil du temps.
La firme de Montréal propose à ses clients le Fonds Fiera financement diversifié qui investit dans d'autres fonds qui prêtent aux entrepreneurs en construction et aux promoteurs. La firme propose aussi le Fonds Fiera Infrastructure, qui commence à investir à l'extérieur du Canada.
Fiera complète sa répartition de revenus non traditionnels par le Fonds multi-stratégies - revenu qui investit de façon à distribuer un revenu mensuel de 5 %. Ses placements peuvent inclure les obligations de sociétés, les obligations convertibles, les actions privilégiées, les titres de dettes privées, les fonds de placement immobilier, les hypothèques et les titres d'infrastructures.
Fonds de couverture
Gestion privée Fiera cherche aussi à diversifier ses rendements avec ses fonds d'appréciation du capital non traditionnels. Les fonds de couverture, qu'ils soient marché neutre, long-short [position longue et courte] ou macro global, sont conçus pour donner du rendement, quel que soit le contexte du marché.
Pour la section du portefeuille qui complémente les actions, le Fonds marché neutre nord-américain et le Fonds Actions «Long/Short», tous deux pilotés par Jean-Philippe Choquette, visent un rendement absolu à l'aide d'une trentaine de transactions par paires qui consistent à acheter un titre et à en vendre un autre de valeur égale.
UBS
Actions et obligations de sociétés américaines côtoient des fonds alternatifs
Dans son portefeuille équilibré canadien, la Banque UBS (Canada) continue d'accorder un maximum de place aux actions américaines, parce que la reprise de l'économie des États-Unis est la plus avancée des pays industrialisés.
«Les actions restent le meilleur placement, bien qu'il faille accepter plus de volatilité. Il est difficile de trouver mieux que les actions américaines, malgré la hausse prévue des taux», indique Pierre Czyzowicz, gestionnaire privé principal, Est du Canada, de la Banque UBS (Canada).
Les sociétés du S&P 500 réalisent après tout les deux tiers de leur chiffre d'affaires en sol américain.
«Les évaluations ne sont plus bon marché, mais la croissance des bénéfices devrait suffire pour nourrir une performance annuelle de près de 10 % des actions américaines, prévoient nos stratèges», dit-il.
Dans le portefeuille équilibré canadien, les actions américaines comptent pour 16,5 %, par rapport à un barème neutre de 12,5 %.
La répartition en actions canadiennes est neutre, à 15 %.
Dans sa stratégie plus active, UBS mise sur un rebond des investissements des entreprises américaines qui favoriseront le secteur industriel, la technologie et les institutions financières.
Les obligations de sociétés en renfort
UBS consacre aussi environ 14 % de la portion des revenus fixes aux obligations de sociétés américaines de première qualité (plus de deux fois une répartition neutre) et 3,7 % aux obligations de sociétés à haut rendement (presque deux fois une répartition neutre). Les faibles rendements des obligations traditionnelles militent pour une part allégée de 15 %, par rapport à leur répartition habituelle de 23 %.
Les actions privilégiées complètent le tableau des revenus fixes avec une répartition cible de 3,5 %.
Des placements alternatifs à hauteur de 15 %
Les placements alternatifs occupent depuis longtemps une place de choix dans les portefeuilles d'UBS, comme source de diversification et de rendement distinct des actions et des obligations.
Pour un portefeuille standard de deux millions de dollars, la part consacrée aux placements alternatifs est de 15 % en moyenne. Pour les clients les plus fortunés, ayant un capital de 30 M$, cette part peut atteindre 28 %, précise le gestionnaire.
Les fonds de couverture, qui pratiquent l'achat et la vente à découvert simultanés, devraient donner un bon rendement en fonction du risque, étant donné la plus grande dispersion prévue dans la performance individuelle des titres, explique M. Czyzowicz.
Les fonds qui investissent dans les entreprises privées font aussi partie des choix offerts aux clients les plus fortunés capables de tolérer la négociation peu fréquente de ces placements non cotés en Bourse.
UBS offre aussi les placements immobiliers privés aux clients qui veulent ajouter une touche internationale à leurs investissements immobiliers locaux souvent déjà nombreux.
Comment les mieux nantis investissent
Résultats d'un sondage trimestriel de l'organisme nord-américain TIGER 21 en décembre 20141
Leurs placements favoris (au 15 décembre 2014)
Actions 35 %
Investissements privés 19 %
Immobilier 16 %
Fonds de couverture 15 %
Revenu fixe 9 %
Ressources naturelles 4 %
Encaisse 2 %
Comment se déclinent les actions
Actions individuelles : 43 % (- 7 % depuis 2013) : les deux titres les plus populaires sont Apple et Berkshire Hathaway
Fonds négociés en Bourse : 25 % (+ 4 % depuis 2013) : les FNB les plus populaires sont SPDR S&P ETF, Health Care SPDR ETF et iShares MSCI Emerging Markets ETF
Fonds communs de placement 17 %
Fonds de couverture 14 %
Comment se décline l'investissement privé (private equity)
20 % investissent dans des fonds d'investissement privés
17 % investissent dans d'autres entreprises privées
63 % investissent dans leur propre entreprise
Les secteurs les plus populaires en Bourse
Finance 27 %
Cons. discrétionnaire 16 %
Énergie 16 %
Technologie 13 %
Santé 11 %
1 TIGER 21, fondée en 1999, regroupe plus de 300 membres (dont 45 au Canada) qui veulent partager et parfaire leurs connaissances sur la gestion de patrimoine. Les membres se rencontrent localement une fois par mois et participent à une conférence de trois jours une fois l'an. Ce sont des entrepreneurs, des inventeurs, des financiers et de hauts dirigeants.