Faire respecter ses droits peut sembler fastidieux, mais c'est toute la société qui y gagne, selon les experts.
Éric Tremblay, un électricien de Saint-Félicien, ressent encore une pointe d'amertume lorsqu'il relate la bataille livrée l'an dernier contre le manufacturier Hewlett Packard (HP). Son imprimante, acquise par l'intermédiaire du site Internet du fabricant, cesse de fonctionner après quelques semaines à peine d'utilisation. Le service à la clientèle d'HP lui demande de retourner l'appareil pour qu'on lui en renvoie un nouveau. Qui déclare forfait à son tour après quelques semaines. Appel chez HP. Renvoi de l'imprimante. Réception de l'imprimante numéro 3. Qui elle aussi fait défaut. Re-coup de fil chez HP, re-débat avec le préposé. «Et c'est là que j'apprends que l'imprimante qu'on m'avait envoyée la première fois était réusinée, avec une garantie de trois mois seulement.»
Or, entre le premier et le troisième bris, il s'est écoulé environ 15 semaines. «Le préposé qui m'a répondu m'a dit que j'aurais dû prendre la garantie prolongée», peste Éric Tremblay. Il tente d'invoquer ses droits, menace de porter plainte, d'appeler les journalistes s'il le faut. Rien n'y fait. Il jette l'éponge. «Ça m'a coûté une centaine de dollars et près d'une journée de travail pour me faire avoir», philosophe-t-il. Aujourd'hui, il n'a toujours pas d'imprimante.
Des histoires comme celle d'Éric sont légion. Nous en avons trouvé des dizaines dans les documents déposés en soutien de demandes de recours collectifs en cours au Québec. La cliente qui doit passer de longues heures au téléphone, pendant des mois, pour que son fournisseur de service téléphonique cesse de lui facturer un service facultatif qu'elle s'époumone pourtant à refuser. Les clients de fournisseurs de services cellulaires ou Internet dont les forfaits sont modifiés ou changent de prix malgré l'existence de contrats à durée déterminée. La cliente qui doit se battre pendant des semaines pour obtenir le respect de la garantie légale applicable à son ordinateur portable.
Heureusement, des lois existent pour protéger les consommateurs. Autant d'outils pour éviter de se faire entourlouper... à condition de les connaître. Survol.
Flou comme une garantie
L'article 38 de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) en vigueur au Québec stipule qu'un produit vendu est toujours couvert par une garantie légale, laquelle doit couvrir «un usage normal pendant une durée raisonnable, qui peut varier selon le prix payé, les dispositions du contrat et les conditions d'utilisation».
En clair, des écouteurs payés un dollar ne sont pas garantis de la même façon qu'un frigo payé 1 000 dollars. Et avant de vous offrir une garantie supplémentaire, le commerçant doit vous informer de la garantie légale.
Le hic, c'est que dans le merveilleux monde des garanties, le taux de conformité des commerçants québécois à cette disposition est faible. En 2011, une enquête réalisée par l'Office de la protection du consommateur (OPC) auprès de 141 commerçants a conclu que plus de la moitié d'entre eux ne respectaient pas cette disposition.
Entendons-nous : offrir des garanties prolongées n'est pas illégal. «Mais avant de nous l'offrir, le commerçant doit nous informer de la garantie légale et de la garantie conventionnelle, explique le porte-parole de l'OPC Jean-Jacques Préault. Ensuite, si tout ça ne suffit pas, il peut offrir la garantie prolongée.»
Les consommateurs sont donc protégés, légalement du moins. Cependant, pour qu'ils se prévalent de cette protection, il y a un pas qu'ils franchissent rarement.
Quelle justice pour les grille-pain ?
«Il y a un problème fondamental avec les garanties légales, soutient Philippe Viel, porte-parole de l'Union des consommateurs. Combien de temps doit durer un frigo ou un grille-pain ?», demande-t-il. Pour le savoir, il faut passer par les tribunaux, avec toutes les lourdeurs et les dépenses que cela implique.
Philippe Viel constate ainsi que si la loi existe, les mécanismes qui forcent les commerces à la respecter sont peu utilisés par les consommateurs.
Cela serait dû au fait que «les processus légaux sont complexes, ardus et coûteux», selon Philippe Viel. «S'il perd quelques journées de travail pour un grille-pain brisé, le consommateur y trouvera-t-il son compte ?» ajoute-t-il.
On peut bien sûr inscrire sa cause à la Cour des petites créances, mais pour des sommes inférieures à quelques centaines de dollars, ça n'en vaut que rarement la peine.
L'avocat Pierre Sylvestre abonde dans ce sens. Si ce spécialiste des recours collectifs est d'avis que le droit québécois sert bien les consommateurs, «la difficulté de suivre la procédure et le fait qu'elle soit lourde font en sorte que peu de gens s'en prévalent».
Sans compter qu'une fois qu'on a décidé de se battre, la disparité entre les moyens des consommateurs et ceux des grandes sociétés est énorme, selon l'avocat. Des armées d'avocats et d'experts, des multitudes de contre-expertises et beaucoup d'argent permettent d'étirer les procédures.
«En plus, déplore Pierre Sylvestre, on vient de réintroduire le droit d'en appeler d'un jugement autorisant un recours collectif», augmentant d'autant la lourdeur des procédures pour les consommateurs.
L'importance de se battre
L'importance de se battre
La lutte peut pourtant porter ses fruits. En 2010, Tanya Bergeron, une résidente de Québec, souhaite visiter des amis torontois. L'offre de la compagnie aérienne Porter d'un aller-retour Québec-Toronto pour 178 dollars lui semble alléchante. Au moment de payer le billet, par contre, le prix est supérieur de 141 dollars à ce qui était annoncé dans les journaux. Elle s'est plainte à l'Union des consommateurs... et c'est ainsi qu'elle est devenue représentante dans un recours collectif intenté contre Porter.
En juillet 2012, ce recours s'est soldé par une entente entre le transporteur et ses clients québécois.
Outre les taxes, les prix affichés dans les publicités ne doivent pas comporter de frais cachés. Les frais d'améliorations aéroportuaires ou de carburant doivent ainsi être compris dans les prix affichés. Ici, c'est l'article 224 de la LPC qui encadre la publicité des prix.
Porter a conclu une entente avec l'Union des consommateurs et Tanya Bergeron : tous les clients québécois de Porter qui ont payé des frais supplémentaires à ceux affichés dans les publicités du transporteur auront droit à un rabais. Ils doivent cependant être admissibles selon certains critères établis par la Cour dans le cadre du règlement intervenu entre les parties.
Un recours similaire intenté par l'Union des consommateurs a été autorisé l'an dernier, contre Air Canada cette fois.
Au moment d'écrire ces lignes, le registre des recours collectifs du ministère de la Justice du Québec indique qu'il y a 141 demandes d'autorisation d'un recours intenté en vertu de la Loi sur la protection des consommateurs. De ce nombre, 81 requêtes portent également sur la responsabilité du fabricant - pour l'essentiel, des causes où la portée d'une garantie est interprétée différemment par les deux parties.
«C'est la preuve que la loi fonctionne et que des recours sont possibles», opine l'avocat Jeff Orenstein, qui a fondé le Consumer Law Group, spécialisé dans les recours collectifs au Québec, dans l'État de New York et en Ontario.
Pierre Sylvestre ajoute : «Comme l'a dit la Cour suprême, les recours collectifs, c'est préventif. C'est une façon de contrer les abus» des fabricants, pour qui un jugement négatif portant sur une garantie ou sur un défaut de fabrication est un signal qu'il faut être bien préparé.
Ce qui n'est possible que lorsque les consommateurs font valoir leurs droits.
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Faire valoir ses droits
Le prix payé diffère du prix affiché ? Le détaillant ne veut pas échanger un produit défectueux ? Vous annulez votre inscription au cours de Pilates, mais le remboursement vous est refusé ? Toutes ces situations sont encadrées par la Loi sur la protection du consommateur.
Si vous vous croyez lésé :
1. Connaissez vos droits et responsabilités, ainsi que ceux des commerçants, en consultant l'Office de la protection du consommateur, qui :
offre sur Internet des conseils répartis par sujets (garantie, vente par correspondance, etc.) et pour chaque catégorie de produits (électroménagers, téléphonie, etc.) [opc.gouv.qc.ca] ; reçoit et traite les plaintes du public ; sanctionne les commerçants récidivistes.
2. Négociez avec le commerçant Une discussion avec les responsables du service à la clientèle peut souvent arranger les choses. Assurez-vous d'avoir en main toutes les pièces justificatives, et surtout, d'avoir lu votre contrat ou la garantie.
3. Agissez ! Les recours en cas d'insatisfaction sont nombreux : dépôt d'une plainte à l'OPC, mise en demeure au commerçant le sommant de corriger la situation, poursuites... Pour les sommes inférieures à 7 000 dollars, vous pouvez vous adresser à la Cour des petites créances - on vous offrira d'abord la médiation, puis un recours si celle-ci échoue.
Pour aller plus loin
Deux organisations d'aide aux consommateurs, l'Union des consommateurs et Option consommateurs, intentent de nombreux recours collectifs contre des entreprises. Un jugement favorable dans un recours permet d'indemniser des milliers de personnes.
Registre québécois des recours collectifs
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Des consommateurs bien protégés, ou presque
Le Québec offre un des meilleurs régimes de protection des consommateurs en Amérique du Nord. Celui-ci est cependant perfectible. Voici les lacunes les plus souvent cernées par les experts.
L'individualisme
Les consommateurs se retrouvent (trop) souvent seuls face aux commerçants. «Si vous avez un problème avec un grille-pain, on vous en remet tout simplement un autre et on n'en parle plus. Mais d'autres consommateurs seront peut-être lésés.» Et des milliers de grille-pain défectueux peuvent ainsi se retrouver en circulation.
L'ignorance des lois
Comme l'a relevé l'OPC, plusieurs entorses sont dues à la méconnaissance de la loi.» L'obligation d'expliquer toutes les garanties accessibles à un client avant de lui en vendre une autre est rarement connue des vendeurs.
Le manque d'uniformisation
L'approche légale et réglementaire est trop sectorielle : par exemple, tant les banques canadiennes que les transporteurs aériens, de juridiction fédérale, plaident souvent que la loi québécoise ne s'applique pas à eux.
Le manque de dissuasion
Si un fabricant récolte une amende pour une pratique contraire à la loi, «rien n'empêche d'autres fabricants d'utiliser les mêmes pratiques tant que des clients ne portent pas plainte et ne vont pas au bout des recours», selon Jeff Orenstein, du Consumer Law Group.
L'absence d'un guichet unique
Les cas de l'Australie, du Portugal ou de la Nouvelle-Zélande, des pays qui disposent d'un tribunal de la consommation, sont souvent cités en exemple. Des juges spécialisés dans la protection des consommateurs permettraient de régler les dossiers plus rapidement. Un peu comme le fait la Régie du logement.