Série 1 de 2 - On s'intéresse beaucoup à la relève entrepreneuriale familiale, parce qu'elle symbolise la nouveauté. Mais les cédants, eux, sont souvent laissés dans l'ombre. Six entrepreneurs racontent comment ils ont vécu ce passage.
Ils ont bâti ces entreprises qui font la fierté du Québec et qui sont assez solides pour passer à la deuxième ou à la troisième génération. Comment choisissent-ils leur relève ? Comment vivent-ils le transfert ? Qu'est-ce qui est le plus difficile ? De quoi est faite leur nouvelle vie ?
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Pour le savoir, Les Affaires, en partenariat avec Desjardins, a réuni en table ronde, le 29 octobre dernier, six entrepreneurs qui ont passé le flambeau ou qui sont en voie de le faire. Guillaume St-Amour (Boulangerie St-Donat), Pierre Jean (Construction Albert Jean), Jean-Yves Roy (Groupe SMR), Pierre Carrier (Maison Carrier Besson), Bernard Bélanger (Premier Tech) et Jean-Denis Lampron (Rose Drummond) ont participé à cette discussion animée par notre journaliste Marie-Claude Morin, qui s'est tenue au restaurant La Coupole, à Montréal.
Choisir la relève
Ils ont en commun d'avoir un ou des enfants qui ont repris les rênes. Comme Jean-Denis Lampron et Diane LaBranche qui, avec 11 enfants, ont été aux prises avec tout un casse-tête pour déterminer lequel prendrait la relève de Rose Drummond. Le couple croyait au potentiel de sa troisième fille, Amélie, bachelière en ressources humaines, mais celle-ci a préféré retourner aux études faire une maîtrise en histoire. « C'est sûr que ça ne m'arrangeait pas, parce que c'est vraiment elle que je voyais », admet l'homme d'affaires. Mais son épouse et lui ont respecté cette décision, car ils ont toujours soutenu que l'entreprise était leur rêve, pas nécessairement celui de leurs enfants.
« Je ne veux pas que vous embarquiez dans l'entreprise parce qu'elle est à papa et à maman, répétait Jean-Denis à sa progéniture. Non ! Si vous embarquez, c'est que vous êtes passionnés, vous voulez l'amener plus loin. Sinon, oubliez ça ! » L'idée a sans doute fait son chemin chez Amélie. Entre deux contrats, elle a donné un coup de main dans l'entreprise et elle a attrapé la piqûre. C'est elle aujourd'hui qui gère Rose Drummond avec son conjoint, Emmanuel Bertrand, un Français qui n'est jamais reparti après un stage dans l'entreprise. « Ma fille a la flamme », dit aux autres cédants Jean-Denis Lampron, ravi.
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Pierre Jean raconte pour sa part ne pas avoir eu à se demander lequel de ses enfants reprendrait le flambeau : les trois le souhaitaient ! Comme ceux-ci ont des formations complémentaires, l'entrepreneur estimait qu'ils formeraient une bonne équipe. Mais pas question pour lui d'en désigner un à la présidence. « J'ai embauché une firme de consultants et je n'ai assisté à aucune des rencontres. » Le processus devait être impartial. Depuis 2001, c'est Pierre-Albert qui est pdg, épaulé par l'aînée, Patricia, vice-présidente des finances, et par le plus jeune, Sébastien, directeur de projets.
Cette façon de faire étonne Bernard Bélanger qui s'y est pris tout autrement. «Mon fils Jean avait 13 ans quand j'ai pris ma décision. C'est un leader né. Il avait la force de caractère nécessaire pour prendre la relève. Même ma fille, qui gère aujourd'hui le patrimoine familial, dit que j'ai fait le bon choix.» Mais si Jean n'avait pas été intéressé ? «Je savais qu'il voudrait», rétorque l'homme d'affaires de 80 ans. «Ça se sent, ces affaires-là ! renchérit Pierre Carrier qui a transmis Agnus Dei Traiteur à son fils, David. Moi aussi, je le savais !»
Même constatation chez Jean-Yves Roy. «J'ai compris il y a longtemps que ce serait ma fille. À 15 ans, elle posait des questions sur l'entreprise. Elle voulait m'aider. Mon fils avait un manque d'intérêt évident. Il passera à la caisse à mon décès !»
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Ne pas se tromper
Les cédants insistent sur leur bonheur d'avoir trouvé une relève au sein de la famille. «Il y en a qui sont mal pris, note Pierre Carrier. Moi, je suis chanceux d'avoir mon fils.» Guillaume St-Amour se dit d'autant plus heureux qu'il a craint de ne pas réaliser son rêve de transmettre la boulangerie familiale à sa fille unique, Marie-Ève. Celle-ci étudiait en cinéma et rêvait plutôt de faire carrière derrière les caméras. Mais après ses études, elle s'est ravisée. «Je lui ai dit qu'on bâtirait quelque chose ensemble», se remémore le paternel.
Mais il y a pire que de ne pas avoir de relève familiale, tiennent-ils à souligner. C'est de se tromper. «Quand tu passes le pouvoir à un enfant qui n'a pas les capacités, tu as un gros problème, dit Jean-Yves Roy. J'ai vu tellement d'entrepreneurs pour qui ça ne marchait pas. Il faut s'assurer que sa relève est bonne. Sinon, il vaut mieux trouver quelqu'un à l'extérieur de la famille.»
Il reconnaît toutefois qu'il aurait pu faire un mauvais choix. «Il y a dix ans, c'était clair pour moi qu'il fallait que ce soit un de mes enfants. Je sais aujourd'hui que c'est une erreur de poser cette prémisse, même si je suis chanceux que ma fille ait les capacités de diriger. Beaucoup d'entrepreneurs commettent cette erreur.»
Et Jean-Denis Lampron d'ajouter : «On a des employés. On fait vivre des familles. On a parfois eu des subventions. En tant qu'entrepreneur, on a des responsabilités envers la société.»
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Leurs conseils pour réussir la relève d'entreprise
Pierre Jean, Construction Albert Jean: «Le fait de se faire accompagner par des spécialistes et d'échanger avec des gens qui vivent la même chose facilite le transfert.»
Jean-Yves Roy, Groupe SMR: «Et si votre fils ou votre fille n'a pas ces capacités, ne vous obstinez pas. Cherchez ailleurs.»
Jean-Denis Lampron, Rose Drummond: «Discutez ouvertement de la relève avec vos enfants. Tout au long du processus, soyez transparents avec ceux qui ne font pas partie des releveurs.»
Bernard Bélanger, Premier Tech: «Quand on veut céder l'entreprise aux enfants sans la leur vendre, il faut s'assurer d'avoir un patrimoine à soi.»
Guillaume St-Amour, Boulangerie St-Donat: «C'est dur de mettre de côté les sentiments, mais vous devez vous assurer que l'enfant pressenti a vraiment les capacités nécessaires pour prendre la relève.»
Pierre Carrier, Maison Carrier Besson: «Pour intéresser ses enfants à prendre la relève, il faut avant tout aimer ce qu'on fait et transmettre son amour pour l'entreprise.»
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