Dans le but de préserver les avantages fiscaux d'une société avant sa vente, un entrepreneur a avantage à en purifier le bilan périodiquement.
L'un des principaux avantages fiscaux dont un entrepreneur incorporé peut profiter est l'exemption pour gains en capital de 750 000 $. Au moment de la vente de l'entreprise, cet avantage permet à un client entrepreneur et à chaque membre de sa famille de ne pas payer d'impôt sur les premiers 750 000 $ de gains en capital, si le fisc considère les titres qu'ils détiennent comme des actions admissibles de petite entreprise (AAPE).
Pour que ces actions soient admissibles, il faut qu'au moins 90 % de la valeur des actifs de la société soit utilisés dans une entreprise exploitée activement au moment de la vente, selon la Loi de l'impôt sur le revenu. De plus, deux ans avant la cession, plus de 50 % de la valeur des actifs de la société doivent avoir été utilisés principalement dans une entreprise exploitée activement au Canada. Enfin, l'actionnaire doit avoir en sa possession les actions au moins 24 mois précédant la vente.
Or, des placements comme des dépôts à terme, des actions non admissibles ou des obligations ne sont pas considérés comme des actifs utilisés dans une entreprise exploitée activement. Une proportion trop élevée de ces titres dans le bilan de la société opérante causerait la non-admissibilité à l'exemption pour gains en capital, souligne Bernard Poulin, comptable agréé, associé et directeur du service de fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton à Saint-Georges.
« Trop d'entrepreneurs et de comptables ne suivent pas religieusement ces règles et perdent ces avantages fiscaux importants », soutient Daniel Gosselin, associé responsable du groupe KPMG Entreprise. Il mentionne de plus que KPMG a développé des techniques de purification continue, lesquelles assurent à leur client l'obtention de l'exemption pour gain en capital lors d'un décès ou d'une vente.
C'est pourquoi, après la signature de la lettre d'intention de l'acheteur, l'entrepreneur cédant a avantage à purifier son bilan avant la fermeture de la vente. Daniel Fortin, comptable agréé et associé aux services aux sociétés privées et à la gestion de patrimoine chez PwC à Montréal, suggère d'analyser d'abord le contenu de la lettre d'intention.
« Disons que l'entrepreneur vend son entreprise 10 M$ et que, dans les critères de l'entente, le ratio actif à court terme/passif à court terme est d'un pour un et la valeur du capital-actions est de 3 M$. Si les projections financières nous permettent d'anticiper que le bilan de clôture montre un capital-actions de 4 M$, un actif à court terme de 2 M$ et un passif à court terme de 1 M$, l'entrepreneur peut sortir 1 M$ de l'entreprise. Le capital-actions va tomber à 3 M$ et le ratio actif à court terme/passif à court terme sera d'un pour un, comme entendu. Ainsi, l'entrepreneur récupérera les profits qui lui appartiennent et atteindra l'objectif de "purification" », explique-t-il.
Les façons de sortir cet argent ou de purifier le bilan de manière à respecter les critères de l'Agence du revenu du Canada (ARC) pour les AAPE sont multiples. Un entrepreneur pourrait se verser un dividende ou payer une avance à un actionnaire. Si un employé est aussi actionnaire de l'entreprise, le client peut lui verser un boni directement dans son REER, indique Bernard Poulin.
« Par exemple, en regardant son avis de cotisation, on se rend compte qu'il a des droits de contribuer à un REER de 50 000 $, parce qu'il n'a jamais cotisé le maximum dans son REER. On pourrait lui verser un salaire de 50 000 $ pour lequel on n'a pas à payer de l'impôt, parce qu'on le transfère directement dans son REER pour combler ses droits de cotisation inutilisés. Ainsi, les liquidités sortent de la compagnie. Ça fait une dépense à la compagnie, ce qui n'est pas désavantageux », illustre-t-il. L'entrepreneur peut également verser une allocation de retraite aux employés qui partiront après la vente.
L'entreprise peut aussi effectuer des opérations courantes si son objectif n'est que de satisfaire aux critères de l'ARC. « L'entrepreneur peut devancer le paiement des comptes à payer, juste avant la vente. Il a peut-être plein de factures qu'il paye habituellement en 30 jours, mais pour lesquelles il accélèrera le paiement. Il peut aussi acheter des stocks, acheter des inventaires ou devancer l'acquisition de certaines immobilisations, comme un équipement », note Bernard Poulin.
Lors de la purification, l'entrepreneur cherchera également à profiter du compte de dividende en capital (CDC), qui permet de verser un dividende aux actionnaires libre d'impôt, selon Daniel Fortin. Ce compte se crée notamment lorsqu'une société réalise un gain en capital. « Par exemple, on a une société qui vend un bien 1 M$, alors que son coût était de 100 $. Elle a un gain de 1 M$. Comme le serait un individu, elle est imposée sur la moitié de cette somme, soit 500 000 $. Et l'autre 500 000 $ va au CDC et peut être versé libre d'impôt à l'actionnaire », note-t-il.
Dans la purification, Daniel Fortin cherchera à cristalliser rapidement le compte de dividende en capital. « L'entrepreneur peut voter un dividende à son actionnaire avec un billet. L'entreprise aura une dette à l'actionnaire. Lorsque l'entreprise aura des liquidités, elle va le payer », explique-t-il.
Purifier une société de portefeuille
Quelques années avant la vente, un entrepreneur peut également purifier sa société de portefeuille de manière à profiter de la déduction pour gains en capital. Selon l'ARC, pour en profiter, les AAPE doivent être détenues uniquement par un particulier ou une fiducie dont il est bénéficiaire, pas par une société. Or, un entrepreneur pourrait ne posséder le capital-actions de sa société opérante que par l'entremise de sa société de gestion. Il risque ainsi de devoir se priver de la déduction pour gains en capital.
Un fiscaliste peut mettre en place différentes structures afin d'éviter de perdre cet avantage fiscal. Parmi celles-ci, un entrepreneur peut créer une nouvelle société de portefeuille dans laquelle seront transférés les surplus de liquidités de la première société de gestion. Au terme de plusieurs opérations, qui peuvent entraîner des conséquences fiscales, l'objectif est que la première société de gestion ne possède que les actions de la société opérante. Tous les placements seront dans la nouvelle société de portefeuille.
« Désormais, l'entrepreneur possède les actions de l'ancienne compagnie de gestion. Et la seule chose que celle-ci détient, ce sont des actions dans la société opérante. Selon cette structure, l'entrepreneur détient les actions de la compagnie opérante par l'intermédiaire de la compagnie de gestion et il peut réclamer son exemption pour gains en capital », atteste Daniel Gosselin.