Une question de bons sens, mais aussi de gros sous ! En raison des impacts que peuvent avoir les problèmes de santé mentale et psychologique, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se saisir de la question en déployant des plans de prévention. Mais par où commencer ?
« Cette question devrait faire partie de l’agenda de la haute direction car les répercussions sont importantes sur les bénéfices, que ce soit au niveau de la productivité, de l’engagement des employés, de la gestion des risques, des performances financières, ou de l’attraction et la rétention de la main d’œuvre », affirme Claudine Ducharme, associée et co-leader national des Services-conseils en santé de Morneau Shepell.
Selon la dernière étude réalisée en août 2014 par la firme, 57% des employeurs canadiens déclarent vouloir investir dans des programmes améliorant l’engagement et la productivité des employés au cours de la prochaine année. Mais encore faut-il savoir quoi faire… Face aux nombreuses actions censées favoriser la santé mentale et psychologique en entreprise (conférences, guides, sondages d’engagement, cours de yoga, massothérapie, etc.), quelles sont les plus efficaces ? Et comment les adapter aux besoins de votre organisation ?
1-) S’évaluer avant toute chose
Avant de pouvoir agir, la première étape reste de procéder à une évaluation pour déterminer quelles sont les faiblesses de l’organisation dans ce domaine. « Souvent, les entreprises ont déjà des informations disponibles, que ce soit des sondages d’engagement ou des données RH. Elles peuvent donc commencer par faire une évaluation en se basant sur les outils de la norme canadienne en santé mentale », suggère Samuel Breau, gestionnaire de programme, santé mentale en milieu de travail de la Commission de la santé mentale du Canada.
L’objectif ? Mieux cerner quels sont les problèmes de santé mentale auxquels vous vous exposez. «Car vous aurez beau offrir des cours de yoga pour gérer le stress : vous risquez d’avoir des actions éparpillées et pas vraiment efficaces si vous n’agissez pas sur les vrais problèmes», met en garde Claudine Ducharme.
2-) Sonder ses employés
La plupart des organisations réalisent régulièrement un sondage d’engagement ou de satisfaction auprès de leurs troupes : c’est aussi une bonne manière de voir quelle est leur perception des facteurs de risques présents au sein de l’organisation en matière de santé mentale.
« Les salariés sont les mieux placés pour répondre car ils connaissent les irritants. Vous pouvez lancer une collecte de données anonymes ou organiser des focus groupes sur cette question. Les salariés seront plus intéressés à participer s’ils voient que vous tenez compte de leurs besoins », souligne Mario Messier, directeur scientifique du Groupe entreprises en santé. Des résultats précieux pour aider à déterminer et prioriser les actions à mener.
3-) Former ses gestionnaires
Choisir un gestionnaire pour son rendement et non pour ses habilités interpersonnelles, c’est encore le cas dans de nombreuses organisations. « Il faudra donc le former aux pratiques de gestion de base comme une bonne communication, la reconnaissance, l’écoute ou le respect », résume Mario Messier.
Les gestionnaires doivent aussi être formés à reconnaître les premiers signes de détresse chez l’employé (manque d’entrain, changement d’humeur, retards, fatigue) afin de pouvoir ensuite tirer la sonnette d’alarme.
« C’est l’occasion de pouvoir intervenir, en référant le salarié au programme d’aide aux employés mais aussi en discutant avec lui pour voir quelles pourraient être les mesures à prendre pour le soutenir afin d’éviter un arrêt de travail », rappelle Mireille Doré, consultante en pratiques de gestion et santé psychologique.
4-) Développer la reconnaissance
Reconnu comme l’un des principaux facteurs de risque, le manque de reconnaissance peut être facilement compensé par de bonnes pratiques de gestion. À ce titre, offrir une montre après 25 ans de service, ou un bonus à l’atteinte des objectifs n’est pas toujours la meilleure manière…
« Les pratiques les plus efficaces sont celles du quotidien et n’ont pas besoin d’être compliquées, comme dire à un employé que l’on est content du travail réalisé ou que l’on apprécie son effort », détaille Mario Messier.
« Les récompenses monétaires sont celles dont l’effet passe le plus vite », estime la consultante Mireille Doré. Elle suggère plutôt aux entreprises de demander aux salariés quelles sont les marques de reconnaissance qu’ils souhaiteraient obtenir. « Demander des nouvelles d’un projet qu’on a confié ou encore saluer ses employés le matin en les regardant dans les yeux, ça ne coûte pas cher », résume Mireille Doré.
5-) Éviter la mise en concurrence
Ils font partie des pratiques destinées à doper les ventes des équipes de commerciaux : les concours récompensant le meilleur vendeur du mois sont pourtant des pratiques à risques, augmentant la productivité au détriment de l’esprit d’équipe et du sentiment d’appartenance.
« Les études montrent que les deux variables très importantes dans la prévention du suicide sont le manque de cohésion de l’équipe ainsi que les surcharges de travail», rappelle Angelo Soares, professeur titulaire au département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. En opposant les salariés, « la compétition favorise des salariés qui ne collaborent pas avec les autres et qui seront poussés au burn-out en se dépassant tout le temps », estime Mario Messier. Une bonne pratique : examiner la culture de l’organisation pour déterminer quels sont les comportements valorisés.
6-) Le programme d’aide aux employés
Pilier d’une politique de santé mentale en entreprise, le programme d’aide aux employés (PAE), souvent présent au sein des grandes entreprises, consiste à offrir un numéro d’appel gratuit qui permet aux salariés de joindre des psychologues de manière anonyme et en tout temps. Il fait partie des outils qui peuvent se révéler indispensables pour réduire les risques, en améliorant l’information ainsi que l’écoute des salariés.
« Ce programme est important car comme on n’est pas capable de prévoir à 100% les risques, il faut avoir des solutions quand les premiers symptômes apparaissent », ajoute Angelo Soares. Il suggère aux entreprises ayant peu de moyens de s’associer avec d’autres compagnies pour offrir leurs programmes en commun.
« Ce peut-être à la fois un outil de prévention et une solution en cas de crise. Mais il faut absolument qu’il soit assuré par une tierce partie afin que les salariés aient confiance dans la confidentialité des données échangées », précise Virginie Gosselin, conseillère principale en santé mieux-être à la Standard Life.
7-) S’inspirer de la norme en santé psychologique
Mise en place en janvier 2013 par le Groupe CSA, le Bureau de normalisation du Québec et la Commission de la santé mentale du Canada, la norme nationale en santé psychologique est un outil dont les entreprises peuvent s’inspirer. Elle identifie notamment les 13 principaux facteurs qui peuvent avoir une influence positive ou négative sur la santé des salariés, comme la culture organisationnelle, le respect, le soutien psychologique que l’on donne aux employés, la charge de travail, la reconnaissances ou la participation aux décisions.
Pierre Durand, professeur titulaire en santé publique et environnement de travail à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal, rappelle que les programmes les plus efficaces sont ceux qui agissent de manière intégrée sur plusieurs fronts. « Il est important d’avoir des actions qui s’intéressent au milieu de travail, pas seulement à l’individu. Car la méditation, les massages ou encore le yoga ne procurent qu’un soulagement temporaire », estime-t-il.
8-) Remettre l’humain au cœur du management
Dans un monde qui va toujours plus vite, les entreprises et les gestionnaires courent derrière la productivité. « Or, travailler avec des humains nécessite de prendre du temps pour vaincre les résistances au changement », rappelle Mario Messier. Dans ce contexte, développer une culture de respect des individus est primordial. « Même en temps de crise, il faut aussi faire le constat que la solution n’est pas toujours de couper des postes lorsque les gens partent à la retraite, car cela se traduira forcément par des surcharges de travail sur d’autres postes », met en garde Angelo Soares.
9-) Une meilleure conciliation travail-famille
Avec l’arrivée de la génération Y, qui souhaite conserver plus de temps pour ses loisirs et la famille, le sujet de la conciliation travail-famille devient de plus en plus stratégique au sein des entreprises. « On observe que la souplesse des horaires est l’une des choses que la jeune génération recherche le plus », constate Mireille Doré. En dehors des pratiques de télétravail, que certaines entreprises ont commencé à développer à raison de quelques journées par semaine, des organisations demandent par exemple à leurs salariés d’assurer une présence entre 10h30 et 15h. « Ils peuvent ensuite choisir d’arriver plus tôt ou de partir plus tard, mais cela leur permet d’aller chercher leurs enfants à l’école. Les réunions, qui font partie des plus grandes pertes de temps, peuvent également être revues de manière à être écourtées », résume Mireille Doré. De petits gestes qui peuvent permettre de faire gagner du temps au quotidien et donc de réduire le stress.
10-) Faire un suivi réaliste
Plutôt que de vouloir faire des bonds de géant, mieux vaut commencer par des petits pas… « Il faut être réaliste et savoir célébrer les petits progrès », estime Samuel Breau.
Pour cela, vous devrez vous doter d’outils de mesure à la fois objectifs et subjectifs, comme le taux d’absence à court et long terme, le niveau d’engagement et de stress des employés, le pourcentage de salariés en burn-out, le coût des médicaments, ou encore le taux de recours au programme d’aide aux employés. Un simple tableau Excel peut suffire pour démarrer.
« L’important est de regarder les choses de manière intégrée, en se demandant si l’on peut faire des liens ou des corrélations entre les différents indicateurs », suggère Claudine Ducharme, de Morneau Shepell. Le suivi régulier de ces indicateurs sera ensuite un facteur de réussite.