Imaginez de l'argent comptant qui résisterait à l'inflation. C'est une des propriétés des pièces de monnaie convoitées par les collectionneurs. Incursion dans le monde de la numismatique, où passion rime parfois avec création de valeur. Mise en garde : vous ne regarderez plus votre «petit change» de la même façon...
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Que diriez-vous d'échanger un sou noir contre 700 $ ? Des collectionneurs sont prêts à allonger cette somme pour mettre la main sur une pièce émise il y a à peine 10 ans. Un rendement à faire rêver tout investisseur.
À partir de 2005, la Monnaie royale canadienne a utilisé deux produits différents pour fabriquer ses pièces d'un cent : de l'acier recouvert de cuivre et du zinc recouvert de cuivre, explique Gilles Lamoureux, président du Club philatélique et numismatique de Granby. Rien ne les différencie à l'oeil nu, mais une pièce est magnétique, tandis que l'autre ne l'est pas.
«La Monnaie royale a commandé des flans [pièces taillées destinées à être frappées] de matériaux différents sans vraiment y porter attention, précise M. Lamoureux. Les collectionneurs, eux, ont commencé à regarder ça. Ils ont vu que pour certaines années, les pièces de l'une des deux catégories pouvaient être plus rares.»
Le sou noir non magnétique de 2006 qui a un «P» sous l'effigie de la reine fait partie du lot. Pour une raison méconnue, cette pièce est «très rare». En excellente condition, elle peut se vendre 680 $, selon le site NumiCanada.com.
À la recherche de la perle rare
L'anecdote montre bien pourquoi une pièce, à première vue banale, revêt un intérêt pour les adeptes de la numismatique (l'étude de la monnaie et des médailles). «C'est la quantité émise qui détermine la valeur d'une pièce, explique M. Lamoureux. Les collectionneurs cherchent des pièces qui ont été émises en petite quantité.»
L'effet de rareté fait en sorte qu'un sou noir d'à peine 10 ans vaut plus qu'une pièce de cinq cents italien de 1880. «Un "centsimi" de 1880 ne vaut pas grand-chose lorsqu'il est usé, car il y en a eu beaucoup sur le marché à l'époque, dit Jacques Gosselin, vice-président de la Société de numismatique de Québec. C'est tout de même "le fun" d'en avoir dans sa collection.»
L'état de conservation de la pièce influera inévitablement sur sa valeur. «Le 10 cents de 1938 est une pièce excessivement commune, illustre Marc Magoon, directeur des ventes chez Rousseau Collections à Montréal. Il vaut 1 $, soit la valeur des matériaux.» Il pointe ensuite la pièce en question à travers une des vitrines du petit commerce. Les Affaires constate que le prix, lui, n'a rien de «commun». «Quand il est dans une aussi bonne condition, par contre, il vaut près de 1 000 $, précise M. Magoon. Parce qu'il n'y en a presque plus dans cette condition-là.»
La beauté et le sujet de la pièce vont également guider le choix des numismates. «Les gens suivent les thèmes qui les intéressent», précise Serge Pelletier, un spécialiste de la numismatique qui a rédigé plusieurs ouvrages sur le sujet depuis 35 ans. «Pour ma part, je m'intéresse à l'histoire militaire, et particulièrement à la Guerre de succession d'Espagne [1701-1714]. Il y en a pour tous les goûts. Les passionnés de hockey peuvent trouver des pièces à l'effigie des joueurs vedettes.»
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Les valeurs sûres et les valeurs spéculatives
Comme à la Bourse, les collectionneurs ont leurs valeurs sûres et leurs titres spéculatifs. Les propriétaires des grands classiques de la numismatique peuvent espérer un rendement constant à long terme, croit Marc Magoon. «Ce qui est encourageant, c'est que les pièces classiques continuent de s'apprécier.»
M. Magoon cite l'exemple du dollar canadien de 1948. «Dans un très bon état, cette pièce peut se vendre près de 2 000 $. Lorsque j'ai commencé, il y a 13 ans, elle s'échangeait aux alentours de 1 100 $», se souvient-il.
Lorsque vous vous écartez des classiques, la valeur de vos pièces peut suivre une trajectoire plus mouvementée. M. Magoon nous montre une pièce à l'effigie de Superman, dans une autre vitrine. En 2013, la Monnaie royale canadienne a émis des pièces en hommage au superhéros. Encouragée par le succès de la première série, elle a répété l'expérience en 2014. «Lorsqu'un produit commercial du genre sort, il peut se vendre de quatre à cinq fois sa valeur initiale, constate le vendeur. Surtout que dans ce cas, tant les collectionneurs de monnaie que les fans de Superman étaient interpellés. J'ai reçu des appels de la Suède au sujet de cette pièce.»
Malheureusement, la pièce colorée a vite rencontré sa kryptonite, l'infâme pierre qui fait perdre à Clark Kent sa force surhumaine. «Une fois que l'effet de nouveauté s'estompe, elle perd de sa valeur, constate M. Magoon. Les gens se rendent compte qu'ils peuvent en trouver facilement au prix de vente initial sur Internet.»
Gilles Lamoureux prévient que les articles de collection produits par la Monnaie royale canadienne n'ont pas le même potentiel que les pièces destinées à l'usage courant. L'organisme a vendu 201 produits de collections différents en 2013, selon son rapport annuel. «Si on collectionne pour le rendement, ça ne vaut pas la peine de ramasser ça, estime M. Lamoureux. C'est beau, c'est amusant, mais à long terme, le rendement sera négatif la plupart du temps.»
L'investisseur qui voudrait mettre la main sur la nouvelle pièce rare avant tout le monde pourrait lui aussi s'en mordre les doigts. En raison de sa rareté, le billet en polymère de 5 $ signé par Mark Carney est recherché des collectionneurs. «Les premiers à avoir ressurgi se sont vendus aux alentours des 700 $ sur eBay, raconte M. Gosselin, de la Société de numismatique de Québec. Ils valent maintenant 20 $.»
Monnaies internationales
Pour les monnaies internationales, la rareté reste l'élément clé. «Il n'y a pas beaucoup de pièces de valeur parmi celles en circulation en Amérique du Sud, explique M. Lamoureux. C'est joli, mais ça ne vaut pas grand-chose. Les pays de cette région en frappent beaucoup trop, et ils ne changent pas leur modèle.»
Ainsi, les pays d'Europe de l'Ouest, les États-Unis et le Canada ont traditionnellement les monnaies les plus convoitées. En raison de l'essor de la Chine, il y a un regain d'intérêt pour les pièces anciennes chinoises, note M. Lamoureux. «Les Chinois sont les collectionneurs les plus gourmands et les plus téméraires, constate-t-il. Maintenant qu'ils ont les moyens de dépenser, ils s'intéressent à leur patrimoine et veulent le récupérer.»
Le plaisir avant tout
Bien avant son potentiel de rendement, la numismatique est l'affaire de passionnés. M. Gosselin préfère acheter de la monnaie en vrac plutôt que les pièces de grande valeur. «Pour la pièce que vous payez 1 000 $, vous pourriez en acheter mille. C'est le plaisir d'identifier et de classer ce qui se trouve dans la boîte qui est amusant.»
La numismatique est également une façon originale d'approfondir ses connaissances historiques. «Lorsque j'ai une pièce ancienne, je m'intéresse à la façon dont elle a été trouvée, au contexte de sa création et à l'identité de ses anciens propriétaires, explique Serge Pelletier. Je m'intéresse à tout ce qui entoure la pièce.»
D'ailleurs, le collectionneur peut obtenir des informations particulièrement détaillées dans le cadre de ses recherches. M. Pelletier se passionne pour la guerre de la Succession d'Espagne, car on y a produit beaucoup de pièces obsidionales. Celles-ci ont été fabriquées dans des villes assiégées. «J'en ai une qui a été conçue à partir d'une statue d'argent de Saint-Nicolas qui se trouvait dans une église d'Amsterdam», raconte-t-il.
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