Yvon Charest, président et chef de la direction de l'Industrielle Alliance, était conférencier du Rendez-vous financier Les Affaires, tenu le 2 décembre, à Montréal. Il a répondu à nos questions.
Les Affaires - La gestion de fortune représente 33 % des opérations de l'Industrielle, pourtant une compagnie d'assurances par définition. Êtes-vous en mode transformation et, si oui, jusqu'où irez-vous ?
Yvon Charest - Ce n'est pas quelque chose qui se fait rapidement, mais nous évoluons pour devenir un groupe financier intégré plutôt qu'une compagnie d'assurances.
Le marché de l'assurance-vie est un marché consolidé où il est plus difficile de trouver des acquisitions. C'est plus facile en gestion de fortune, et la croissance est meilleure, tant au niveau des revenus que des bénéfices.
Il faut donc s'attendre à ce que le poids de nos activités de gestion de fortune continue d'augmenter dans l'avenir, mais nous ne nous donnons pas d'objectifs précis. Pour l'instant, tout va très bien. Depuis le début de l'année, nous sommes numéro cinq dans les ventes de fonds communs et numéro un dans les ventes de fonds distincts.
L.A. - En juillet, vous avez complété l'acquisition de l'assureur American- Amicable aux États-Unis. Est-ce que l'Industrielle est sur le point de se lancer à l'assaut du marché américain et veut en faire un important axe de croissance ?
Y.C. - La plupart des gens croient que nous ne sommes qu'une entreprise québécoise. Il est vrai que notre présence québécoise est forte, elle représente 45 % de nos primes et dépôts. Mais l'Ontario pèse aussi pour 29 % et l'Ouest canadien, pour 19 %.
Aux États-Unis, nous avions déjà de petites activités qui comptaient pour environ 2 %. Dans un an, on pense que ces activités devraient représenter 6 % de notre bénéfice.
C'est un marché qu'on veut tester plus en profondeur. American-Amicable compte 390 000 clients. Elle est installée à Phoenix, qui connaît une forte croissance démographique et est maintenant la cinquième plus grande ville des États-Unis. Dans les 18 prochains mois, nous travaillerons à relancer notre croissance interne. On veut se prouver qu'on est capable de générer de la croissance organique. Après coup, à la lumière des résultats, on regardera si on doit se lancer dans d'autres acquisitions.
L.A. - Les analystes notent que la baisse des taux d'intérêt pèse sur vos résultats, et au moins un estime que vous pourriez devoir prochainement prendre une charge équivalente à presque la moitié de vos bénéfices de l'an dernier, simplement en raison d'hypothèses actuarielles qui ne tiennent plus. Qu'en est-il ?
Y.C. - Notre rentabilité est en fonction de deux facteurs majeurs : la Bourse et les taux d'intérêt, sur lesquels on émet une hypothèse de rendement à long terme (30 ans). Depuis le début de l'année, les taux d'intérêt à long terme ont baissé de 36 points de base, ce qui met notre rentabilité sous pression.
Mais nous avons très bien indiqué lors de notre conférence téléphonique que l'influence des taux d'intérêt serait immatérielle sur nos résultats. La pression est contrebalancée par des facteurs positifs.
L.A. - Pouvez-vous préciser quelques-uns de ces facteurs positifs ?
Y.C. - Certainement. Le marché des actions s'est redressé. On a aussi modifié notre stratégie de placement. Notre exposition aux titres de revenus fixes (taux d'intérêt) a été abaissée de 5 % et on a réorienté les sommes vers des titres à revenus variables, comme les actions et les immeubles.
Vous serez bientôt soumis aux normes comptables internationales (IFRS), qui s'appliqueront par étapes. Est-ce qu'elles auront un impact important pour vous ?
Y.C. - Pour ce qui est de l'étape 1, celle de 2011, il ne devrait pas y avoir trop de difficultés. Quant à l'étape 2, en 2013, il y a plus de brouillard. L'Institut canadien des comptables s'est engagé trop rapidement envers ces nouvelles normes, sans trop savoir quel en serait l'ensemble. Les Américains ne l'ont pas fait, et espérons que tout cela ne soit pas comme le système métrique.
Pour nous, il y a notamment un problème dans le fait que le projet ne tenait initialement pas compte des portefeuilles de chacun des assureurs pour déterminer leurs réserves actuarielles. Il tablait sur un seul repère, les obligations à long terme. (N.D.L.R. Dans cette situation, la modification de stratégie de placement récemment effectuée pour amortir l'impact de la baisse de taux n'aurait pas d'effets bénéfiques.)
Il semble y avoir maintenant une évolution. On pourrait aboutir à l'adoption du système canadien ou à une norme repère qui se baserait sur le rendement moyen d'un assureur.
L.A. - L'Industrielle a mieux survécu que les autres assureurs à la crise financière. Comment cela s'explique-t-il ?
Y.C. - Quelques facteurs sont à mentionner. De 2003 à 2007, on a connu de bonnes années de rendement, mais on a quand même chaque fois baissé nos hypothèses actuarielles de rendement. On a commencé à gérer la compagnie en tenant aussi pour acquis que les taux d'intérêt demeureraient bas. On a aussi organisé nos fonds distincts de manière à gérer le risque de garantie en faisant notamment varier les échéances de garanties .
Ces décisions nous ont probablement coûté 2 % de rendement de l'avoir par année quand tout allait bien. Pendant la crise cependant, nous n'avons enregistré des pertes que pour un seul trimestre.