Une main suffit à compter les nouvelles émissions québécoises cette année. Portrait de la situation.
Richard Painchaud, pdg d'une entreprise de technologie verte de Québec, est l'un des rares entrepreneurs qui souhaitent prendre d'assaut les marchés boursiers cette année. Tout sauf une partie de plaisir, dit l'entrepreneur, mi-rire mi-soupir. " J'ai l'impression d'avoir vieilli de cinq ans en six mois ! "
Pour cause : afin d'attirer les investisseurs, il a dû réduire la valeur de son entreprise, Innoventé, de 30 à 20 millions de dollars (M$). Une décision déchirante quand on détient 97,5 % du capital. Et tout ça pour récolter de 4 à 8 M$ plutôt que les 6 à 12 M$ espérés au début du processus.
" Les marchés boursiers étant ce qu'ils sont en ce moment, c'est la décision qu'on devait prendre pour construire à temps notre usine de cogénération et respecter notre contrat (en biomasse) avec Hydro-Québec ", explique M. Painchaud.
Lancer une offensive auprès d'investisseurs privés aurait retardé la clôture du financement, sans assurance de succès, alors que reporter l'émission aurait engendré des frais de mise à jour importants.
" En rétrospective, je ne suis pas sûr que nous aurions choisi d'aller sur le marché public plutôt que de réaliser une ronde de financement privé ", dit celui qui souhaitait éviter les sociétés de capital de risque (notamment en raison des droits de veto qu'elles détiennent).
18 émissions canadiennes
Dans un tel contexte, pas étonnant que seulement 18 entreprises canadiennes soient entrées à la Bourse de Toronto de janvier à septembre. De celles-là, une seule était québécoise. Ce premier appel public à l'épargne (PAPE) a été complété en mai par le fonds immobilier Homburg, propriétaire entre autres du complexe de la Gare centrale et de la Place Alexis-Nihon à Montréal. L'entreprise a alors levé 166,5 M$, avant de faire une émission secondaire de 75 M$ en octobre.
Soulignons que SNC-Lavalin prévoit ajouter TransAxio, sa filiale qui détient une participation dans l'autoroute 407, au compte des PAPE d'ici la fin de l'année. L'émission pourrait atteindre 945 M$.
La Bourse de croissance a bien accueilli sept émetteurs québécois de janvier à septembre, mais quatre d'entre eux sont des sociétés de capital de démarrage (SCD), soit des entités créées dans le but d'acquérir plus tard une entreprise privée et ainsi la rendre publique.
Outre les SCD, qui n'ont émis que pour 200 000 à 500 000 $ d'actions chacune, la récolte reste mince à la Bourse de croissance. Les trois autres émetteurs, deux sociétés minières et un fabricant d'équipements pour casino, se sont en effet partagé un total de 12,9 M$.
Certains émetteurs potentiels ont même fait demi-tour. C'est le cas du Groupe Atis, une entreprise de Longueuil qui possède des fabricants et distributeurs de portes et fenêtres comme Laflamme et Solarcan. La direction a déposé en mai un prospectus provisoire pour être inscrite à la Bourse de Toronto, en espérant récolter 120 M$, puis l'a retiré deux mois et demi plus tard en mentionnant l'incertitude et la volatilité des marchés.
D'autres entreprises auraient changé d'idée avant même de déposer un prospectus, nous ont confirmé des consultants.
Mince consolation, la récolte n'avait pas été meilleure en 2009. Dollarama avait été la seule société québécoise à réaliser un PAPE à la Bourse de Toronto.
" Les investisseurs n'ont d'appétit que pour les ressources ces temps-ci, alors que les entreprises québécoises oeuvrent davantage dans les secteurs industriels, de la technologie et de la santé ", commente Christian Cyr, de Gestion de portefeuille Natcan.
Un contexte défavorable aux premières émissions
L'intérêt des entreprises pour les marchés publics est légèrement revenu avec l'automne, mais reste nettement plus faible qu'à l'habitude, s'entendent les experts. Plusieurs facteurs expliquent la situation.
Premier coupable : le financement bancaire, peu cher et accessible. " Tant que les taux d'intérêt resteront au niveau actuel, il n'y a pas vraiment de raison d'aller sur les marchés ", souligne Clemens Mayr, associé chez McCarthy Tétrault.
En plus des banques qui ont ouvert leurs robinets, certains investisseurs institutionnels, comme la Banque de développement du Canada (BDC) et le Fonds de solidarité FTQ, ont lancé des programmes de financement par dette subordonnée, dit Louis Doyle, vice-président de la Bourse de croissance TSX. " Comme le véhicule est attrayant dans le contexte actuel, certaines entreprises ont reporté à plus tard l'évaluation d'un accès aux marchés publics. "
En fait, ce sont dans des secteurs déprimés en Bourse, comme les biotechnologies, que les entreprises manquent réellement de liquidités, ce qui décourage les nouvelles émissions, explique M. Mayr.
Pour d'autres entreprises, c'est plutôt le contraire : elles cherchent à déployer leurs capitaux et non pas à en lever, fait valoir Jean-René Ouellet, analyste principal, Groupe conseil en portefeuille, de Valeurs mobilières Desjardins. " Elles se sont tellement concentrées à assainir leur bilan et à maintenir leurs marges au cours des deux dernières années qu'elles cherchent maintenant à redéployer leur capital excédentaire. "
Les entreprises susceptibles de lorgner la Bourse, pour financer des projets de croissance par acquisition par exemple, se heurtent à un autre obstacle de taille : la peur de se tromper. Leurs courtiers aussi sont craintifs. " La pire chose qui puisse arriver à un courtier, c'est de dire "go" à un client et que celui-ci soit obligé de retirer son prospectus ", dit Jacques Lemay, professeur invité à HEC Montréal et ancien courtier.
Or, les fenêtres de marché s'ouvrent et se referment rapidement en ce moment. " Avec les signaux contradictoires sur les marchés, les investisseurs se montrent plus frileux ou plus patients dans leurs approches. Pour les petites émissions, ça peut être difficile de saisir les fenêtres de marché ", dit M. Doyle.
Les investisseurs ont peu d'appétit
Si certains portefeuillistes aimeraient pouvoir étudier de nouvelles entreprises, la plupart des investisseurs individuels boudent encore les actions. Ainsi, en septembre seulement, 625 M$ sont sortis des fonds d'actions canadiens. Au cours des 57 derniers mois, c'était la 48e fois qu'il y a avait plus d'argent retiré que d'argent placé dans ces fonds.
" Les épargnants sont encore hantés par la crise financière et continuent de sortir des fonds d'actions ", commente M. Ouellet. Compte tenu du faible rendement des obligations gouvernementales, ils se tournent vers les obligations de sociétés, ce qui rend cet instrument attrayant pour les entreprises déjà en Bourse.
Mais il n'y a pas que les deux marchés baissiers en 10 ans et la crise financière qui ont échaudé les petits investisseurs. Plusieurs d'entre eux ont perdu de l'argent avec leurs placements lors de la première version du régime d'épargne-action (RÉA), dans les années 1980, ce qui a diminué beaucoup l'attrait de l'abri fiscal.
À l'époque, les sociétés qui ont brigué la Bourse ainsi que leurs courtiers ont été trop gourmands relativement au prix qu'ils établissaient pour les actions offertes lors des premiers appels publics à l'épargne, estime Alain Chung, vice-président exécutif de Claret.
" Le prix moyen des émissions était souvent de 30 % supérieur à la juste valeur de l'entreprise lors des émissions RÉA à la fin des années 1980 ", rappelle Sebastian van Berkom, pdg de Van Berkom et Associés, qui a analysé les cours des émissions à cette époque.
Après un moratoire de deux ans, le gouvernement du Québec est revenu à la charge en 2005 avec le programme Accro PME, remodelé et rebaptisé RÉA II en 2009. Jusqu'à maintenant, l'accueil du marché est tiède. " Le RÉA II n'a pas eu l'effet espéré. Quelques émetteurs ont pris la peine de qualifier leur titre (pour des émissions secondaires), mais essentiellement, cela a ajouté de l'attrait à des émissions qui auraient été faites de toute façon ", juge M. Mayr.