Le sujet n'a rien de drôle, quoiqu'une succession mal planifiée puisse ressembler à une mauvaise comédie, vue de l'extérieur. Mais pour les personnes touchées, c'est plus une histoire d'horreur. Comment éviter que ça vire au cauchemar ?
Nicole, une jeune mère de trois enfants de 8, 10 et 12 ans, avait une peur bleue des voyages en avion. Son mari Marc-André, homme d'affaires prospère au début de la quarantaine, l'a néanmoins convaincue de s'envoler avec lui pour une brève visite aux États-Unis, pendant que les enfants restaient à la maison avec la gardienne.
La veille du départ, certaine de mourir en même temps que son mari dans un écrasement, madame a rédigé de sa main, daté et signé ce qui suit : «Advenant mon décès, tous mes biens iront à mes trois enfants. Je veux que mes parents s'occupent de mes enfants.»
Après un vol sans histoire, c'est à la sortie de l'aéroport qu'un camion a complètement démoli leur voiture de location.
Marc-André a survécu à l'accident, mais Nicole est morte sur le coup.
Son testament olographe ayant été reconnu par un tribunal, tous ses biens ont été attribués aux trois enfants. Il y en avait pour 5 millions de dollars, puisque l'homme d'affaires avait par prudence «mis au nom de sa femme» la maison cossue de Montréal, la résidence secondaire en Estrie et le REER auquel il avait contribué.
Pire, les parents de Nicole, croyant qu'elle n'avait plus confiance en son mari, ont voulu gérer les biens de leurs petits-enfants.
Il en a coûté 70 000 dollars en frais judiciaires à Marc-André pour se faire reconnaître à titre de tuteur de ses propres enfants.
Dans cette histoire à donner la chair de poule, les noms ont été changés par respect pour la famille, mais les faits sont strictement véridiques, assure Me Michel Beauchamp, notaire au cabinet Beauchamp et Gilbert et chargé de cours à l'Université de Montréal. Il en a été le témoin direct.
Il la raconte pour montrer comment l'absence de planification successorale peut engendrer des histoires d'horreur difficilement imaginables.
Le testament et le mandat en cas d'inaptitude sont les principaux piliers de la planification successorale. Les Québécois abordent ces questions avec réticence. Ils les règlent souvent de manière expéditive, refusant de se faire aider par un professionnel, déplore Me Beauchamp.
Un sondage cité par les experts du Mouvement Desjardins indique que seulement 51 % des répondants disent avoir déjà «sérieusement réfléchi à leur planification successorale».
Ce chiffre est suffisamment inquiétant pour que l'institution financière lance, en juin dernier, en partenariat avec la Chambre des notaires du Québec (CdN), un service téléphonique gratuit «d'assistance succession».
La CdN et le Barreau du Québec gèrent chacun pour leurs membres un registre des documents testamentaires. Les nouvelles inscriptions s'y ajoutent à raison d'un peu plus de 186 000 par an.
On pourrait donc croire à un rattrapage, puisque selon l'Institut de la statistique du Québec, près de 100 000 personnes parviennent chaque année à l'âge légal requis pour faire un acte testamentaire (18 ans), et près de 60 000 personnes décèdent.
Mais ici, une inscription peut modifier un document déjà existant.
Le mandat
C'est à un rythme plus lent (environ 121 000 par an) que s'accumulent les mandats en cas d'inaptitude.
Contrairement au testament, dont on est certain qu'il servira un jour, on peut espérer que le mandat ne sera pas utilisé.
Cependant, en cas de besoin, rappelle Christine Morin, professeure à la Faculté de droit de l'Université Laval, le principal intéressé «sera drôlement content d'avoir choisi la bonne personne pour s'occuper de lui et de son patrimoine».
À défaut d'un choix exprimé, un curateur pourrait décider de modifier le partage des obligations financières d'un ménage, ou même de vendre la résidence familiale, par exemple.
«Nous faisons de plus en plus de mandats, et heureusement, surtout à l'époque des familles reconstituées», commente le notaire Beauchamp.
Ce document est tout aussi important que le testament, selon l'avocate et fiscaliste Zeina Khalifé, directeur de la Gestion du patrimoine chez BMO Banque privée Harris. Elle s'étonne que les gens aient si peu d'information sur ce sujet et précise que sans mandat, dans bien des cas d'inaptitude prolongée, «la famille ne peut tout simplement pas fonctionner».
D'où l'importance d'inclure également à toute planification successorale une procuration générale, aussi utile en cas de handicap temporaire, ne serait-ce que pour payer les factures courantes. L'homologation d'un mandat en cas d'inaptitude fait généralement «tomber» la procuration.
Cette étape peut demander des mois, «mais, avec une procuration bancaire et une procuration générale, on peut faire un bon bout de chemin», estime Me Jean Girard, avocat, planificateur financier et fiscaliste à Québec.
Le choix de la personne à qui vous conférez un tel pouvoir nécessite une réflexion sérieuse, à défaut de quoi une situation malheureuse peut devenir cauchemardesque.