MAGAZINE A+ - Lola et Éric se seraient épargné une longue bataille juridique s'ils avaient signé un contrat de vie commune. Pourtant, malgré la popularité de l'union libre, ce document demeure méconnu. Petit guide à l'intention des conjoints de fait.
Quand la Cour suprême a débouté Lola dans sa célèbre cause contre son ex-conjoint Éric, en janvier dernier, une partie des conjoints de fait du Québec a poussé un soupir de soulagement. L'État n'allait pas les «marier» contre leur gré. Ouf !
Du même souffle, certains d'entre eux se sont procuré un contrat de vie commune. «La demande s'est accrue dans les jours qui ont suivi le jugement», dit l'avocat Marc Gélinas, fondateur du Réseau juridique du Québec, un portail en ligne sur le droit. L'embellie a été de courte durée. Si on le compare aux testaments, aux mises en demeure et autres documents légaux offerts sur le site, le contrat de vie commune n'est pas un «gros vendeur», dit-il.
Pourtant, les clients potentiels ne manquent pas ! Au Québec, un tiers des couples vivent en union de fait, soit deux fois plus que dans le reste du pays, selon Statistique Canada. Mais Cupidon les empêche d'y voir clair. «Quand les gens sont amoureux, ils pensent que leur couple est à l'abri des intempéries», remarque la notaire Johanne Pilote, spécialisée en droit familial.
Et puis, les rouages de l'union de fait restent incompris. «Les gens pensent à tort qu'après deux ou trois ans de vie commune, ils sont considérés comme mariés aux yeux de la loi», poursuit Me Gélinas. Au contraire ! Le Québec évite volontairement de conférer aux conjoints de fait les mêmes droits et responsabilités qu'aux couples mariés ou unis civilement afin de respecter leur choix d'une autre forme de vie à deux. Le Code civil du Québec - qui régit les rapports entre les personnes et qui légifère sur les biens - ne prévoit donc aucune conséquence juridique à l'union de fait. Légalement, les conjoints sont à peine plus liés que des colocataires, même après des décennies de cohabitation.
Devant un tel vide juridique, le fait de signer une entente permet de définir les grands principes qui encadrent l'union. Cependant, cette pratique tarde à entrer dans les moeurs. Voici donc tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le contrat de vie commune sans jamais oser le demander.
Pourquoi signer un contrat de vie commune ?
Pourquoi signer un contrat de vie commune ?
Au Québec, les époux et les couples unis civilement bénéficient de toutes sortes de mesures de protection. Mais comme l'État ne reconnaît pas d'obligations particulières entre les conjoints de fait, les situations potentiellement inéquitables sont nombreuses. En cas de rupture, la proverbiale femme au foyer n'aurait aucun droit sur les biens du ménage ni sur la résidence familiale acquis par son conjoint.
Quand Louis et sa compagne ont décidé de vivre ensemble l'an dernier, c'est elle qui a emménagé chez lui. Louis étant propriétaire de la maison, il en dispose à sa guise et pourrait, par exemple, se lever un matin dans 10 ans et la vendre sans consulter sa compagne. De façon plus réaliste, les conjoints ont réfléchi à ce qui se produirait s'ils se séparaient. «Elle avait peur de se retrouver à la rue si les choses n'allaient plus entre nous», raconte-t-il.
Pour équilibrer la situation, ils sont convenus qu'en cas de rupture, elle pourrait prendre jusqu'à six mois pour se reloger. «Et comme c'est elle qui subirait le fardeau de se trouver un nouvel appartement, c'est moi qui assumerais les frais de déménagement.» Le couple s'est aussi entendu pour mettre le contrat à jour après trois ans de vie commune. En attendant, c'est Louis qui paie tout ce qui relève du maintien de l'immeuble, tandis qu'ils partagent à parts égales les dépenses courantes.
Même si leur séparation était très acrimonieuse, Louis ne pourrait pas renier son engagement. «Le contrat est exécutoire. On peut s'appuyer sur lui pour poursuivre un conjoint aux petites créances, par exemple», explique l'avocat Pierre Valin, spécialiste du droit familial.
Que contient le contrat de vie commune ?
«Dans l'union de fait, tout est "à la carte"», dit Me Pilote. Chaque couple est libre d'élaborer des clauses qui lui conviennent, à condition qu'elles ne contreviennent pas aux lois (par exemple, celle qui régit la pension alimentaire des enfants).
Certains s'en tiennent aux grands principes, d'autres précisent tous les détails. «C'est comme un testament où on peut dire "je laisse tout à ma conjointe et à mes enfants en parts égales" ou "je laisse tel bijou à telle tante, à condition qu'elle le lègue à son tour à telle nièce"», illustre Me Valin.
Les conséquences d'un décès ou de l'inaptitude d'un des conjoints
Les conséquences d'un décès ou de l'inaptitude d'un des conjoints
«On ne peut rien léguer dans un contrat de vie commune», indique Me Pilote. C'est plutôt le rôle d'un testament. Pour autoriser un conjoint à administrer nos biens en cas de maladie ou d'accident, il faut un mandat en cas d'inaptitude.
Quand faire un contrat et à quelle fréquence le mettre à jour ?
«Les papiers, il faut les rédiger quand les choses vont bien, et autant que possible, dès le départ, affirme Me Pilote. Le conjoint qui décide de changer ou de préciser des choses après 10 ans risque d'inquiéter l'autre.»
Il reste que le moment de passer à l'action varie selon les situations. Par exemple, un couple qui n'en est pas à sa première union - et dont les conjoints ont déjà des enfants et des possessions importantes, comme Louis et sa compagne - a tout intérêt à signer un contrat dès le moment où il emménage. En revanche, un jeune couple sans actif peut choisir d'attendre l'achat d'une première propriété ou la venue d'un enfant avant de coucher quelques principes sur papier.
Une fois le contrat signé, les experts recommandent de le relire au minimum une fois tous les cinq ans, ainsi qu'à l'occasion d'événements importants comme l'achat d'une nouvelle résidence ou un changement de carrière. Le contrat ne peut pas être modifié unilatéralement.
Qui peut signer un contrat de vie commune ?
Tous les conjoints de fait - même ceux qui sont encore mariés à quelqu'un d'autre ! -, à condition qu'ils soient majeurs.
Avoir recours à un professionnel ou non ?
Il n'est pas absolument nécessaire de faire appel à un notaire ou à un avocat pour rédiger un contrat de vie commune. Des modèles sont disponibles en ligne à peu de frais. Celui du gouvernement du Québec se détaille à moins 5 dollars, et celui du Réseau juridique du Québec, plus élaboré, coûte 35 dollars. Une fois signés par les deux parties, devant deux témoins, ces contrats ont la même valeur légale qu'un contrat notarié.
Pour ceux dont la situation financière est complexe (les propriétaires d'entreprise, par exemple) ou ceux qui désirent un contrat plus détaillé, les services d'un professionnel sont tout indiqués. L'avocat ou le notaire évalue la situation du couple, ses projets (perspectives professionnelles, familiales, etc.) et propose des clauses appropriées. «Selon les cas, il faut prévoir de 800 à 1 000 dollars», estime Me Valin. Selon lui, c'est peu payer pour établir sur mesure les règles de la vie commune. «Les gens dépensent des milliers de dollars pour un mariage qui les assujettit à des règles qu'ils n'ont pas choisies.»
Comment aborder la question avec son conjoint ?
Comment aborder la question avec son conjoint ?
Parler des termes d'une potentielle séparation alors qu'on commence à peine la vie commune, c'est moche. Un peu comme inscrire son nom dans ses livres qu'on met en commun dans la bibliothèque, «au cas où...». «C'est sûr qu'un contrat de vie commune, ça manque de romantisme», convient Me Gélinas. En même temps, le contrat vise l'équité entre les conjoints. «Si l'un des deux se montre réticent, ça part mal !» dit Me Pilote. Le meilleur argument pour convaincre son conjoint, selon les notaires ? «Si tu m'aimes, signe un contrat avec moi !»
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QUELQUES-UNS DES ÉLÉMENTS LES PLUS COURANTS :
Les biens
Beaucoup de couples dressent l'inventaire de leurs possessions au moment de former l'union (immeubles, meubles, moyens de transport, placements, etc.). Si la relation prend fin, chacun garde ce qu'il a apporté dans son baluchon. En général, les conjoints s'entendent aussi pour que les cadeaux et les legs restent la propriété exclusive de celui qui les reçoit.
Ensuite, on détermine comment les biens seront acquis pendant la vie commune. «Légalement, tout ce que j'achète est à moi, dit Me Gélinas. Certains conservent cette approche "chacun pour soi".» Les conjoints peuvent, par exemple, débourser tour à tour pour les achats importants, et advenant la fin de l'union, partir avec l'écran plasma ou la cuisinière qu'ils ont payée de leur poche. D'autres décrètent plutôt qu'ils seront copropriétaires de tous les biens qui servent au ménage, peu importe qui a sorti sa carte de crédit.
Le partage des responsabilités pendant la vie commune
Un contrat stipule aussi la répartition des charges (en parts égales ou en proportion des salaires, disons) et les mesures à prendre à la naissance d'un enfant. «Si un des conjoints se retire du marché du travail, il n'aura sans doute pas les moyens de contribuer à ses REER pendant quelques années. On peut inclure une clause afin que l'autre y contribue pour lui», illustre Me Pilote.
En cas de rupture
Comment les biens seront-ils partagés ? Qui gardera la maison ? Le conjoint mieux nanti versera- t-il une pension alimentaire (différente de celle des enfants) au moins fortuné ? Toutes ces questions peuvent être réglées dans le contrat. «On peut aussi y inscrire une obligation de recourir à la médiation en cas de différend», ajoute Me Pilote.
Les exclusions
La garde des enfants et la pension alimentaire.
Comme le bien-être des enfants est en jeu, ces aspects d'une rupture sont imposés par des lois. «Un contrat de vie commune ne peut pas stipuler qu'un conjoint aura la garde des enfants et que l'autre ne paiera pas de pension alimentaire, ce serait contraire à la loi», illustre Me Pilote.
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Les couples qui possèdent une convention d'union libre ou un contrat de vie commune
8 % Oui, entre nous et sans notaire
2 % Ne sais pas
11 % Oui, rédigé devant notaire
79 % Non
50% des gens croient qu'en cas de rupture entre deux conjoints de fait, tous les biens acquis pendant leur vie commune sont séparés en parts égales. Faux !
42 % des gens croient que dans le cas d'une rupture entre conjoints de fait, le conjoint le plus pauvre n'a pas droit à une pension alimentaire. Vrai !
27% des gens croient qu'un conjoint de fait ne peut pas, sans le consentement de son conjoint, vendre la résidence où ils vivent même s'il en est l'unique propriétaire. Il le peut !
LES AUTRES TYPES D'UNION, ÇA DONNE QUOI ?
En se mariant ou en s'unissant civilement, un couple bénéficie des protections suivantes :
Le partage des biens à la dissolution de l'union ;
La possibilité de demander une pension alimentaire ;
La protection de la résidence familiale et de ses meubles, ce qui évite au conjoint non propriétaire de se faire «tirer le tapis sous les pieds» ;
L'irrévocabilité de la désignation d'un époux comme bénéficiaire d'une assurance - à moins que la désignation ne soit faite dans un testament ;
La possibilité d'hériter en cas de décès de son époux, même s'il n'avait pas de testament.
Cet article a été publié dans l'édition du mois de mai du magazine de finances personnelles A+. Pour vous abonner.