Le bond du dollar américain et les marchés émergents au ralenti obligent les géants de la consommation à redoubler d'efforts pour raviver leur croissance et mériter leur riche évaluation. Procter & Gamble, Coca-Cola, Pepsi et Colgate-Palmolive devraient relever ce défi et continuer à procurer les bénéfices et les dividendes croissants auxquels ils ont habitué leurs actionnaires. Les investisseurs activistes veillent aussi au grain.
Des forces opposées tiraillent les géants américains de la consommation et compliquent leurs perspectives de placement.
D'un côté, le ralentissement mondial, les consommateurs américains moins dépensiers et les marchés émergents moins vigoureux qu'avant, empêchent les colosses de la consommation d'exploiter au maximum la force de frappe de leurs marques et de leur machine de marketing.
Le dollar américain fort pèse aussi sur les ventes et les bénéfices réalisés à l'étranger. Son impact varie en fonction des sites de production et de l'efficacité des opérations de couverture des entreprises.
Cette conjoncture plus exigeante ralentit leur taux de croissance, en même temps que leur évaluation augmente, explique Robert Lee, gestionnaire de portefeuille chez Fidelity Investments.
Leur valeur refuge a en effet pris du galon dans le marché turbulent de l'automne. Pas étonnant pour des sociétés qui versent des dividendes depuis la fin du 19e siècle.
Après un gain de 10 % depuis le début de l'année, le secteur de la consommation de base du S&P 500 a atteint un record et commande un multiple de 18 fois les bénéfices prévus dans 12 mois.
Pour satisfaire leurs actionnaires, ces sociétés multiplient donc les plans de rationalisation afin de soutenir leurs marges.
Les investisseurs activistes sont aussi de plus en plus actifs dans le secteur. Ils exigent de meilleurs rendements, et même parfois un virage stratégique.
En simplifiant leur énorme structure, ces mastodontes espèrent gagner la capacité de stimuler plus efficacement leur croissance.
Pour Constantine Kostarakis, président de Gestion de placement Summus, , à long terme, ce genre de considération pèse bien peu dans les perspectives de placement de cette industrie.
«De temps à autres, de nouvelles inquiétudes font surface, telles que la concurrence des marques maison ou encore la lutte contre l'obésité. Cette fois, ce sont le dollar fort et le ralentissement mondial. Or, décennies après décennies, ces entreprises performantes trouvent toujours le moyen de procurer de bons rendements aux investisseurs», dit-il.
Greyson Witcher, de Mawer Investment Management, met aussi l'accent sur la solidité de leur modèle d'entreprise et la grande stabilité de leur titre au fil du temps, plutôt que sur leur croissance au ralenti à court terme.
«C'est leur rentabilité durable qui compte. Nous avons profité du recul momentané de leurs cours en février et en juillet pour ajouter à nos placements», dit pour sa part Ted Maloney, gestionnaire du Fonds d'actions américaines MFS Sun Life.
Puisque ces titres ne sont plus les aubaines qu'ils étaient en 2011 et que l'économie mondiale reste anémique, il vaut mieux attendre le bon moment et les acheter lors de reculs boursiers, conseille Stephen Gauthier, gestionnaire de portefeuille chez Valeurs mobilières Fin-Xo.
«La qualité et la constance de tels titres sont des vertus dans une économie mondiale fragile. Mais lorsque je vois des multiples de 20 fois et plus les bénéfices, j'y regarde tout de même de plus près pour m'assurer que la rentabilité et la croissance sont encore au rendez-vous», dit-il.
Procter & Gamble rétrécit pour croître plus vite
Procter & Gamble (NY, PG, 89,13 $ US)
Rendement du dividende : 2,89 %
Variation depuis le début de l'année : +9,5 %
Multiple cours-bénéfice 2015 : 20,4
Croiss. prévue des bénéfices à long terme : 8,6 %
Le titan de la consommation est le choix préféré des financiers consultés, parce que son plan stratégique est de grande envergure, ce qui lui confère un bon potentiel.
Le fabricant du savon Tide et des couches Pampers compte céder ou éliminer de 90 à 100 de ses marques pour concentrer son capital sur les 70 à 80 marques qui lui procurent déjà 95 % de ses bénéfices.
Ce virage est devenu nécessaire quand ses dirigeants ont compris que les suppressions de coûts de 10 milliards de dollars amorcées en 2012, ne seraient pas suffisantes pour fouetter sa performance.
D'ailleurs, Alan George Lafley, son président de 2000 à 2009, est revenu en mai 2013 pour prendre en charge le nouvel effort. Le nouveau plan est tout aussi ambitieux que coûteux, comme en témoigne la récente dévaluation de 1 G$ du fabricant de batteries Duracell, que la société veut essaimer l'an prochain.
«Le plan d'action donne au titre le potentiel de surpasser son industrie en Bourse au cours des 3 à 5 prochaines années», fait valoir Stephen Boland, analyste chez Odlum Brown, qui vient d'augmenter son cours-cible d'un an à 105 $ US.
La société a déjà réduit ses effectifs non manufacturiers de 16 % depuis trois ans. Une fois le plan de compressions complété, l'équipe de cadres aura la même taille qu'en 2000, mais des revenus deux fois supérieurs.
«Il sera plus facile pour l'entreprise de cibler les meilleurs segments de croissance et de diriger le capital là où elle obtient le meilleur rendement. Entretemps, le dividende de 3 % nous rémunère pour attendre», dit Stephen Gauthier, gestionnaire chez Valeurs mobilières Fin-Xo.
Les économies n'iront pas toutes gonfler les marges et les bénéfices puisque l'entreprise entend bien réinvestir dans sa croissance, dans une mise en marché plus musclée des marques les plus fortes, ainsi que dans le lancement de nouveaux produits plus différenciés qu'elle peut vendre plus cher.
Éventuellement, la société retournera davantage du capital ainsi libéré à ses actionnaires. Ted Maloney, gestionnaire du Fonds d'actions américaines Sun Life MFS, s'attend notamment à de meilleurs dividendes.
Coca-Cola réagit aux critiques, mais devra faire plus
Coca-Cola (NY, KO, 42,82 $ US)
Rendement du dividende : 2,88 %
Variation depuis le début de l'année : + 2,4 %
Multiple cours-bénéfice 2015 : 20,5
Croiss. prévue des bénéfices à long terme : 5,7 %
Les investisseurs n'ont pas tous la patience de Warren Buffett, le principal actionnaire de Coca-Cola, et le plan de compressions annoncé le 21 octobre - la société d'Atlanta retranchera 3 milliards de dollars à ses coûts d'ici 2019 - laisse bien des financiers sur leur appétit.
Son président Muhtar Kent a aussi prévenu que 2015 sera une année de transition à cause de la hausse du dollar américain et de la faiblesse de l'économie mondiale.
Plusieurs observateurs ont aussi ouvertement décrié son généreux plan de rémunération, qui récompense ses hauts dirigeants, quelle que soit leur performance.
David Winters, président de Wintergreen Advisers, est un de ces actionnaires insatisfaits. Il souhaite un plus gros coup de barre. «Ses problèmes peuvent être corrigés, mais je crois que l'entreprise est encore en déni en ce qui concerne ce qu'elle doit faire pour revitaliser sa performance», a-t-il dit en entrevue. Si la société ne réalise pas ses promesses, il y a fort à parier que la pression d'actionnaires mécontents grimpera encore d'un cran.
Ian Shackleton, de Nomura, a poussé son analyse jusqu'à un rachat par endettement de l'entreprise similaire à celui de Heinz en 2013 par Warren Buffett et l'investisseur brésilien 3-G Capital. M. Shackleton estime qu'un rachat dans lequel les deux partenaires investiraient chacun 25 G$ US doublerait la valeur de Coca-Cola à 90 $ US, après un plan plus radical de réductions des dépenses.
«Les partenaires seraient prêts à payer une plus-value de 25 % pour fermer le capital de la société», écrit l'analyste, qui fixe entretemps son cours-cible à 54 $ US.
M. Winters préférerait que la relance de Coca-Cola bénéficie à l'ensemble des actionnaires. Réticent à alimenter une pure spéculation, l'investisseur activiste se dit d'accord avec la prémisse de Ian Shackleton que Coca-Cola est très sous-évaluée. «La société ne réalise pas son plein potentiel», dit-il.
Plus conciliant, Amit Sharma, de BMO Marchés des capitaux, se dit enthousiasmé par le réalignement de Coca-Cola. «La société reconnaît enfin que les revenus de boissons gazeuses ne retrouveront pas leur erre d'aller et que ses dépenses ne sont plus alignées avec ses revenus stagnants», dit-il.
PepsiCo performe, mais ne peut pas baisser la garde
PepsiCo (NY, PEP, 96,80 $ US)
Rendement du dividende : 2,71 %
Variation depuis le début de l'année : + 16,7 %
Multiple cours-bénéfice 2015 : 20,2
Croiss. prévue des bénéfices à long terme : 7,8 %
PepsiCo a été proactive en réduisant ses coûts et en haussant ses prix de vente. L'entreprise veut prouver qu'elle n'a pas besoin de se scinder en deux pour donner de meilleurs rendements financiers, comme le réclament certains actionnaires activistes.
Après avoir surpassé les attentes pour un troisième trimestre consécutif, la société a haussé de 8 % à 9 % ses prévisions de croissance de bénéfices en 2014, malgré la force du billet vert et le piétinement mondial.
Même si PepsiCo surpasse son industrie en Bourse, Nelson Peltz, le fondateur de Trian Fund Management, fait pression depuis des mois pour que la société se sépare de sa division de collation Frito-Lay, comme Kraft l'a fait avec Mondelez International, en 2012. M. Peltz a aussi accumulé 2,5 % de Mondelez et siège à son conseil.
À son avis, la lourdeur de la structure centralisée de PepsiCo empêche ses deux divisions de donner leur plein potentiel.
La pdg Indra Nooyi rétorque que la complémentarité des boissons et des collations lui procure un avantage concurrentiel, par exemple lors de la promotion croisée de Mountain Dew et Doritos pendant le lancement du jeu Call of Duty ou encore celle de Pepsi et des croustilles Lay's lors d'événements sportifs en Pologne.
À l'étranger, les campagnes de publicité conjointes, la mise en commun de fonctions administratives, ainsi que la distribution commune en région rurale lui procurent aussi d'importantes économies.
Un plan de réduction des dépenses de 3 milliards de dollars américains prend fin cette année. Un nouveau plan le remplacera et portera à 5 G$ US les économies réalisées sur cinq ans.
La société aura aussi distribué 8,7 G$ US de capital à ses actionnaires en 2014, en rachetant 5 G$ US d'actions et en versant des dividendes de 3,7 G$ US.
Pour sa part, Michael Branca, de Barclays, s'attend à ce que l'action de PepsiCo continue de mieux performer que ses semblables en Bourse en raison de la constance de ses résultats, cette année. L'analyste hausse d'ailleurs son multiple d'évaluation de 19,2 à 20,5 fois ses nouvelles prévisions de bénéfices pour 2015 et porte son cours cible de 95 $ US à 102 $ US.
«La possibilité que M. Peltz demande à entrer au conseil d'administration assure que les dirigeants voudront donner leur maximum», évoque-t-il.
Colgate-Palmolive accentue aussi son plan de réduction des dépenses
Colgate-Palmolive (NY, CL, 68,05 $ US)
Rendement du dividende : 2,1 %
Variation depuis le début de l'année : + 4,4 %
Multiple cours-bénéfice 2015 : 22,2
Croiss. prévue des bénéfices à long terme : 9,0 %
Le producteur de dentifrice est loin d'être une aubaine, mais il est encore sur la liste d'achat de Stephen Gauthier, de Valeurs mobilières Fin-Xo.
Il est difficile de lever le nez sur une entreprise dont le rendement sur le capital dépasse son coût en capital de 12,7 %.
La société est un bon répartiteur de capital ayant accru ses dividendes tous les ans depuis 51 ans. De plus, elle rachète ses actions régulièrement, y compris pendant la crise de 2008-2009.
Stephen Boland, analyste chez Odlum Brown, est aussi attiré par le fait que l'entreprise ne réalise que 18 % de ses revenus aux États-Unis. Cela en fait un titre de choix pour profiter d'une classe moyenne plus populeuse en Amérique latine et en Asie, à long terme.
À court terme, le ralentissement en Chine et au Brésil notamment freine sa croissance, mais la société compte bien renouer avec ses objectifs à long terme de plus de 10 %, après 2015.
Alors qu'elle possède déjà 44 % du marché mondial des dentifrices et 33 % de celui des brosses à dents, la société doit aussi hausser la barre pour performer dans un environnement nettement plus exigeant qu'avant.
Elle vient d'ailleurs d'augmenter de 20 %, à 390 millions de dollars américains les économies annuelles du plan de productivité amorcé en 2012 qui prend fin en 2016.
En même temps, la société mise sur l'innovation et la segmentation comme antidote à la déflation, explique Lauren Lieberman, de Barclays.
Aux États-Unis, le lancement de nouveaux dentifrices et de nouvelles brosses à dents plus performants, ainsi que de produits de blanchissement d'emploi plus facile stimulent ses ventes, grâce à des prix de vente plus élevés. Par exemple, le dentifrice Optic White est 65 % plus cher que le Colgate Total.
En Europe et en Océanie, où Colgate-Palmolive réalise 20 % de ses revenus, l'entreprise a consolidé son réseau de ventes et de distribution pour s'ajuster à la stagnation des ventes. La contribution de ces deux régions aux bénéfices rebondira donc de façon marquée dès que leur économie prendra du mieux, prévoit Lauren Lieberman.
17 %: Le multiple d’évaluation du secteur de la consommation de base surpasse de 17 % celui de l’indice S&P 500, par rapport à une prime moyenne de 14 % depuis 10 ans. Source : Yardeni Research
Trois autres géants à surveiller
Mondelez (Nasdaq, MDLZ, 37,76 $ US)
Rendement du dividende : 1,6 %
Variation depuis le début de l'année : + 6,9 %
Multiple cours-bénéfice 2015 : 21,3
Croiss. prévue des bénéfices à long terme : 10,4 %
Avec l'investisseur activiste Nelson Peltz de Trian Investment Management au conseil, la pression est forte pour que le fabricant des biscuits Oreo et Ritz procure du rendement. Au troisième trimestre, la société a surpris par des bénéfices de 28 % supérieurs aux attentes, obtenus grâce à une hausse audacieuse de 5,8 % de ses prix de vente. L'ex-division de Kraft prévoit une amélioration de 10 % de son bénéfice d'exploitation en 2014. «Cette performance fera taire ceux qui jugeaient que son objectif de faire passer ses marges de 12 % à 16 % d'ici 2016 était trop ambitieux», dit Robert Moskow, de Credit Suisse. Son plan de réduction des dépenses vise des économies annuelles de 1,5 milliard de dollars américains, d'ici 2018. La société aura aussi distribué 3 G$ US à ses actionnaires en 2014. Son cours cible : 42 $ US.
Newell Rubbermaid (NY, NWL, 34,80 $ US)
Rendement du dividende : 1,9 %
Variation depuis le début de l'année : + 7,4 %
Multiple cours-bénéfice 2015 : 16,5
Croiss. prévue des bénéfices à long terme : 9,9 %
Même s'il ne fait pas partie des recommandations des financiers interviewés, le fabricant de contenants de plastique, des produits pour enfants Graco et des crayons Sharpie hausse aussi la barre pour performer. Une troisième rationalisation depuis 2011 porte à 525 millions de dollars américains les économies totales, d'ici 2017. La société vend aussi des divisions non stratégiques pour se centrer sur ses forces. Avec l'achat d'Ignite et de Bubba Brands depuis juillet, Newell est le chef de file des bouteilles réutilisables. La société d'Atlanta cible mieux la mise au point de nouveaux produits, double ses dépenses en marketing et implante une première plateforme majeure de commerce en ligne. Une croissance prévue de 10 % des bénéfices en 2015, des investisseurs sceptiques et une évaluation raisonnable de 16 fois ses bénéfices en font le titre favori de Connie Maneaty, de BMO Marchés des capitaux, qui a un cours cible de 39 $ US.
Kraft (Nasdaq, KRFT, 57,87 $ US)
Rendement du dividende : 3,8 %
Variation depuis le début de l'année : + 7,4 %
Multiple cours-bénéfice 2015 : 17,7
Croiss. prévue des bénéfices à long terme : 8,3 %
Kraft Foods a du mal à gérer tous les aspects de son plan stratégique. Les gains de productivité promis prennent du retard, tandis que la croissance de ses divisions de fromage, de repas réfrigérés et de desserts déçoit. Deux ans après avoir envoyé en Bourse ses grignotines dans l'entreprise Mondelez, la société pourrait essaimer d'autres filiales afin de mieux concentrer son action stratégique et son capital, avance Kenneth Zaslow, de BMO Marchés des capitaux. L'analyste lui suggère même de se séparer de ses activités de fromage, de viandes réfrigérées et de café qui sont soumises aux fluctuations du coût des denrées. Individuellement, les parties de Kraft valent plus que le tout, surtout dans le contexte actuel des transactions dans l'industrie des aliments. Il donne une valeur de 63 $ US à l'action de Kraft.