La fiducie testamentaire vous permet de garder un certain contrôle sur votre actif, même après le décès.
Vous croyez qu'il faut vivre dans un manoir, avec trois voitures de luxe devant la porte pour envisager la création d'une fiducie testamentaire ? Vous avez tout faux. La classe moyenne commence à découvrir la fiducie. Et à l'apprécier.
Dans le cadre de sa pratique, Dominique Bourgeois, du cabinet LRV notaires à Saint-Jérôme, a aidé de nombreux clients à en mettre une en place. Et sa clientèle est loin d'appartenir au «1 %». Un jour, la locataire d'une habitation à loyer modique (HLM) a frappé à sa porte pour mettre sur pied une fiducie au bénéfice de son enfant atteint d'une maladie mentale.
Elle n'avait qu'une vingtaine de milliers de dollars à lui transmettre. Elle savait que sa fille viendrait vite à bout de cette somme si rien n'était fait pour l'en empêcher, raconte la notaire. «Pour cette cliente, l'important était que son enfant puisse profiter du capital plus longtemps. La fiducie n'a pas duré 25 ans, bien sûr, mais l'argent aura tout de même servi à subvenir aux besoins de l'enfant pendant quelques années.»
Bien qu'exceptionnel, cet exemple montre que la fiducie testamentaire s'adresse à une clientèle beaucoup plus élargie que certains préjugés le laissent croire, explique la notaire. Facile de comprendre pourquoi. La fiducie testamentaire renforce votre pouvoir sur ce qu'il adviendra de ce que vous laisserez derrière vous. En en prévoyant la création dans votre testament, l'actif désigné sera administré par un fiduciaire que vous aurez choisi et qui veillera à ce que vos dernières volontés soient respectées.
Cet outil est particulièrement prisé par les membres des familles recomposées, note François Bernier, directeur de la planification fiscale et successorale chez Placements Mackenzie. Supposons que vous léguiez directement votre actif à votre conjoint d'une deuxième union. Celui-ci aura tout le loisir de transmettre le capital restant à ses propres enfants ou à sa nouvelle flamme. En mettant en place une fiducie testamentaire au bénéfice exclusif du conjoint, l'élu de votre coeur sera le seul bénéficiaire de l'actif placé en fiducie, mais à son décès, le capital restant sera remis aux héritiers de votre choix. «C'est le meilleur des deux mondes, explique François Bernier. On maintient le niveau de vie du conjoint survivant, mais on ne déshérite pas ses enfants.»
Si vos proches n'ont pas les aptitudes requises pour gérer eux-mêmes leurs finances personnelles, la fiducie testamentaire est à considérer, ajoute Hélène Marquis, directrice régionale de Gestion privée de portefeuille CIBC. Le profil de la personne qui nécessite une aide peut aller de l'enfant toxicomane ou handicapé à l'époux en pleine possession de ses moyens, mais qui ne s'intéresse tout simplement pas à la gestion des finances. «Dans notre bureau, on rencontre souvent des veuves - et de plus en plus de veufs - qui avaient laissé leurs conjoints s'occuper des finances du ménage, constate l'avocate et planificatrice financière. Les questions financières ne les ont jamais allumés.» La fiducie est pour eux.
La tâche de distribuer votre actif à vos héritiers reviendra au fiduciaire. Dans votre testament, vous avez la possibilité de lui laisser des directives très précises ou de lui donner carte blanche. «Ce sont les deux extrêmes, mais l'idéal, c'est d'aller un peu entre les deux, suggère Dominique Bourgeois. En donnant des lignes directrices trop précises au fiduciaire, on peut oublier des situations imprévues.»
Autre attrait de la fiducie testamentaire : elle est considérée comme un bien distinct. Ce qui y est transféré ne fait pas partie du patrimoine de ses bénéficiaires. Votre patrimoine devient ainsi insaisissable. «On le fait lorsque le client a un héritier qui possède une entreprise, dont la profession est plus susceptible de faire l'objet d'une poursuite ou qui a fait faillite», poursuit la juriste du cabinet LRV.
Et l'impôt ?
Lorsqu'ils entendent le mot «fiducie», bien des gens imaginent encore des émules du Loup de Wall Street fuyant le fisc quelque part aux îles Jersey. «Les fiducies ont très mauvaise réputation, déplore Hélène Marquis. Du point de vue fiscal, c'est loin d'être un outil extraordinaire, comme certains le pensent. On ne fait pas ça pour l'impôt.»
D'ailleurs, les revenus générés à l'intérieur d'une fiducie testamentaire seront imposés au taux d'imposition combiné le plus élevé, soit 49,97 % à partir de 2016. En attendant, elles profitent du même taux progressif que l'impôt des particuliers. Bref, pas de quoi jouer à cache-cache avec Revenu Québec. Seule exception, les fiducies au profit d'un bénéficiaire handicapé conserveront le taux d'imposition progressif. Le bénéficiaire doit être admissible au crédit d'impôt fédéral pour personne handicapée.
Même si sa réputation à titre d'abri fiscal est exagérée, la fiducie testamentaire peut permettre à ses bénéficiaires de payer moins d'impôt grâce au fractionnement des revenus, explique Francys Brown, fiscaliste et associé chez Corporation fiscalité financière FBSA. En attribuant les revenus de la fiducie à un bénéficiaire dont le taux d'imposition est inférieur, comme un petit-enfant majeur aux études ou un conjoint qui a moins de revenus, les revenus tirés de l'héritage seront imposés à un plus faible taux.
Comme la fiducie représente un patrimoine distinct, elle permet aussi à ses bénéficiaires de conserver certaines aides gouvernementales telles que l'aide sociale ou les crédits d'impôt pour personne handicapée. Hélène Marquis cite l'exemple d'un client dont la veuve subit une perte d'autonomie. «Le CHSLD ne considère pas l'actif mis en fiducie lorsqu'il calcule les frais demandés aux usagers, explique-t-elle. Cela permet de protéger une partie du patrimoine légué.»
La fiducie permet aussi d'éviter de prendre des «arrangements détournés» entre membres de la famille, afin de préserver les programmes sociaux d'un proche dont la situation est précaire. À quelques reprises, Dominique Bourgeois a rencontré des clients qui avaient déshérité des enfants malades afin qu'ils ne perdent pas leurs prestations ou leur crédit d'impôt. Ces clients demandent généralement aux frères et soeurs de prendre l'engagement moral de s'en occuper. «Grâce à la fiducie, on a plus d'assurance que n'en procure un engagement moral, explique-t-elle. On ne sait pas ce qui peut arriver. Seront-ils capables de s'occuper de leur frère dans 20 ans ?»
Combien ça coûte ?
Le coût d'un testament qui prévoit la création d'une fiducie varie de 600 à 1 200 dollars. Une fois la fiducie créée, au moment de votre décès, la rémunération du fiduciaire et la production de déclaration d'impôt seront les principales dépenses à prévoir. «Si vous nommez un de vos proches comme fiduciaire, ces frais peuvent être minimes», ajoute François Bernier.
Des fiduciaires professionnels, notamment les grandes banques canadiennes, agissent à titre de fiduciaires. Leurs frais varient de 1 à 1,5 % du capital. Cependant, rares sont les institutions qui accepteront de gérer un capital inférieur à 500 000 dollars.
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La fiducie «allégée»
Vous voulez une option plus simple. Ajouter une clause d'administration prolongée à son testament constitue une solution de rechange avantageuse. Le liquidateur recevra des consignes au moment où il remettra le capital. Cette option est souvent choisie par le parent d'enfants mineurs. Celui-ci pourrait décider de répartir le versement de l'héritage à trois anniversaires différents, par exemple le 21e, le 25e et le 30e anniversaire, suggère François Bernier, directeur de la planification fiscale et successorale chez Placements Mackenzie.
Par contre, l'administration prolongée n'est pas aussi élaborée que la fiducie testamentaire, explique le notaire. «C'est impossible d'anticiper tous les scénarios, prévient le notaire. Si vous avez accumulé une somme importante, disons 400 000 dollars, cela peut valoir la peine de mettre sur pied une fiducie.»
Bien que pratique, la fiducie testamentaire n'est probablement pas essentielle si vos héritiers sont autonomes et qu'ils sont en mesure de gérer convenablement leur argent, nuance le juriste. «Si vos enfants sont majeurs et que tout le monde a les compétences nécessaires, vous n'en avez peut-être pas besoin.
3 astuces pour léguer moins d'impôt
À votre décès, il y a disposition présumée de vos biens. Autrement dit, tous ceux-ci seront imposés comme s'ils avaient été vendus. Voici quelques astuces pour en laisser plus à vos héritiers et moins au gouvernement.
Choisissez quoi donner à qui
Un même actif ne sera pas imposé de la même manière s'il est légué à votre conjoint ou à vos enfants. Ne l'oubliez pas quand vous rédigerez votre testament, conseille Josée Maure, directrice générale de la planification fiscale et successorale chez Groupe Investors.
Une exception importante à l'imposition de la succession : il y a «roulement» des biens légués à un conjoint. L'impôt est ainsi reporté au moment du décès du conjoint survivant ou au moment où celui-ci décide de vendre les biens qu'il a reçus.
Lorsque vous rédigez votre testament, essayez de penser à la répartition de vos biens en essayant de réduire votre impôt, conseille l'avocate et planificatrice financière. «Roulez au conjoint les biens sur lesquels les impôts seront les plus importants, comme un portefeuille d'actions qui s'est fortement apprécié. À vos enfants, vous pourriez léguer des liquidités ou votre CELI, qui sont peu imposés.»
Prenez une assurance vie
Vous ne voulez pas laisser une facture d'impôt salée à vos héritiers. Souscrire à une assurance vie pourrait servir à régler la note fiscale.
Cette solution est encore plus intéressante pour les propriétaires d'entreprise ou d'immeuble à revenus, dont l'actif n'est pas facilement liquidable. Vos héritiers devront payer les gains en capital réalisés sur vos immeubles ou les actions de votre PME, même s'ils n'ont pas été vendus.
«Un propriétaire dont la grande majorité de l'actif est concentrée dans une entreprise n'aura pas nécessairement les liquidités pour payer les gains en capital réalisés sur celle-ci, commente Édith Pion, associée responsable du service de la fiscalité du bureau de Raymond Chabot Grant Thornton en Montérégie. L'assurance vie permettra de payer l'impôt.»
Le propriétaire d'entreprise qui a plusieurs enfants, dont certains ont choisi de ne pas s'engager dans l'entreprise familiale, pourrait utiliser l'assurance vie pour léguer un patrimoine aux enfants qui ont d'autres projets. Ainsi, les actions de l'entreprise seront léguées aux enfants qui s'en occupent, et la prestation d'assurance vie sera versée aux enfants qui ont d'autres intérêts. «C'est l'avenue empruntée par certains parents qui veulent être plus équitables envers tous leurs enfants», ajoute Édith Pion.
Prévoyez un don au moment du décès
Lorsqu'un particulier lègue des valeurs mobilières à un organisme caritatif, celui-ci n'a pas à payer l'impôt sur le gain en capital réalisé sur ces titres. Malgré tout, vous pouvez réclamer le crédit d'impôt pour don de charité sur la totalité de la somme remise, y compris la partie qui s'est appréciée. Dans votre testament, vous pouvez prendre des dispositions en vue de léguer des titres à un organisme caritatif après votre décès.
«Cela peut être une option intéressante si vous n'avez pas de conjoint à qui rouler votre actif et que vous n'avez pas de proches, comme des enfants, à qui vous voulez léguer des sommes importantes», explique Josée Maure.
Que l'actif soit composé de valeurs mobilières ou de liquidités, les règles fiscales seront plus flexibles pour les particuliers qui décéderont après 2015, ajoute Édith Pion. Le liquidateur aura le loisir de répartir le crédit d'impôt dans quatre déclarations différentes, soit les deux dernières déclarations du particulier décédé, la déclaration de la succession au moment où le don a été effectué ou lors de l'année qui a précédé le don.