Pendant plus de 10 ans, les vendeurs ont fait la loi sur le marché immobilier. Mais aujourd'hui, leur trône vacille. Les acheteurs sont à nouveau maîtres du jeu et passent à l'attaque.
Amélie et Alexandre sont confrontés, bien malgré eux, à la nouvelle réalité du marché immobilier. En octobre dernier, ce couple dans la trentaine a mis en vente sa copropriété d'Otterburn Park, sur la Rive-Sud de Montréal. La confiance régnait. Ils étaient sûrs de vendre rapidement. Or, quelques mois plus tard, non seulement leur propriété n'a toujours pas trouvé preneur, mais personne ne s'est manifesté pour la visiter. Vous avez bien lu : aucun visiteur. Tout un choc. Devant le manque d'intérêt des acheteurs, ces parents d'une petite fille de trois ans doivent suspendre jusqu'à nouvel ordre leur projet d'achat d'une maison plus spacieuse à Saint-Jean-sur-Richelieu, où ils planifiaient de s'installer avant la venue d'un deuxième enfant.
Ils se heurtent à un dilemme. S'ils veulent vendre, ils perdront de l'argent, quelque chose d'impensable il y a quelques années à peine dans un marché immobilier en pleine ébullition, où Pierre Jean Jacques s'enrichissait presque à coup sûr en vendant sa propriété. «Quand nous avons acheté en 2009, nous étions certains d'empocher une plus-value à la revente, mais aujourd'hui, nous avons mis une croix là-dessus», affirme Amélie, qui travaille en communication, tandis que son conjoint est professeur de cégep.
Pourtant, leur copropriété, située au deuxième étage, ne manque pas d'attraits. Spacieuse, rénovée et bordée par un ruisseau à l'arrière, elle est mise en marché à 184 000 dollars, au prix de l'évaluation foncière. «Pour notre copropriété payée 164 000 dollars il y a cinq ans, le marché dicte un prix d'environ 170 000 dollars. Si on considère les milliers de dollars injectés dans la rénovation et la commission de l'agent, nous sommes dans le rouge», soupire Amélie.
Découragés, Amélie et Alexandre sont parmi les premières victimes d'un marché immobilier en forte baisse. Après des années où les vendeurs tenaient le haut du pavé, le marché a basculé en 2013 en faveur des acheteurs. Désormais, c'est au tour de ces derniers d'imposer les règles. Et ils ne s'en priveront pas. Si le prix affiché ne leur convient pas, ils passeront tout droit, sans un coup d'oeil pour la propriété. En effet, ils en veulent plus pour leur argent.
Les chiffres sont éloquents. En 2013, les ventes résidentielles ont chuté de 8 % par rapport à 2012, passant de 77 379 transactions à 71 265, selon les données du système Centris. Côté prix, on a enregistré la plus faible croissance annuelle en 17 ans, une petite hausse de 1,3 %. À l'exception des Provinces Maritimes, le Québec a connu la plus faible croissance à ce chapitre au Canada. «L'année 2013 n'était pas un grand cru !» résume Paul Cardinal, directeur, analyse du marché, à la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ).
Pour les vendeurs, l'époque est révolue où tout se vendait comme par magie. Les délais de vente ont augmenté de 10 jours, et atteignent en moyenne 105 jours, un sommet en 12 ans, tandis que les inscriptions ont connu une troisième hausse consécutive, de 9 % entre 2012 et 2013. Là où ça fait mal, c'est surtout dans le secteur de la copropriété. À l'exception de quelques zones, dont Le Plateau, Rosemont, Anjou/Saint-Léonard, Saint-Laurent, le Sud-Ouest, Fabreville (Laval) et la Haute-Ville de Québec, tout le marché de la copropriété au Québec est désormais favorable aux acheteurs. Résultat : les prix plafonnent ou diminuent carrément, selon les quartiers.
«En 2013, le marché a subi un changement de cap, en raison d'une chute importante de la demande», affirme Hélène Bégin, économiste principale chez Desjardins. Dans la région métropolitaine de Montréal, 35 % des vendeurs de copropriétés ont dû revoir à la baisse le prix qu'ils demandaient, selon la FCIQ. Si les importantes mises en chantier des dernières années ont finalement détendu le marché, les experts croient aussi que le quatrième resserrement des règles hypothécaires, décrété en juillet 2012 par le ministre canadien des Finances, Jim Flaherty, a considérablement ralenti le marché immobilier québécois. Par contre, l'impact a été minime dans le marché canadien, qui continue sur sa lancée. Le Québec, encore une société distincte ? Sur ce chapitre, pas de doute.
Craignant la formation d'une bulle, Jim Flaherty a évoqué, fin 2013, la possibilité de resserrer une fois de plus les règles hypothécaires pour refroidir les marchés surchauffés de Toronto et de Vancouver. La simple évocation de cette possibilité fait bondir le ministre québécois des Finances, Nicolas Marceau, qui craint qu'un nouveau resserrement ne soit néfaste pour le Québec. Il n'est pas seul à craindre les effets néfastes de cette politique. Un cinquième resserrement impliquant une augmentation de la mise de fonds minimale et une réduction supplémentaire de la période d'amortissement n'est pas souhaitable, a déclaré la FCIQ en janvier. «C'est la principale menace qui pèse sur le marché québécois», affirme l'économiste de l'organisme, Paul Cardinal.
Bulle, mythe ou réalité ?
Bulle, mythe ou réalité ?
Si le ministre Flaherty craint la formation d'une bulle, le reste du monde économique considère déjà le marché canadien comme dopé à l'EPO. Un premier rapport publié en mai 2013 par l'OCDE évaluait qu'au pays de Stephen Harper, le marché immobilier était le 3e plus surévalué du monde, après ceux de la Belgique et la Norvège. En novembre, c'était au tour de l'agence de notation Fitch d'ajouter son grain de sel, estimant que l'immobilier canadien était surévalué de 21 %. Au Québec, la surévaluation serait encore pire, à 26 %. Puis, la Deutsche Bank a surenchéri, annonçant en décembre que l'immobilier au Canada remportait la palme du marché le plus surévalué du monde, avec des prix trop élevés de 60 %.
À l'inverse, la plupart des économistes canadiens rejettent la thèse de la bulle. «Des discours alarmistes, on en entend depuis des années. Pourtant, leur pronostic ne se réalise pas, car ces analyses ne tiennent pas compte des particularités de notre marché, où les contrôles sont plus serrés qu'ailleurs», soutient Hélène Bégin. Par exemple, l'assurance prêt hypothécaire est obligatoire si les acheteurs ne disposent pas d'une mise de fonds équivalente à 20 % du prix de vente de la propriété. Autre singularité : les prêteurs évaluent la capacité des emprunteurs en fonction du taux de référence, et non en fonction du taux hypothécaire réellement consenti par les institutions financières, qui est beaucoup plus bas. «Les emprunteurs sont donc moins vulnérables aux hausses de taux d'intérêt», affirme David L'Heureux, analyste de marché à la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL).
Cependant, la principale lacune de ces scénarios apocalyptiques, c'est qu'ils ne tiennent pas compte des taux d'intérêt extrêmement bas qui ont cours actuellement. «Les études le démontrent : les versements hypothécaires respectent la capacité de payer des ménages», explique Daniel Gill, professeur d'urbanisme à l'Université de Montréal et spécialiste de l'habitation. La preuve : le taux de défaut de paiement des hypothèques se situe sous la barre du 0,5 %, selon l'Association des banquiers canadiens.
Donc, la plupart des économistes ne voient pas un effondrement de prix dans leur boule de cristal. «Ce que nous traversons en ce moment, c'est un assainissement du marché», affirme David L'Heureux. Même l'agence Fitch anticipe un «atterrissage en douceur», en raison des mesures proactives prises par le ministre Flaherty. «Les bases du marché restent solides. L'économie se porte bien, le solde migratoire est positif et les taux d'intérêt se maintiennent à des niveaux extrêmement bas», dit David L'Heureux.
Une débâcle à l'américaine à l'image de celle de 2008 évoquée par quelques observateurs semble aussi peu probable que le retour de John Lennon dans les Beatles. «Le Canada n'a jamais suivi la folie des prêts hypothécaires à haut risque», rappelle Paul Cardinal. Pour ces raisons, les acteurs du milieu ne prévoient pas de catastrophe. La SCHL prévoit une croissance du prix moyen de 0,3 % dans le marché de la revente au Québec, avec une légère baisse des prix dans le secteur de la copropriété, mais une légère augmentation dans ceux de l'unifamiliale et du plex. Desjardins s'attend à une baisse des valeurs de l'ordre de 5 à 10 % dans le marché de la copropriété, mais à la stabilité dans celui de l'unifamiliale. La FCIQ envisage une hausse des prix de 1 % dans l'unifamiliale et des prix stables dans la copropriété. Qui aura raison ? Les paris sont ouverts.
Contre-offensive des acheteurs
Dans un marché assoupli, les ménages en quête d'une propriété pourraient profiter d'un contexte favorable en 2014. Yann Lanneau et Marie Servy, un couple qui loue un logement dans le quartier Saint-Roch, à Québec, se frottent les mains. Depuis qu'ils magasinent leur future maison en banlieue, ils constatent qu'ils ont l'embarras du choix. «Les propriétés restent longtemps sur le marché. On sent que la pression est du côté des vendeurs», observe Yann, qui travaille en marketing.
Pourtant, il y a plus d'un an, ces trentenaires d'origine française, parents d'un petit garçon de trois ans, avaient tenté de naviguer dans un marché encore sous haute tension. Reluquant une belle propriété, ils avaient dû y renoncer, car plusieurs acheteurs bataillaient pour l'acquérir. Marie et Yann ont alors pris une pause. «Aujourd'hui, les probabilités d'une surenchère me paraissent peu probables. On remarque déjà quelques ajustements de prix à la baisse», dit Marie, qui travaille dans le commerce de détail.
Pour Hélène Bégin, 2014 sera une excellente période pour les acheteurs. «Avant la hausse probable des taux d'intérêt, qui s'amorcerait à partir du 3e trimestre, le marché actuel présente des occasions. C'est le moment d'en profiter avant qu'on ne retombe dans un cycle haussier», dit cette économiste. Paul Cardinal, de la FCIQ, abonde dans ce sens. «Les acheteurs ont un meilleur pouvoir de négociation, ils ont un plus grand éventail de choix et ils profitent de plus de souplesse en matière de temps, en raison de l'augmentation du délai de vente», dit cet analyste de marché. Acheteurs, à vous de jouer !
Claude Charron, propriétaire de six agences immobilières RE/MAX sur la Rive-Nord de Montréal, tempère toutefois les attentes. «Bien que le marché soit détendu, oubliez les deals ! Les propriétaires ne sont pas en mode liquidation», affirme ce courtier. Avant d'entamer les recherches, cet expert suggère aux acheteurs de bien cerner leurs besoins et de respecter leur budget. «Faites attention au tape-à-l'oeil. Inutile de s'endetter davantage pour acquérir une maison avec un bain à remous extérieur que vous n'utiliserez pas», prévient-il.
Localisation, localisation, localisation. En immobilier, on répète ce mot comme un mantra. Devant la surabondance des copropriétés, Richard Côté, président de l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec, recommande l'achat d'une propriété bien située. «Méfiez-vous des condos qui sont situés trop loin en périphérie, comme à Val-Bélair, dans la région de Québec. Ils risquent de perdre beaucoup de valeur», dit-il. Le cas d'Otterburn Park, cité plus haut, à plus de 30 minutes de Montréal, en est un bel exemple.
Repli défensif chez les vendeurs
Repli défensif chez les vendeurs
Quant aux propriétaires qui vendent leur propriété, ils devront s'armer de patience. Il ne suffit plus de mettre une pancarte «À vendre» pour que les acheteurs se bousculent aux portes. «Beaucoup de vendeurs éprouvent de la difficulté à s'adapter au contexte actuel. Ils refusent d'admettre que le boom est terminé», constate Claude Charron. Le nouveau mot d'ordre aux vendeurs : préparez-vous à faire des concessions.
Dans ce contexte, ne soyez pas passif. Marc-André Bourdon, un courtier immobilier RE/MAX qui oeuvre sur la Rive-Sud de Montréal, conseille aux vendeurs de travailler sur la mise en valeur de la propriété. C'est le retour du home staging. «Il faut se distinguer de la concurrence. Une propriété bien présentée se vend toujours plus rapidement», explique ce courtier. Le home staging, Stéphanie Lessard y croyait peu. Mais lorsqu'elle a mis sa propriété en vente, cette travailleuse autonome du monde de l'édition a constaté son impact positif. «Il n'a fallu que quatre visites pour vendre ma maison de l'est de Montréal, alors que dans mon secteur, plus rien ne bougeait depuis des mois», raconte la quadragénaire.
Grâce à l'aide de son agente, experte en la matière, elle a complètement revu la décoration de sa maison. Elle a dégarni les étagères de sa bibliothèque, remisé toutes ses plantes, remplacé ses rideaux exotiques par des rideaux neutres, vidé son comptoir de cuisine et enlevé tous les cadres et photos personnelles sur les murs. «J'ai dépersonnalisé ma maison pour que les visiteurs s'y sentent plus vite chez eux, une tâche qui a exigé des heures et des heures de boulot», précise-t-elle. Toutefois, en terme d'heures travaillées, elle a obtenu un excellent taux horaire ! «J'ai dégagé un profit de 60 000 dollars quatre ans après mon achat, ce qui m'a donné les moyens de réaliser mon rêve, vivre à la campagne», dit cette célibataire, qui vient d'acquérir un terrain dans les Laurentides pour construire son cocon dans la nature.
Pour Claude Charron, les vendeurs doivent songer à l'idée d'effectuer une inspection prévente, où un expert en immobilier, comme un technologue en bâtiment, aide à diagnostiquer les sources potentielles d'irritation pour les acheteurs. «La gouttière qui pendouille, elle ne vous dérange plus, mais pour le visiteur, cet élément sèmera un doute dans son esprit. Il pensera : "cette propriété est mal entretenue"», explique Claude Charron. Attention, il ne s'agit pas de camoufler les défauts, mais de mettre toutes les chances de votre côté. Peu populaire actuellement, ce type d'inspection sera-t-il la prochaine tendance ?
La rénovation, un investissement ? Pensez-y bien. Une cuisine flambant neuve donnera du panache à votre propriété, mais les acheteurs ne débourseront pas beaucoup plus pour l'acquérir. «Si vous injectez 50 000 dollars dans une cuisine, vous ne récupérerez pas la totalité de votre argent. Il sera plus rentable de changer les poignées d'armoires», estime l'évaluateur Richard Côté.
Ultime conseil : affichez votre propriété à juste prix. Si vous demandez trop, les visiteurs ne seront pas au rendez-vous, et votre maison s'éternisera sur le marché. «Si vous baissez le prix, les acheteurs penseront qu'il y a anguille sous roche», avertit Hélène Bégin. La vente d'une propriété exige une bonne planification. En procédant à la légère, vous risquez d'en faire les frais. Les temps changent, adaptez-vous !
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Des vendeurs doivent revoir leurs attentes
En 2013, quelque 35 % des vendeurs ont dû revoir à la baisse le prix qu'ils demandaient
Le délai de vente moyen s'élevait à 151 jourspour ces vendeurs comparativement à 55 jourspour les autres vendeurs
Source : FCIQ par le système Centris®
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Les commandements
Le marché immobilier est en pleine transformation. Désormais, les acheteurs tiennent le haut du pavé dans la plupart des segments de propriété. Voici quelques conseils pour s'adapter à ce nouveau paradigme.
Acheteur
Ton budget, tu respecteras ;
Au tape-à-l'oeil, tu ne succomberas pas ;
Au condo en périphérie, tu y penseras à deux fois ;
La spéculation, tu éviteras ;
Des aubaines, tu te méfieras.
Vendeur
À juste prix, tu afficheras ;
Le home staging, tu appliqueras ;
La patience, tu apprendras ;
Les concessions, tu accepteras ;
À l'inspection prévente, tu te soumettras ;
Les travaux, tu exécuteras... à petite dose.
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Un marché qui restera dynamique
Les futurs vendeurs* (cinq prochaines années)
1/4 : Environ un propriétaire sur quatre prévoit vendre sa résidence principale au cours des cinq prochaines années.
+ 1 : Les trois quarts d'entre eux prévoient acheter une autre propriété.
60 + : Le tiers d'entre eux : évoquent l'approche de la retraite ou l'avancement en âge comme motif, veulent diminuer la charge d'entretien et de rénovation, ont 60 ans ou plus, sont retraités.
*Répondants de la région de Montréal
Source : Enquête sur les intentions réalisée par Léger en octobre 2013 pour la FCIQ