Dans le but de diminuer sa facture fiscale et de contrôler le transfert de son entreprise, un client entrepreneur a avantage à créer une structure combinant la fiducie familiale et la société de portefeuille.
D'abord, une fiducie est un arrangement selon lequel une ou plusieurs personnes, appelées fiduciaires, détiennent des biens pour le compte d'autres personnes, appelées bénéficiaires, lit-on dans le guide Vous, votre famille et le fisc, publié par KPMG. La fiducie familiale, aussi appelée fiducie entre vifs, se crée au moyen d'un acte juridique selon lequel une personne transfère des biens à une fiducie représentée par un ou plusieurs fiduciaires.
Pour un client entrepreneur, il peut être intéressant de mettre en place une structure qui jumelle la fiducie familiale à une société de portefeuille notamment lors d'un gel successoral. Prenons le cas d'un entrepreneur de 58 ans, propriétaire de 100 % des actions de sa société opérante, dont la valeur est de 10 M$. Il est père de trois enfants, soit un de 20 ans, qui travaille dans l'entreprise familiale, et de deux de 17 et 13 ans qui sont encore aux études.
« Le monsieur aimerait intéresser ses enfants, mais ne sait pas qui prendra la relève. Même celui de 17 ans qui étudie les arts visuels pourrait venir travailler dans l'entreprise. Il veut se laisser des portes ouvertes », expose Bernard Poulin, comptable agréé, associé et directeur du service de fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton à Saint-Georges. De plus, l'entrepreneur anticipe que son entreprise va croître et générer prochainement des surplus de liquidités non nécessaires à ses opérations.
Ce client peut d'abord décider de geler la valeur de son entreprise. Un évaluateur indépendant déterminera alors la valeur des actions de l'entreprise et, par la suite, les actions ordinaires de l'entrepreneur seront échangées contre des actions privilégiées d'une même valeur, mais qui ne croîtront plus en valeur. Ainsi, la valeur de l'entreprise au moment du gel sera fixée entre les mains de l'entrepreneur qui détiendra ces actions privilégiées.
Ensuite, un constituant peut créer une fiducie familiale discrétionnaire qui aura comme bénéficiaires l'entrepreneur, son conjoint, ses enfants ainsi que les sociétés détenues par ces derniers. L'entrepreneur sera aussi fiduciaire, avec une tierce personne de confiance qui n'est pas un bénéficiaire. La fiducie souscrira par la suite aux nouvelles actions ordinaires de la compagnie à une valeur nominale de 100 $. Ainsi, toute la plus value future de l'entreprise se retrouvera entre les mains de cette fiducie.
Puis, étant donné qu'il prévoit que son entreprise générera prochainement des surplus de liquidités, l'entrepreneur peut aussi créer une société de portefeuille. Celle-ci devient bénéficiaire de la fiducie familiale et peut recevoir des sommes d'argent en provenance de la fiducie.
Cette structure selon laquelle la fiducie familiale est à la fois actionnaire de la société opérante et de la société de portefeuille offre plusieurs avantages à l'entrepreneur, explique Daniel Gosselin, associé responsable de la fiscalité chez KPMG à Montréal. « Ça crée un véhicule qui permet d'isoler les liquidités, pour la protection des créanciers », note-t-il. Pour ce faire, la société opérante versera un dividende à son actionnaire, en l'occurrence la fiducie, qui le redistribuera tout de suite à la société de portefeuille.
La fiducie entre vifs a avantage à attribuer immédiatement ses revenus à ses bénéficiaires, puisque les revenus de la fiducie sont imposables au taux marginal le plus élevé. En comparaison, habituellement, les bénéficiaires de la fiducie ont un taux marginal moindre.
« La fiducie ce n'est qu'un conduit. Elle dit : "Qu'est-ce que je fais de ce dividende? Je l'attribue à la société de gestion de monsieur." Même si ça a passé par le compte de banque de la fiducie avant d'aller vers la société de gestion de monsieur, il va bénéficier du transfert d'argent libre d'impôt », ajoute Bernard Poulin.
Le transfert des surplus de liquidité à la société de portefeuille par l'entremise de la fiducie permet également de purifier le bilan de la société opérante pour que ses propriétaires puissent peut-être profiter de l'exemption pour gains en capital de 750 000 $ lors d'une éventuelle vente.
Fractionnement de revenu
Revenons à l'exemple de l'entrepreneur et imaginons que, quelques années plus tard, il souhaite financer les études en médecine de son enfant le plus jeune. Une manière fiscalement avantageuse de le faire serait que la société opérante déclare un dividende. Après l'avoir reçu, la fiducie peut par la suite attribuer ce dividende à l'enfant majeur. « Si on verse un dividende de 50 000 $ à un enfant majeur qui n'a pas de revenu, il ne paiera presque pas d'impôt sur cette somme. Alors que si c'est le parent qui le reçoit, il peut avoir jusqu'à 18 000 $ d'impôt à payer. La fiducie est un bon véhicule pour financer les études des enfants ou faire un fractionnement de revenu avec le conjoint qui a un revenu minime », explique Daniel Gosselin.
Transfert d'entreprise
Dix ans après la création de la fiducie entre vifs, tous les enfants de l'entrepreneur ont complété leurs études et le fondateur, alors âgé de 68 ans, souhaite se retirer. La société vaut maintenant 13 M$, soit 3 M$ de plus qu'au moment du gel. « Finalement, l'enfant qui était en arts décide de s'investir dans l'entreprise familiale. Le monsieur peut alors décider de passer le flambeau à ses deux enfants et de leur attribuer chacun la moitié des certificats d'actions détenus par la fiducie, pour lesquelles la fiducie a payé 100 $ et qui valent maintenant 3 M$. Ça se fait sans conséquence fiscale », indique Bernard Poulin. Les fils n'auront aucun emprunt bancaire à effectuer pour acquérir les actions, puisqu'ils sont bénéficiaires de la fiducie discrétionnaire.
Si, pour quelconque raison, l'entrepreneur décidait plutôt de vendre les actions de sa société à un tiers, la structure jumelant la société de portefeuille et la fiducie familiale permet cette cession sans que l'entrepreneur n'ait à se départir de sa société de gestion. Supposons que les actions de la société étaient admissibles à la déduction pour gains en capital de 750 000 $. Après avoir vendu ses actions ordinaires à leur valeur de 3 M$, la fiducie attribuera de façon discrétionnaire au conjoint et aux trois enfants un gain en capital de 750 000 $ (soit 3 M$ divisés entre ces quatre bénéficiaires). Chacun pourra alors utiliser son exemption pour gains en capital de 750 000 $ et tout le 3 M$ encaissé, suite à la vente des actions ordinaires de la fiducie, sera exempté d'impôt. Il se peut qu'ils aient toutefois à payer un impôt minimum de remplacement.
L'entrepreneur pourra s'approprier la moitié non imposable du gain en capital de 750 000 $, soit 375 000 $, mais devra remettre l'autre 375 000 $ dans les mains de l'enfant. « Si la fiducie remet 375 000 $ à l'enfant majeur et les parents disent : "375 000 $ c'est bien trop! Refais-moi un chèque de 250 000 $", les autorités fiscales vont attaquer la transaction et refuser l'exemption pour gains en capital et appliquer la règle générale anti-évitement », prévient Daniel Gosselin.
De son côté, l'entrepreneur sera imposé sur le gain en capital de 10 M$. Puisqu'il profitera aussi de la déduction pour gains en capital, il ne sera qu'imposé sur la moitié des 9,25 M$ (10 M$ moins 750 000 $). S'il avait un taux marginal de 48,22 %, sa facture fiscale serait de 2 230 175 $ (48,22 % multipliés par 4,625 M$). À cet égard, d'autres stratégies fiscales sont disponibles afin de réduire cette facture d`impôt indique Daniel Gosselin.
Bon moment
La fiducie familiale n'est cependant pas éternelle. Celle-ci a une durée de vie d'un peu moins de 21 ans. Après, elle sera présumée avoir disposé de l'ensemble de ses actifs, souligne Daniel Fortin, comptable agréé et associé aux services aux sociétés privées et à la gestion de patrimoine chez PwC à Montréal. « On va commencer à penser à la fiducie familiale lorsque les enfants ont un certain âge. Par exemple, lorsqu'ils ont 11, 12, 13, 14 ans. Si je crée une fiducie à 30 ans que je n'ai qu'un enfant de six mois, dans 20 ans, il va avoir 20 ans. Je ne serai pas capable de lui donner quoi que ce soit entre les mains, de peur qu'il se pense soudainement riche et se mette à dépenser sans compter. Il faut se projeter dans l'avenir et regarder la règle du 21 ans et se demande si j'ai intérêt à créer ça tout de suite. Toutefois, il n'y a pas de règles toutes faites. Parfois mon entreprise croît tellement vite, qu'il faut que je gère la question de la fiducie plus rapidement », indique-t-il.