Si vous achetez une bouteille de shampoing à 5 $ et que vous vous apercevez qu¹elle ne contient pas la quantité indiquée, vous avez la loi de votre bord. Mais si votre condo compte 50, 100 ou 200 pieds carrés de moins que déclaré par le promoteur - à 300 $, 400 $ et même 500 $ le pied carré au centre-ville de Montréal - vous n’avez pas beaucoup de recours. Mais les choses sont en train de changer, comme le montre ce jugement de la Cour du Québec, daté du 21 mars 2011.
Rashmi Patel reproche au promoteur Condominiums Centro de lui avoir livré une unité de condominium de 777 pi2, soit 127 pi2 de moins que la superficie brute de 904 pi2 achetée sur plan. Mme Patel réclame par conséquent 30 300$ au promoteur. Pour se défendre, celui-ci plaide que Mme Patel était au courant que la superficie brute «peut différer substantiellement» de la superficie calculée lors de la confection du certificat de localisation. Dans son analyse, le juge Daniel Dortélus mentionne que «Le fait que la superficie de 904 pi2 indiquée sur l’offre préliminaire d’achat comme étant approximative n’exonère pas la défenderesse de son obligation légale en vertu de l’article 1720 du Code civil du Québec qui énonce que [le vendeur est tenu de délivrer la contenance ou la quantité indiquée au contrat, que la vente ait été faite à raison de tant la mesure ou pour un prix global...]»
Le juge Dortélus ajoute plus loin: «L’article 1058 prévoit que toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu¹elle a contractés. La défenderesse (ndlr: Condominiums Centro) manque à cette obligation...» Même si le constructeur prétend qu’un déficit de superficie de l’ordre de 20% entre la superficie promise et celle apparaissant sur le certificat de localisation est normal et acceptable dans le secteur de la vente de condos sur plan, le juge note que si c’est le cas, le constructeur a manqué à son obligation d’informer Mme Patel que le déficit de superficie pouvait être de l’ordre de 20%. «Une telle pratique de livrer un bien non conforme à la réalité constitue une pratique interdite au sens de la Loi sur la protection du consommateur.»
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Par conséquent, le juge Dortélus condamne le promoteur Condominiums Centro à payer à Mme Patel 9 000 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l¹article 1619 du Code civil... Le tout avec dépens. Dans sa décision, le juge Dortélus se réfère à une cause semblable, Ouellet c. Édifice 10 St-Jacques inc., entendue en 2008. Dans cette cause, la défenderesse achète une unité de condominium d¹une superficie de 720 pi2 brute. Cependant, lors de l’évaluation faite par la banque pour fins de financement, on l¹informe que la superficie nette habitable est de 560 pi2, soit 22 % de moins que la superficie brute achetée. La juge Christiane Alary avait condamné le vendeur à rembourser à l’acheteur son dépôt de 30 000 $.
Des contrats plus précis
Jacinthe Savoie, directrice du contentieux de l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec (APCHQ), nous a fait parvenir une lettre publiée par un avocat de son contentieux à l’intention des membres de l’APCHQ, à la suite du jugement dont nous parlons plus haut. Il est notamment écrit que : «.... la présence de l’adjectif «approximative» dans le contrat ne peut à elle seule exonérer l’entrepreneur qui livrerait un bâtiment ne respectant pas les mesures indiquées dans ce contrat.» Malgré cela, Mme Savoie ne croit pas à la nécessité d’imposer une méthode légale de mesure à tous les promoteurs. « L’important est que l’acheteur et le vendeur s’entendent sur la définition de superficie», explique l’avocate.
«Si l’acheteur tient absolument à ce que sa chambre ait 15 pieds de largeur, calculée à partir de la surface intérieure des murs, il doit le préciser dans le contrat, ajoute-t-elle. S’il veut s’assurer que le balcon ou les garde-robes soient exclus du calcul de la superficie, il doit le préciser. S’il ne veut pas que la superficie au sol des colonnes soit comprise dans le calcul, il doit le préciser. Plus les contrats seront précis, moins il y aura d’insatisfaction et de contestations.»
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Un cadre législatif plus précis
Yves Joli-Coeur, avocat spécialisé en copropriété chez de Grandpré Joli-Coeur, croit pour sa part qu’il faut un cadre législatif plus précis. «Quelques jugements comme Patel peuvent faire jurisprudence, mais les tribunaux ne peuvent pas aller plus loin que la loi. Quelle serait la méthode de calcul que les consommateurs pourraient comprendre ? C’est au législateur de répondre à cette question, pas aux juges.»
Me Joli-Coeur croit par ailleurs que le fardeau financier devrait être assumé par les promoteurs lorsque des acheteurs les poursuivent parce que leur appartement est plus petit qu’annoncé. «Si l’acheteur réclame 10 000$ et que ses frais atteignent 10 000$, ça décourage les consommateurs de demander aux tribunaux de faire respecter leurs droits. «De toute manière, un cadre législatif précis sur la mesure des appartements serait autant à l’avantage des promoteurs intègres que des acheteurs, ajoute Me Joli-Coeur. Les premiers n’auraient plus à subir la concurrence douteuse de promoteurs qui étirent trop l’élastique.»